Intervention de Guillaume Bachelay

Séance en hémicycle du 29 novembre 2012 à 9h30
Création de la banque publique d'investissement nomination des dirigeants de bpi-groupe — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Bachelay, rapporteur de la commission des finances pour le projet de loi relatif à la création de la Banque publique d'investissement :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons est d'intérêt national. Parce qu'il concerne l'emploi et le développement des entreprises, parce qu'il soutient la croissance en lui donnant un nouveau contenu, à la fois économique, social et écologique, parce qu'il fait prévaloir le financement de l'économie réelle sur la finance pour la finance, parce qu'il donne sa modernité à la puissance publique en associant, en une même stratégie, l'État et les collectivités territoriales, et d'abord les régions, parce qu'il a pour priorité les entreprises petites, moyennes, de taille intermédiaire, qui sont le coeur battant de notre tissu productif et de la création d'emploi, parce qu'il est un démenti cinglant aux beaux esprits qui spéculent – dans tous les sens du mot – sur une économie sans industrie, sans usines ni laboratoires ou bureaux d'études. Nous savons tous ici que deux millions d'emplois industriels ont disparu au cours des trente dernières années, dont 700 000 au cours de la dernière décennie, et nous savons – je suis l'un de ces élus d'une terre de production – que la désindustrialisation est d'abord un drame humain et territorial.

Pour toutes ces raisons, le Président de la République avait fait de l'enjeu qui nous réunit aujourd'hui le premier de ses engagements avec les Français.

Bien sûr, le ministre a eu raison de le rappeler, la BPI n'est pas un isolat. Sa création s'inscrit dans une politique globale pour la relance de la croissance, la lutte contre le chômage et le renforcement de notre compétitivité. Rappeler cette dynamique d'ensemble est indispensable pour en souligner l'ambition autant que la cohérence, mais aussi, puisque cette stratégie repose sur plusieurs piliers, pour affirmer la raison d'être de la BPI, ses missions, son rôle, sa place.

Il ne s'agit certainement pas de lui demander de résoudre toutes les difficultés auxquelles est confrontée l'économie française, mais d'affirmer avec force ce qu'elle va apporter, directement ou non, par du financement, mais aussi par de l'accompagnement, aux entrepreneurs, aux créateurs, aux salariés des entreprises encouragées, aux grappes d'activités, aux filières, aux clusters, aux pôles de compétitivité, universités et établissements d'enseignement supérieur dans les territoires. Pour être efficace, pour être viable et durable, la BPI doit se concentrer sur ses missions essentielles, c'est-à-dire – c'est l'objet des filiales telles qu'elles ont été voulues dans l'architecture proposée par le Gouvernement – l'accès renforcé au crédit et aux fonds propres pour les entreprises en croissance et en mutation. La BPI, c'est l'épaule solide sur laquelle les entreprises pourront s'appuyer pour grandir, pour innover, pour exporter.

Quelles seront les missions de la BPI ? Elle sera avant tout la banque des PME et des ETI, et d'abord dans l'industrie. Elles en ont besoin ! Le constat d'une carence de financement est établi et les chiffres sont dans mon rapport. Les flux de crédits aux PME sont passés de près de 30 milliards d'euros avant la crise à moins de 24 milliards en 2011. Quant aux encours de crédits à l'industrie manufacturière, ils ont perdu plus de dix points depuis le début de la crise. Tous les acteurs admettent ou dénoncent, pour peu qu'ils se mettent à la place des entrepreneurs, un resserrement du crédit et son renchérissement – notamment pour les PME indépendantes qui ne bénéficient pas, c'est un euphémisme, de taux d'intérêt aussi favorables que les grands groupes. Le baromètre KPMG-IFOP, qui analyse régulièrement l'état d'esprit des chefs d'entreprises, a rappelé pour la CGPME, cet automne, qu'un tiers d'entre eux s'autocensurent et restreignent leur demande de crédit, persuadés qu'on ne leur accordera pas le crédit escompté ou l'apport en fonds propres demandé.

J'ajoute que l'anticipation par les acteurs concernés du renforcement des normes prudentielles pèse sur les conditions d'octroi du crédit – enjeu d'ailleurs que la Federal Reserve et les banques américaines ont manifestement perçu. C'est dire l'urgence de la BPI et l'attente qu'elle suscite parmi les entreprises, les collectivités locales, les partenaires sociaux – nous l'avons mesuré au cours de la trentaine d'heures d'auditions qui ont précédé la discussion.

Face à ces difficultés, les pouvoirs publics nationaux et locaux ont développé ces dernières années des réponses à la fois globales et sectorielles, nationales et plus territoriales. OSÉO, mais aussi les pôles de compétitivité, le Fonds stratégique d'investissement, les aides et le conseil à l'export d'Ubifrance et de la COFACE, auxquelles s'adjoignent les actions des collectivités locales et d'abord des régions dont le rôle d'amortisseur et d'investisseur dans la crise est unanimement reconnu.

