Votre incitation à mobiliser la tradition comptable française afin que la France joue son rôle plein et entier, sans excès de dogmatisme mais par une présence constructive, est particulièrement encourageante.
Le langage comptable doit s'inscrire dans notre tradition intellectuelle tout en tenant compte des apports de la réflexion au plan international mais il doit aussi répondre aux objectifs qu'on lui assigne. Ce langage doit-il s'adresser aux seuls investisseurs ou à un public plus large ? Il convient sans doute de réexaminer l'hypothèse selon laquelle en servant le besoin d'information de cette catégorie privilégiée, on répond à toutes les demandes. Il me semble que les choses sont plus compliquées que cela. L'équation n'est pas facile à résoudre.
Il est intéressant de revenir sur notre tradition qui doit beaucoup au secteur public, vous l'avez dit. Dans de nombreux domaines, en France, la règle est d'origine législative tandis que dans les pays anglo-saxons, la règle est d'essence contractuelle et émane de la pratique, faisant la part belle à l'autorégulation. Cependant, depuis les accidents de parcours que nous avons connus, en particulier la crise financière de 2008, la régulation semble s'être imposée.
Sur les trente propositions que contenait le rapport de MM. Baert et Yanno, certains sujets sont encore en discussion – le temps est plus long à cause du nombre de parties prenantes – et d'autres n'ont pas été traités. Parmi les questions réglées, certaines l'ont été de manière positive, d'autres dans un sens différent des préconisations du rapport. Le bilan est à la fois mitigé et encourageant. En tout état de cause, il reste beaucoup à faire.
Comment repositionner l'ANC ? Les pistes que j'ai esquissées sont fondées sur le dialogue, qui permet souvent d'aplanir les difficultés, et une relation de plain-pied et de confiance avec l'IASB. Il n'y a pas lieu à procès d'intention à son endroit. Vous faisiez allusion à la fair value, ou juste valeur, et au mark-to-market qui a beaucoup évolué vers le mark-to-model – quand les marchés ne sont pas liquides, il faut trouver une mesure de substitution, à savoir un modèle mathématique.
L'ANC doit jouer pleinement son rôle en France et en Europe. À cet égard, elle doit contribuer au succès de la réforme de l'EFRAG. Alors qu'il était jusqu'à présent un groupe technique, cet organisme a été doté d'une instance plus politique, le board, présidée par une personnalité désignée par la Commission. On sait également tout l'intérêt que porte le Parlement européen à la question comptable.
Nous devons nouer un dialogue permanent avec l'IASB, soit bilatéral, soit par le biais de l'EFRAG.
Quant à la période de reflux que j'ai évoquée, au début des années 2000, l'Europe n'avait guère le choix pour se doter d'un langage commun et échapper aux normes américaines. Le choix des normes internationales a été fait en 2002 et celles-ci ont été mises en oeuvre à compter de 2005. C'était un choix pragmatique qui s'est avéré bénéfique ; il n'était pas glorieux mais logique et nécessaire ; il appelle aujourd'hui la mise en oeuvre d'une nouvelle dynamique.
L'Europe, qui demeure la première zone économique mondiale, doit aujourd'hui être en mesure d'apporter une forte contribution, à condition de réussir à fédérer les différents acteurs. Pour ce faire, il importe d'abord que l'ANC fonctionne à plein régime et apporte sa pierre à l'édifice. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le commissaire Barnier lorsqu'il était en fonction. Il s'intéressait à la convergence avec les normes américaines et était curieux de voir si le processus allait aboutir. Nous savons désormais qu'en dépit de certains éléments de convergence, il n'y aura pas identité entre les normes. La discussion reste néanmoins ouverte.
La question sur les aspects comptable et prudentiel fait écho à une norme que j'avais proposée au début des années 2000. Elle était double : une partie ayant trait au provisionnement des risques avérés et l'autre, prospective, touchant au provisionnement dynamique des risques de crédit. L'idée, qui avait l'agrément de la Banque de France, était de considérer que dans tout instrument financier, il existe une marge qui couvre la prime de risque, qui ne constitue pas à court terme un résultat mais qui, de façon assurantielle, doit être mis de côté.
La comptabilité, dont les crises ont montré les limites, peut évoluer, tout comme le prudentiel. Toutefois, l'unicité des deux référentiels est complexe à envisager car il faut à la fois satisfaire le besoin d'une information pertinente – l'information comptable – et assurer la stabilité financière par des règles prudentielles savamment dosées – qui ne freine pas la contribution des activités bancaires au développement de l'économie mais ne crée pas des risques déraisonnables dans la sphère financière. Cet arbitrage est un sujet intéressant sur lequel beaucoup d'encre coulera encore.
Madame Berger, les experts-comptables ont une responsabilité en matière d'alerte, sur un fondement en grande partie légal. Nous ne sommes pas censés certifier les comptes si la continuation de l'exploitation n'est pas assurée. En outre, il existe une procédure d'alerte. La profession est l'observateur avancé des difficultés des entreprises. Je ne suis pas un spécialiste mais il me semble que le mécanisme joue globalement son rôle.
Quant au secteur assurantiel, mon sentiment général est qu'en France il est responsable. Il est composé de différentes familles dont les options de développement divergent – c'est normal. J'observe qu'il manifeste un souci sincère de la conformité. Le secteur se caractérise aussi par une solidité intrinsèque dont témoigne le faible nombre d'incidents de parcours. C'est dans ce cadre que le travail de normalisation comptable pour ce secteur a commencé. Il nous faut aujourd'hui intégrer les discussions au sein de l'IASB et en matière prudentielle pour que l'assurance française, dont les fondamentaux sont solides, puisse jouer pleinement son rôle.
Madame Louwagie, l'ordre dans lequel j'ai présenté les enjeux de la normalisation comptable n'avait pas vocation à être perturbant. La dimension nationale revêt une grande importance mais elle doit prendre en compte l'environnement international, y compris européen. Il ne faut voir dans ma présentation ni préférence, ni hiérarchie.
Quant au lien avec le législateur, le rapport de la Commission suggérait une communication annuelle. Sachez que je suis particulièrement ouvert à des échanges les plus réguliers possible tant il est vrai que la tendance est à considérer que la réglementation est autonome en raison de son caractère technique. Il faut pourtant l'inscrire dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.
Monsieur Lefebvre, je ne suis pas un spécialiste de la comptabilité publique. L'ANC est présente au sein du CNoCP. Je ne manquerai pas de revenir vers vous, une fois mes connaissances rafraîchies.