Intervention de Michel Vauzelle

Réunion du 18 février 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vauzelle, rapporteur :

Je ne vous ferai pas l'injure de vous expliquer ce qu'est l'extradition et donc l'utilité de conclure des conventions ou traités d'extradition pour mettre en place un cadre juridique des relations extraditionnelles. A défaut elles relèvent de la courtoisie et des difficultés sont susceptibles de survenir du fait de la disparité des systèmes juridiques et judiciaires.

La France a initié un processus de négociation de conventions et traités ou d'actualisation de ceux en vigueur, il y a une dizaine d'années. Nous avons examiné la semaine dernière le traité d'extradition avec la Jordanie et nous examinons les accords conclus avec trois pays d'Amérique latine et déjà votés par le Sénat: l'Argentine (26 juillet 2011), le Pérou (31 janvier 2013) et le Venezuela (24 novembre 2012). La France procède d'ores et déjà à des échanges en matière extraditionnelle avec ces pays, même si les flux sont faibles. Les accords conclus permettront de les fluidifier et d'accélérer le traitement des procédures.

Avant d'examiner le contenu des accords, je formulerai plusieurs remarques.

D'abord, deux des accords sont des traités. La forme solennelle du texte a en effet été acceptée en ce qui concerne l'Argentine et le Pérou, à la demande de ces Etats, afin de s'inscrire dans leur pratique consistant à privilégier, en matière d'extradition, la conclusion d'accords engageant les Etats.

Ensuite, la France dispose déjà d'une convention d'extradition avec le Pérou en date du 30 septembre 1874. Entre le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2014, la France et le Pérou ont échangé sur cette base 7 demandes d'extradition dont 6 à l'initiative de la France et 1 à l'initiative du Pérou. Le nouveau traité conclu, à la suite d'une proposition péruvienne qui aura donné lieu à 10 ans de négociations, a pour objet d'étendre et d'actualiser la portée de l'obligation conventionnelle d'extrader. Il abroge expressément la convention de 1874 à compter de son entrée en vigueur. Néanmoins, les demandes présentées avant l'entrée en vigueur du nouveau Traité continueront à être traitées conformément à la Convention de 1874.

Avec l'Argentine et le Venezuela, les relations en matière extraditionnelle sont fondées sur le principe de la réciprocité ou les conventions multilatérales applicables.

Entre le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2014, la France et le Venezuela ont échangé 8 demandes d'extradition, toutes à l'initiative des autorités françaises. Sur les 7 demandes clôturées, 5 ont donné lieu à une décision de remise dans des délais variables. L'essentiel des condamnations de Français concernent des infractions à la législation sur les produits stupéfiants, passibles de peines allant de 1 à 25 ans.

Entre le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2014, la France et l'Argentine ont échangé 28 demandes d'extradition, dont 22 à l'initiative des autorités françaises et 6 à celle des autorités argentines. Les demandes d'extradition formulées par la France ont porté sur des faits très variés et la moitié a abouti à la remise effective des personnes recherchées. Les demandes déposées par les autorités argentines avaient trait essentiellement à des infractions à la législation sur les stupéfiants.

L'entrée en vigueur du traité d'extradition avec l'Argentine devrait permettre de lever les difficultés qui sont actuellement rencontrées :

- les demandes françaises se heurtent de manière récurrente à de multiples demandes de renseignements complémentaires, concernant notamment les règles de compétence de nos juridictions ou les règles de prescription. Les articles 1er, 5, 9 et 10 du Traité permettront de les limiter ;

- l'instruction des demandes formulées par la France se heurte aussi à une interprétation plus restrictive par les juges argentins de leur législation, ces derniers exigeant que la demande d'extradition soit transmise par un magistrat du siège et non du parquet. L'article 9 du traité se référant aux autorités compétentes de la Partie requérante lèvera toute difficulté d'interprétation ;

- les textes français et argentins de droit commun en matière d'extradition encadrent la procédure dans des délais particulièrement courts qui sont peu adaptés à l'éloignement géographique entre les deux Etats et à une transmission par la voie diplomatique et qui ont pu conduire à la remise en liberté de la personne arrêtée provisoirement. L'article 18, qui fixe à 45 jours le délai de transmission de la demande formelle d'extradition en cas d'arrestation provisoire permet de remédier à cette difficulté ;

- enfin, il a pu être constaté qu'en l'absence de texte conventionnel, l'extradition des nationaux argentins, juridiquement possible, se révélait difficile à obtenir en pratique, les intéressés se voyant offrir des possibilités complémentaires de recours leur permettant de différer leur remise. La rédaction de l'article 7 apporte une réponse à cette difficulté.