Mais pour pertinents et bénéfiques que soient ces outils, leur multiplicité nuit à leur efficacité. Soit parce qu'il y a des doublons ; soit parce qu'il y a des manques ou des oublis ; soit parce qu'un plus un ne font pas toujours deux, faute de coordination et d'harmonisation des objectifs, des critères d'éligibilité, des délais d'instruction. C'est pourquoi la BPI disposera de la taille critique financière nécessaire et interviendra au plus près du terrain en métropole et dans les outre-mer.

Pour mener à bien ces missions, elle disposera d'une force de frappe financière massive. Avec 50 milliards d'euros d'actifs, auxquels s'ajouteront 10 milliards d'euros de prêts sur fonds d'épargne issu du livret développement durable et 2 milliards d'euros de redéploiement de crédits d'investissements d'avenir, la future BPI disposera de plus de 60 milliards d'euros de ressources – montant comparable à celui des placements financiers réalisés par la section générale de la Caisse des dépôts et consignations. Avec l'effet d'entraînement qu'elle aura sur les prêteurs privés, elle pourra mobiliser plus de 70 milliards d'euros de ressources pour les PME et les ETI, sans oublier les prêts octroyés par la Banque européenne d'investissement, pour l'innovation ou la création d'entreprise, par exemple.

La BPI disposera aussi de ressources budgétaires, notamment pour financer l'innovation. Il semble toutefois que tous les crédits ne soient pas encore disponibles. Il pourrait y avoir un manque de l'ordre d'une centaine de millions d'euros. Aussi, monsieur le ministre, pourrez-vous rassurer la représentation nationale sur ce point et nous indiquer l'état des derniers arbitrages ?

Pour leurs projets, les entreprises manquent d'argent ; elles manquent aussi de visibilité et d'accompagnement. En réunissant plusieurs acteurs publics du financement des PME et des ETI, la BPI permettra d'intégrer, de clarifier et de simplifier les dispositifs du soutien financier public. Parce que l'effet réseau compte autant que l'effet de levier, elle aura vocation à offrir un bouquet de services aux entreprises, depuis l'amorçage jusqu'à la conquête de marchés à l'export.

La BPI devra aussi maintenir la plus grande proximité possible avec le tissu économique local – ce fut une demande constante et globale exprimée au cours des auditions. Une organisation sur une base régionale est donc impérieuse. Elle passe par la mise en place de plateformes communes avec les régions – point d'accueil de la BPI aussi bien géographique que juridique. L'analyse autant que l'expérience m'amènent à affirmer que leur animation et leur localisation doivent relever des régions. La connaissance du maillage économique qu'elles ont acquise, leur habitude de conjuguer proximité et réactivité, leur refus de séparer innovation, production et formation, sont là des atouts décisifs. C'est le sens de la déclaration entre l'État et les régions du 12 septembre dernier, en attendant un nouvel acte de décentralisation qui fera d'elles « le pivot du développement économique des territoires ».

Je tiens à souligner combien il sera nécessaire d'associer tous les acteurs à l'échelon régional. Aujourd'hui, les entrepreneurs peinent à s'orienter dans le maquis des dispositifs nationaux et locaux : on parle de millefeuille alors qu'il s'agirait plutôt de pudding… Faute de savoir à qui s'adresser, où se déplacer, comment procéder, des entreprises renoncent trop souvent à solliciter les aides qui pourraient leur permettre de passer la crise ou de développer un projet. Plus visible, plus lisible, la BPI inversera cette tendance.

Enfin, le principal actif de la BPI sera sa réputation et la prudence de sa gestion. Elle respectera pleinement les règles prudentielles des banques comme celles propres à la Caisse des dépôts. Ce modèle sera adapté à chacun des types d'activité que la nouvelle entité mènera en investisseur aussi patient qu'avisé. Cette obligation de bonne gestion est la condition de la pérennité de la BPI et elle explique pourquoi elle n'aura pas vocation à intervenir pour des entreprises en difficultés financières structurelles. La BPI doit être mobilisée pour le développement et l'innovation – pas exclusivement dans le domaine technologique ; ce pourrait être dans le social ou l'environnemental. Les entreprises en difficultés peuvent compter, entre autres, sur les acteurs nationaux et territoriaux rappelés par le ministre.

Au total, la BPI sera plus qu'une banque. Elle sera celle qui entraîne les autres banques pour financer les entreprises, notamment, j'y insiste, dans le secteur industriel. Elle sera la banque qui prend les risques quand le marché est défaillant car investir dans certaines entreprises prometteuses implique parfois d'assurer des pertes pendant plusieurs années avant de percevoir les premiers retours. Songeons par exemple que dans les entreprises de biotechnologie, il faut parfois jusqu'à quinze ans pour aboutir à la maturation d'une molécule.

