Intervention de Hervé Jonathan

Réunion du 20 novembre 2012 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Hervé Jonathan, sous-directeur, chef du service de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'état à la DEGEOM :

En effet, le différentiel de taxation peut être considéré par le droit communautaire comme une dérogation aux règles du marché intérieur, devant à ce titre être justifiée comme une compensation à des handicaps structurels liés à l'insularité, l'étroitesse des marchés ou l'éloignement. Le ministère des outre-mer a donc lancé une évaluation du différentiel de taxation afin de mesurer la proportionnalité entre l'avantage théorique procuré par celui-ci et les handicaps structurels des territoires ultramarins.

À la suite d'un appel d'offres, nous avons retenu comme prestataire le cabinet Louis Lengrand, qui présentait l'avantage de disposer d'une bonne connaissance à la fois des milieux communautaires et des problématiques ultramarines pour avoir déjà travaillé sur l'octroi de mer. Nous avons agi dans le cadre d'un partenariat élargi, puisque nous avons constitué un comité de pilotage associant les conseils régionaux, les organisations socioprofessionnelles et les services de l'État concernés, notamment l'INSEE et la Direction générale des douanes.

Le prestataire a procédé à des analyses macroéconomiques et économétriques, ainsi qu'à des visites de terrain qui lui ont permis de rencontrer un certain nombre d'acteurs au sein des conseils régionaux, des services de l'État et des organisations socioprofessionnelles.

La méthodologie retenue par le prestataire a conjugué une analyse macroéconomique à partir des grands agrégats, des analyses sectorielles par filières économiques et des analyses microéconomiques par produits.

Ces travaux se sont heurtés à des limites statistiques tenant à l'indisponibilité des sources, concernant notamment les entreprises dont le chiffre d'affaire est inférieur à 550 000 euros, qui constituent l'essentiel du tissu économique des outre-mer et qui ne sont pas soumises à l'obligation de déclarer leur production. En outre, l'analyse par territoire ultramarin, par filière ou par produit n'ayant souvent pour objet qu'une ou deux entreprises, nos investigations se heurtaient rapidement au secret statistique.

Ces réserves étant faites, les principales conclusions de l'étude du cabinet Lengrand, qui ont été approuvées par le comité de pilotage, sont les suivantes : le différentiel d'octroi de mer constitue un appui déterminant à la productivité des entreprises ultramarines ; il existe un partage équilibré de la valeur ajoutée entre les profits, les salaires et l'investissement, ce qui exclut toute situation de rente liée au différentiel de taxation ; enfin, le différentiel de taxation ne surcompense pas les handicaps.

En outre, le prestataire a proposé plusieurs pistes d'évolution. Pour parvenir à ses conclusions, il a notamment analysé l'impact du différentiel sur le plan macroéconomique. Les résultats auxquels il est arrivé l'ont amené à considérer que l'octroi de mer est une ressource fiscale peu dynamique, cette taxation étant assise surtout sur la production industrielle alors que le PIB des territoires ultramarins dépend plutôt des activités de service. En dépit d'une augmentation très significative du PIB observée de 2005 à 2011 – entre 2,3% et 5,2 % selon les territoires –, le produit de l'octroi de mer a varié entre moins 0,8 % et 3,3% du PIB au cours de la même période. La pression fiscale liée à l'octroi de mer a ainsi connu une diminution évaluée entre 0,1 % et 0,5 % selon les territoires, ce qui montre l'impact limité de l'octroi de mer sur le niveau des prix.

L'évaluation permet aussi de constater que la majeure partie des importations des territoires ultramarins concernent des produits ne relevant pas des listes A, B ou C, et donc ne bénéficiant pas d'une taxation différentielle. La majorité des recettes issues de l'octroi de mer provient donc de produits qui ne bénéficient pas d'un différentiel de taxation.