Les trois accords qui nous sont soumis prévoient en effet la faculté, et non l'obligation, de refuser l'extradition des nationaux. La nationalité est déterminée à la date de la commission de l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée. En cas de refus sur ce fondement, les conventions prévoient qu'à la demande de la Partie requérante, la Partie requise soumette l'affaire à ses autorités compétentes aux fins de poursuites. Pour la France, les binationaux sont considérés comme français et bénéficient des règles applicables aux ressortissants français, à savoir le refus d'extradition. En revanche, l'Etat étranger qui accepte d'extrader ses nationaux extradera également les bi ou multinationaux.

Dernier élément : la situation de ces Etats au regard de la peine de mort, étant précisé que tous les accords conclus par la France contienne une disposition de refus obligatoire d'extrader lorsque l'infraction est punie de la peine de mort dans la Partie requérante.

Au Pérou, la peine de mort a été abolie en 1979. En 1993, une nouvelle Constitution a été adoptée dont l'article 140 dispose que « la peine de mort ne peut être appliquée que pour acte de trahison de la Patrie en temps de guerre et pour actes de terrorisme. Toutefois, le code pénal ne prévoit pas la peine de mort pour les actes de terrorisme, qui est donc limitée aux actes de trahison en cas de guerre extérieure.

L'Argentine a ratifié, le 18 juin 2008, le traité de l'Organisation des Etats américains visant à abolir la peine de mort et, le 2 septembre de la même année, le texte similaire au niveau de l'ONU. Le 6 août 2008, le Sénat argentin a adopté une loi réformant le Code de justice militaire. Il a ainsi aboli la peine de mort en toutes circonstances et supprimé les tribunaux militaires.

Au Venezuela, il n'existe ni peine de mort, prohibée par l'article 43 de la Constitution, ni peine perpétuelle (article 44). La peine d'emprisonnement maximum pouvant être exécutée est de 30 ans. Les peines maximales sont encourues pour parricide, fillicide ou attentat à la vie du président de la République. L'article 46 du Code de procédure pénale prévoit le droit de toute personne à son intégrité physique, psychique et morale, interdisant les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il dispose que toute personne privée de liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à l'être humain.

Ces motifs d'ordre constitutionnel et législatif explique que, dans la convention signée avec le Venezuela, l'article 6 prévoit le refus d'extrader lorsque les faits sont sanctionnés par la peine capitale, mais aussi par des peines infamantes, à perpétuité ou supérieures à trente ans. La Partie requise peut toutefois accorder l'extradition lorsque la Partie requérante offre des garanties suffisantes de réexaminer les peines à perpétuité ou supérieure à trente ans afin de ne pas les appliquer ou de ne pas les exécuter si elles ont été infligées. L'introduction d'une telle garantie est une exigence vénézuélienne. C'est la particularité de cette convention.

Car dans l'ensemble, les trois accords ont été conclus sur un modèle unique, celui de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957. Ils sont donc largement similaires et répondent au souci premier d'apporter l'ensemble des garanties nécessaires au respect des droits des personnes concernées.

Les articles 1er posent le principe de l'obligation d'extrader. Les Parties s'engagent ainsi à se livrer réciproquement toute personne qui est réclamée par les autorités compétentes de l'autre partie afin d'être poursuivie ou jugée ou en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté pour une infraction donnant lieu à extradition.

Cette dernière est définie à l'article 2 de chaque accord. Les faits constituant une telle infraction sont ceux qui sont considérés comme une infraction par les Parties, quelle que soit leur qualification juridique, et qui sont punis d'une peine privative de liberté d'au moins deux ans avec l'Argentine et le Venezuela et un an avec le Pérou. L'effectivité de la coopération est notamment garantie par l'inopposabilité des spécificités nationales en matière d'impôts ou de taxes. Il convient de préciser que si l'extradition est demandée aux fins d'exécution d'une peine, la durée de la sentence restant à exécuter doit être d'au moins six mois.

