Intervention de Thierry Mandon

Séance en hémicycle du 29 novembre 2012 à 9h30
Création de la banque publique d'investissement nomination des dirigeants de bpi-groupe — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mandon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je concentrerai mon propos sur ce qui constitue le premier objectif assigné à la Banque publique d'investissement, si nous en croyons l'article 1er du projet de loi sur lequel nous allons voter tout à l'heure, à savoir la question de l'innovation. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'innovation est le premier des objectifs assignés à la banque publique.

Plus précisément, je voudrais creuser ce que l'on peut attendre comme conditions de réussite de la Banque publique d'investissement au regard de cet objectif : financer tout le champ de l'innovation qui va de l'entreprise qui souhaite monter en gamme dans ses productions à l'innovation de rupture, à risque.

Soyons lucides, ce n'est pas gagné d'avance. C'est même le véritable pari de la Banque publique d'investissement qui va regrouper trois outils : OSÉO, FSI et CDC Entreprises. À sa création en 2005, OSÉO s'est vu assigner différents objectifs : financer à la fois l'innovation, les garanties des entreprises et les entreprises elles-mêmes.

Pour OSÉO qui est l'outil le plus préoccupé d'innovation, ce n'est qu'un objectif résiduel même s'il est important. Il remplit cet objectif en accordant de toutes petites aides à l'innovation pour des projets expérimentaux et des aides plus significatives pour des innovations stratégiques industrielles qui permettent de financer des collaborations recherche-industrie et des projets de développement industriel expérimentaux. Il gère les investissements d'avenir, notamment les projets recherche et développement des pôles. Il apporte des garanties financières bancaires et participe à des fonds dédiés.

Les différentes expertises effectuées par la direction générale du Trésor, notamment la dernière qui a été publiée en mai 2012, montrent qu'OSÉO a un rôle réel et important en matière d'innovation puisque ses financements atteignaient environ 500 millions d'euros en 2011. Son efficacité est réelle puisque les entreprises aidées brevètent en moyenne trois fois plus que les autres, et elle est directement liée à la taille des entreprises : plus l'entreprise est petite, plus l'aide est importante. Reconnaissons-le tout aussi franchement, le reproche qui lui est souvent fait – OSÉO ose peu – est juste. Le financement à risque n'est pas sa spécialité.

Pour le FSI, la question ne se pose même pas puisque ce n'est pas son objectif. Celui-ci est de soutenir en fonds propres, par le biais de prises de participations minoritaires, des investissements à long terme. Les entreprises qui intéressent le FSI sont par définition viables et porteuses d'une croissance à peu près assurée. Le FSI n'est pas, lui non plus, l'outil forcément approprié pour financer l'innovation.

Enfin, CDC Entreprises a diversifié ses interventions au cours des dernières années, particulièrement depuis 2007. À côté de son activité de gestion directe, elle a développé une action assez significative de capital-investissement, notamment à travers différents fonds dédiés : sur le bois, Bioam, InnoBio, etc. Impliquée depuis peu dans le domaine du financement de l'innovation, elle a des projets très importants à travers le programme FSI-France investissement 2020, dont l'objet est la prise de participations minoritaires à long terme, avec des moyens renforcés puisqu'ils sont évalués à 5 milliards d'euros pour la période allant jusqu'à 2020, ce qui est très significatif. Ces moyens doivent être complétés par des financements venant des cinq fonds d'assurances qui se sont engagés à apporter 180 millions d'euros par an pour financer l'innovation.

La BPI est donc le regroupement de ces trois outils : OSÉO fait de l'innovation parmi d'autres activités ; le FSI fait peu d'innovation ; CDC Entreprises a pour projet d'en faire beaucoup. La BPI regroupe des outils qui financent l'innovation mais pour lesquels l'innovation n'est pas le sujet principal.

Qu'attendre du simple regroupement de ces trois outils ?

Premier avantage : on peut attendre une plus-value grâce à l'effet guichet unique. Pour des entreprises, notamment les entreprises technologiques ayant un fort potentiel de croissance, le fait d'avoir un guichet est important, surtout si ce dernier est bien articulé avec différents fonds, par exemple celui de la COFACE. À l'évidence, ce peut être un outil très important pour les innovateurs. Qu'il me soit d'ailleurs permis en aparté de souligner que l'articulation avec UBIFrance est un vrai sujet. Je pense même que la question de l'intégration à terme d'UBIFrance dans la BPI est un vrai sujet, tant il y a à dire sur la réalité des interventions d'UBIFrance.