La BPI sera la banque qui contribuera à structurer les filières d'avenir, on l'a évoqué, à bâtir les réseaux de compétence entre donneurs d'ordre et sous-traitants. Enfin, elle offrira un service complet d'accompagnement aux PME, à chaque étape de leur déploiement.

Le projet de loi a pour principal objet la création de la BPI, d'en définir les missions autant que la gouvernance. Nous l'avons enrichi lors du travail en commission et je voudrais d'ailleurs saluer l'état d'esprit qui a présidé à nos travaux ainsi que votre présence pendant nos débats, monsieur le ministre. Les échanges ont été d'une grande richesse avec le souci permanent, partagé, d'agir pour les futurs clients que sont les entreprises – nous nous sommes d'ailleurs retrouvés de façon assez unanime sur plusieurs points et je rappellerai les modifications les plus significatives que nous avons adoptées.

À l'article 1er, les missions ont été précisées avec deux apports décisifs à mes yeux. Nous avons inscrit la participation de la BPI à la mise en oeuvre de la transition énergétique. La BPI ne sera pas le seul organisme chargé de cette politique, mais elle y participera activement, puissamment, directement, efficacement, notamment à travers les programmes d'investissement d'avenir.

Nous avons également précisé que son action s'orienterait prioritairement vers les PME, sans oublier pour autant les TPE. En l'état du texte, nous avons mis l'accent sur l'aide aux entreprises dans les quartiers défavorisés. Pour des raisons de recevabilité financière, nous n'avons pu inscrire les zones rurales alors que nous reconnaissons tous qu'elles sont aujourd'hui dans une situation difficile et qu'elles ont besoin d'aide. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la BPI interviendra bien en zone rurale, qui regroupe environ 10 millions d'habitants, afin de soutenir les entreprises de proximité, le commerce et l'artisanat ?

De même, nous avons voulu inscrire dans le texte l'enjeu de la transmission des entreprises – lors des auditions, il nous a été rappelé qu'environ un chef d'entreprise sur deux a entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans. Le choc démographique n'épargne pas les entrepreneurs. Pouvez-vous nous confirmer que la BPI interviendra également pour soutenir la création ? En commission, nous avons tous constaté les carences du système actuel en la matière.

En ce qui concerne la composition des organes de gouvernance, je me réjouis de l'adoption des dispositions relatives à la parité. Si la BPI doit être exemplaire dans son mode de fonctionnement, elle doit aussi l'être dans l'application des principes constitutionnels.

Le conseil d'administration a vu son caractère opérationnel préservé et il me semblerait contre-productif d'alourdir le nombre de ses membres, à moins de remettre en cause les équilibres actuels validés par les actionnaires. La position du directeur général me semble désormais plus claire : il sera bien une personnalité qualifiée à part et ne représentera pas l'État. Sa nomination sera d'ailleurs soumise à un avis des commissions des finances du Parlement et il rendra compte de son action devant lui.

La composition du comité national et celle des comités régionaux d'orientation ont été adaptées pour mieux prendre en compte certains enjeux, tels l'international ou l'export. De même, il a semblé pertinent d'associer plus étroitement les acteurs économiques régionaux, je pense aux chambres de commerce et d'industrie, acteurs de proximité décisifs.

Autre apport notable : nous avons fortement renforcé le lien entre la BPI et le Parlement. J'ai parlé de la nomination du directeur général qui sera soumise à une procédure d'avis. Nous avons également prévu un rapport annuel sur le modèle qui prévaut pour la Caisse des dépôts et consignations. De même, il nous a semblé indispensable de prévoir une information du Parlement sur le pacte d'actionnaires conclu entre l'État et la Caisse et sur la doctrine d'investissement de la BPI.

J'appelle votre attention sur le fait que des points importants ne relèvent pas du domaine de la loi : la définition de la doctrine d'investissement stricto sensu ; la place des régions au niveau opérationnel, au sein des plateformes territoriales ; les relations avec la Banque centrale européenne et la Banque européenne d'investissement ; le statut des personnels, tous très attachés au projet mais également tous très fiers de leur maison d'origine, et qui devront être d'emblée associés et respectés. Même si la loi ne pourra prévoir de dispositions sur ces enjeux, nos débats pourront orienter utilement le Gouvernement.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'enjeu de notre débat est connu : la bataille contre la crise, contre le chômage, contre la désindustrialisation ; en même temps l'action pour la croissance durable, pour l'emploi, pour les territoires.

Chacun le mesure d'autant mieux que, sur la diversité de nos bancs, au cours des dernières années, chacun a cherché les voies et les moyens d'un meilleur financement par la puissance publique des projets des entreprises. La BPI, telle qu'elle est proposée par le Gouvernement, enrichie des apports de l'Assemblée, en constituera l'approche la plus volontaire, la plus innovante, la plus décentralisée. Pour toutes ces raisons, elle n'est pas seulement une urgence : elle est une chance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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