Cette évaluation visait surtout à établir si le différentiel de taxation pouvait constituer une distorsion de concurrence au regard des règles communautaires. Le prestataire a constaté que, entre 2005 et 2011, les parts de marché des productions locales bénéficiant d'un différentiel diminuaient aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, et augmentaient à La Réunion et en Guyane. Hormis le cas particulier de la Guyane, les parts de marché des productions locales bénéficiant d'un différentiel de taxation représentaient autour de 20 %. En fait, ces productions locales sont confrontées à une très forte concurrence. On a même pu constater que les importations des produits bénéficiant d'un différentiel augmentaient plus vite sur la période prise en compte que l'ensemble des importations du territoire ultramarin considéré.

Sur un plan plus microéconomique, l'impact par filière a également été évalué. On a ainsi constaté que l'octroi de mer constituait une part déterminante de la productivité, puisque le différentiel de taxation représentait entre 42 % et 52 % de la valeur ajoutée des entreprises. Il a également été établi que l'accroissement de la valeur ajoutée des entreprises bénéficiant d'un différentiel de taxation sur la période 2005-2011 était dû à l'octroi de mer à hauteur de 50 à 66 %. Le différentiel d'octroi de mer constitue donc un appui déterminant à la productivité des entreprises considérées.

En outre, une analyse comparée de rentabilité a montré que le surplus de valeur ajoutée dégagée par les entreprises bénéficiant du différentiel d'octroi de mer se répartissait de manière équitable entre les profits, les salaires et les investissements. Il n'y avait donc pas constitution d'une rente.

Par ailleurs, le prestataire a constaté une faible productivité des facteurs de production dans les entreprises ultramarines, qu'il s'agisse du travail ou du capital. Il note un suréquipement des entreprises, qui s'explique par l'étroitesse et l'éloignement des marchés ultramarins.

Enfin, l'analyse par produits a permis au prestataire de constater que le prix de revient unitaire des produits locaux bénéficiant du différentiel était toujours supérieur à celui des produits importés et que le différentiel de taxation constituait une part minoritaire des coûts fixes des entreprises pour les produits considérés. Il n'y avait donc pas là non plus de distorsion de concurrence.

Sur la base de ces constats, le prestataire a proposé au comité de pilotage des scenarii d'évolution.

Le premier de ces scénarii, la suppression du différentiel, a été écarté compte tenu des conclusions de l'évaluation.

Le deuxième consiste en une amélioration progressive du dispositif existant. Il s'agirait d'abord de supprimer les listes A, B et C afin de donner à la réglementation suffisamment de souplesse pour s'adapter à l'évolution de l'offre des entreprises, ce qui favoriserait l'innovation. Il s'agirait aussi de mieux prendre en compte les petites entreprises, en soumettant à l'obligation de déclaration celles dont le chiffre d'affaires est compris entre 100 000 et 550 000 euros, et en maintenant l'exonération de toute déclaration pour celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 000 euros. Cela permettrait une meilleure connaissance statistique de l'impact de l'octroi de mer.

Enfin, le prestataire a formulé des propositions de simplification des mécanismes de déduction, voire d'exonération de taxation. Il a notamment souligné qu'une exonération des investissements publics, à tout le moins de ceux en faveur de la recherche-développement et de l'innovation, aurait l'avantage de favoriser le développement économique des outre-mer.

Il a par ailleurs posé la question d'un élargissement de l'assiette de l'octroi de mer aux activités de service, dans la perspective d'améliorer le dynamisme de cet impôt.

Il a également formulé des préconisations en matière de transparence et de traçabilité.

Je n'évoquerai pas la transformation de l'octroi de mer en TVA régionale, ce scénario d'évolution n'ayant pas été vraiment expertisé.

Sur la base de ces conclusions, le comité de pilotage et le ministre ont demandé au prestataire d'approfondir certaines pistes, notamment en mesurant l'impact de ces dernières à la fois sur les charges des entreprises – je pense notamment à l'impact d'un abaissement du seuil d'exonération de 550 000 à 300 000 euros –, sur les recettes fiscales et sur les prix.

Le prestataire doit nous faire parvenir ses conclusions avant la fin de l'année. Elles pourront ainsi enrichir l'évaluation à laquelle nous avons procédé.

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