Les motifs obligatoires de refus d'extradition sont strictement encadrés, tandis qu'il existe aussi des motifs de refus facultatifs. Les causes de refus obligatoires, outre la peine de mort, sont liées à la nature de l'infraction (notamment infraction à caractère politique), aux motifs de l'extradition (s'il réside dans des considérations de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, d'opinions politiques ou de sexe ou que la situation de la personne à extrader risque d'être aggravée pour l'une de ces raisons) et aux conditions dans lesquelles est rendu le jugement (tribunal d'exception ou spécial, jugement par défaut sans garantie de nouveau jugement, amnistie, prescription). Les causes de refus facultatif d'extradition relèvent soit de l'exercice des prérogatives de l'Etat requis (poursuites en cours, territoire de l'infraction, nationalité), soit de la protection des personnes réclamées (jugement définitif dans un Etat tiers, gravité exceptionnelle d'un point de vue humanitaire).

Les accords prévoient précisément la procédure de demande d'extradition et de remise de la personne. Je rappellerai seulement qu'il existe un principe de spécialité qui interdit à la Partie requérante de tirer profit de la présence de la personne extradée sur son territoire afin de la détenir ou de la condamner pour un fait antérieur à la remise, autre que celui ayant motivé l'extradition. Il peut être dérogé à ce principe en cas de séjour volontaire de la personne extradée et en cas de consentement de la Partie requise. Une fois la personne remise, son transfert vers un pays tiers n'est possible que dans ces deux mêmes cas de figure. En outre, en cas de modification de la qualification légale des faits constitutifs de l'infraction appuyant la demande d'extradition, la personne ne peut être poursuivie que si la nouvelle qualification vise les mêmes faits que ceux ayant conduit à la remise.

J'évoquerai pour finir une particularité des traités signés avec le Pérou et l'Argentine que je n'ai pas encore évoquée. Le traité signé avec l'Argentine est le premier signé par la France à faire expressément référence au consentement de la personne réclamée (article 12). La France a ensuite accepté son insertion dans le traité avec le Pérou (article 16). Cette spécificité a constitué un sujet de négociation face aux réticences de la Partie française à l'étendre hors d'Europe. Elle permet à la Partie requise de statuer sur la remise aussi rapidement que possible après réception de la demande formelle d'extradition, réduisant le délai de comparution devant la chambre de l'instruction à cinq jours ouvrables. En droit français, sa décision n'est alors pas susceptible de recours. Le consentement et la renonciation à exercer tout recours contre le décret autorisant son extradition conduit à une remise avant la fin du délai d'un mois.

Pour conclure, les traités et la convention entreront en vigueur après la réception de la notification de l'accomplissement des procédures internes par la deuxième Partie : 30 jours après cette réception pour l'Argentine et le Venezuela, le 1er jour du deuxième mois suivant cette réception pour le Pérou. Concernant le Venezuela, à la demande de la Partie vénézuélienne, la convention a été conclue pour une durée, automatiquement reconductible, de 5 ans. Il n'a pas pu être établi les raisons de l'introduction de cette disposition mais la période de validité est tacitement reconduite et à l'inverse la convention peut être dénoncée à tout moment.

Ni les autorités vénézuéliennes ni les autorités péruviennes n'ont procédé à la notification. L'accord pourrait être ratifié ce semestre par le Pérou. En revanche, le 4 janvier 2013, les autorités argentines ont officiellement procédé à la notification. Une fois le projet de loi voté par notre Assemblée, la ratification pourra être notifiée au gouvernement argentin et le traité entrera en vigueur.

Ces instruments s'inscrivent notamment dans le cadre d'une lutte coordonnée contre la criminalité transnationale organisée. Ils permettront de réduire les difficultés liées à la mise en oeuvre des modalités de l'extradition sur la base de la coopération informelle (Argentine et Venezuela) ou sur le fondement d'un texte obsolète abrogé par la même occasion (Pérou), sans atteinte aux droits des personnes extradées. Je me réjouis de voir à travers cette analyse la démonstration dans ces trois pays d'une avancée des valeurs auxquelles nous sommes attachées. C'est en rappelant la communauté de culture avec l'Amérique latine que je vous invite à voter les trois projets de loi.

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