Deuxième avantage : le continuum des aides. Pour une entreprise innovante, c'est fantastique d'avoir un outil qui peut l'aider de la création jusqu'aux moments importants de son développement.

Troisième élément intéressant : la capacité de la Banque publique d'investissement à maîtriser les coûts du renchérissement du crédit liés à la mise en place progressive des accords de Bâle III représente aussi un atout.

Enfin et surtout : la consolidation des moyens que va procurer la Banque publique d'investissement puisque, bon an mal an, si j'en crois l'étude d'impact qui est annexée à l'excellent rapport de notre collègue Guillaume Bachelay, 600 millions d'euros seront consacrés à l'innovation, à peu près l'équivalent des sommes consacrées à l'innovation par OSÉO en 2011. Par ailleurs, il y a une ambition affichée de financer les éco-technologies puisque les sommes sont en très forte progression pour atteindre de l'ordre de 300 millions d'euros l'année prochaine.

Si cet effet de regroupement aidera les innovateurs et les entreprises innovantes, cela ne suffira pas à faire de la Banque publique d'investissement l'outil public privilégié du financement de l'innovation dans le pays. Pour y parvenir, la Banque publique d'investissement devra faire un saut qualitatif autour de quatre orientations.

La première, c'est l'articulation réelle et profonde avec les régions. La théorie de la muraille de Chine est une stupidité. Le sujet n'est pas de faire une muraille entre la Banque publique d'investissement et les régions, mais d'inventer des modes de coopération respectueux et loyaux entre un outil qui a ses contraintes et des régions qui, pour certaines d'entre elles en tout cas, ont fait leurs preuves en matière de développement industriel. De ce point de vue, je souhaite vraiment que les régions s'investissent dans les plateformes de services qui accompagneront la BPI et aussi qu'elles articulent, voire fusionnent leurs différents fonds d'aide à la création d'entreprises et au développement d'entreprises innovantes dont elles se sont toutes plus ou moins dotées.

S'agissant de la deuxième orientation, je citerai l'étude d'impact : « Le management de la BPI devra soutenir des projets innovants de manière effective et efficiente seulement s'il priorise son activité aussi bien sur le financement de projets de qualité ayant un réel potentiel d'innovation et qui n'auraient pas pu voir le jour du fait de difficultés de financement dues au niveau de risque élevé des projets » – autrement dit, si le management de la Banque publique d'investissement démontre sa capacité à faire des investissements relativement risqués. Ce sera même l'un des critères d'évaluation du management de la BPI.

La troisième orientation a trait à l'outil de suivi de l'ensemble des dispositifs de financement de l'innovation dans le pays dont la BPI devrait se doter. Tous les fonds ne seront pas tous en effet dans la BPI : beaucoup continueront à exister à l'extérieur, notamment dans les collectivités et les fonds public-privé. Regrouper le suivi et l'évaluation de ces fonds au sein d'une direction de la prospective de la BPI permettrait une lecture extrêmement intéressante de la densité et de l'efficacité du dispositif d'innovation.

La quatrième et dernière orientation représente un enjeu majeur pour le pays : contribuer à l'émergence de la création – au sein de la BPI ou en dehors, on peut se poser la question – d'un fonds public-privé consacré à l'innovation de rupture. Un tel fonds aurait pour objet spécifique de financer les sauts qualitatifs technologiques pour donner naissance à de nouvelles entreprises. Il serait alimenté par une partie des dividendes de la BPI et animé par des équipes spécialisées, un peu à l'image de ce qui se fait aux États-Unis, c'est-à-dire par des gens qui viennent du privé et passent deux ou trois années dans cet outil avant d'en repartir.

En conclusion, le défi n'est pas seulement de créer une structure efficace et opérationnelle mais aussi et avant tout d'opérer un changement de culture par rapport à l'innovation et au risque, sans méconnaître les contraintes d'un outil public de financement. C'est là-dessus que se joue la réussite de la future Banque publique d'investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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