Intervention de Yves Censi

Séance en hémicycle du 29 novembre 2012 à 9h30
Création de la banque publique d'investissement nomination des dirigeants de bpi-groupe — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Censi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, soutenir les entreprises affaiblies par la crise économique, stimuler la croissance dans les territoires en injectant des prêts et du capital dans le tissu de PME ou d'entreprises de taille intermédiaire, pallier les carences du capitalisme financier traditionnel, simplifier les démarches des entreprises, mettre fin à l'empilement des multiples aides illisibles et, à cet effet, instaurer un guichet unique de financement à travers la création de la Banque publique d'investissement, c'est une bonne idée.

C'est une idée qui prend racine dans des politiques conduites de longue date par les précédents gouvernements, une idée dont l'intérêt est indéniable au regard des besoins de financement de nos PME mais aussi de l'asphyxie financière des entreprises de taille intermédiaire en quête de croissance.

Chacun le sait, la croissance passe par l'industrie et l'emploi, et quasi exclusivement par les PME. Celles-ci ont besoin de grossir, d'innover et d'exporter davantage. Or elles peinent à trouver des financements sur le marché ou auprès des grandes banques. Les crédits des PME sont passés seulement de 214 milliards d'euros en 2006 à 267 milliards l'année dernière, selon les dernières données de la Banque de France, alors que le capital-investissement n'est intervenu qu'à hauteur de 9 milliards.

En France, l'on ne dénombre que 4 700 ETI de plus de 250 salariés, soit deux fois moins qu'en Allemagne, et leur développement se heurte à un moment donné à un plafond de verre et elles n'ont quasiment aucune perspective de figurer au CAC 40 ou à son équivalent, contrairement à ce qui se passe à Wall Street dont les plus beaux fleurons, il faut le savoir, ont moins de dix ans d'âge et ont eu accès à une ressource financière qui a littéralement dopé leurs fonds propres.

Par conséquent, oui, financer les entreprises à fort potentiel de croissance au moment même où le crédit bancaire va se raréfier et se renchérir du fait des nouvelles normes de régulation de Bâle III limitant les risques pris par les banquiers, est une bonne idée. Mais attention, comme l'a dit excellemment notre collègue Jean-François Mancel, à ce que la BPI ne devienne pas une fausse bonne idée. Nous avons tous en tête les dernières expériences de l'État en matière bancaire, qu'il s'agisse du Crédit Lyonnais, de Dexia ou encore des errances des anciennes sociétés de développement régional dans les années quatre-vingt, ce qui ne peut que nous inciter à la plus grande prudence.

Avec ce guichet unique de financement, vous faites le pari, monsieur le ministre, de protéger les sociétés implantées dans les régions délaissées par les investisseurs et de faire émerger de jeunes pousses dans des filières d'avenir : les entreprises dites « innovantes » ou celles qui exportent. Vous faites aussi le pari que, grâce à ses investissements, la BPI saura attirer de nombreux financements privés et qu'elle créera ainsi un effet de levier. Vous faites enfin le pari que la BPI sera un instrument de réindustrialisation de notre pays – je ne vais pas bien sûr jusqu'à rêver d'une Silicon Valley.

Mais il reste de nombreux curseurs à bouger et beaucoup d'incertitudes et d'interrogations sur l'articulation entre la holding centrale et ses filiales en région, sur la gouvernance locale ou encore sur le champ d'intervention de la BPI et sur ses moyens.

De l'avis convergent des économistes, la BPI devra, pour atteindre son objectif, se doter de moyens humains renforcés en région, afin d'analyser finement les besoins et les risques.

Il est indispensable que les futurs décisionnaires disposent d'un profil, d'une culture et d'une expérience réellement plus entrepreneuriales que strictement financières pour comprendre la réalité du terrain et apprécier la prise de risque sans laquelle il n'y a pas d'innovation, donc de croissance, donc d'emploi. Sans risque, il n'y a pas de création de valeur ajoutée.

La BPI devra respecter une mission claire et être sélective dans ses choix. Au-delà de l'outil lui-même et de son efficacité, le flou entretenu par le Gouvernement sur le contenu de sa politique de soutien à l'industrie fait également débat, et cela jusque dans vos rangs, monsieur le ministre.

Certes, M. Jouyet a déclaré que la BPI devait avoir pour mission de soutenir des projets d'avenir et non les canards boiteux, mais vous ne donnez aucune garantie sur la qualité des décisions qui seront prises pour soutenir les entreprises d'avenir et la croissance, ni d'ailleurs sur les moyens financiers mobilisés.

La BPI aura une force de frappe de 42 milliards d'euros déclinés en prêts, investissements et garanties, alors que le marché du crédit aux PME et aux TPE atteint 200 milliards d'euros par an, et alors que, par comparaison, l'Allemagne dispose d'une banque dédiée au financement des entreprises dont le bilan dépasse les 300 milliards d'euros.

Dès janvier 2013, un guichet unique regroupera donc le FSI, OSÉO, la Caisse des dépôts Entreprises, sans oublier la partie publique de la COFACE et d'UBIFrance. Or les compétences attribuées à l'ensemble de la structure et à ces différents organismes font débat et restent encore floues.

Sur le terrain, les différents organismes – OSÉO, UBIFrance ou le FSI Régions – continueront-ils à fonctionner indépendamment ? Nous n'avons pas de réponse.

Compte tenu de la situation d'urgence des PME et des ETI françaises, je regrette que le débat se focalise quasi exclusivement sur les structures – qui doit faire, comment et où ? – en reléguant au second plan les véritables missions de la BPI. La semaine dernière, alors que nous examinions en commission ce projet de loi, la presse faisait état d'une déclaration de Nicolas Dufourcq, futur directeur général de la BPI, qui annonçait qu'il proposait une organisation différente de celle étudiée dans ce projet de loi.

Il faut que cette BPI soit un outil de rassemblement plutôt qu'un facteur de division, et que la coordination entre ces différents acteurs gagne en synergies en évitant les pièges d'une impossible fusion. Si vous parvenez à résoudre ces différentes équations, alors la BPI pourrait être un véritable moteur pour notre économie.

Je gage qu'il en sera ainsi, mais devant la persistance de tant d'incertitudes, d'interrogations et d'approximations, notre groupe ne pourra que s'abstenir.

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