Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 10 février 2015 à 10h30
Délégation aux outre-mer

Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Madame la ministre, Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, c'est effectivement un texte important que cette loi de santé qui doit permettre de s'attaquer à la racine des inégalités de santé en favorisant la prévention, l'accès aux soins et l'innovation. Le projet de loi fait du renforcement de la place de la médecine de proximité un nouveau cadre de prise en charge, et c'est dans ce cadre que nous devons définir notre stratégie dans les Outre-mer.

J'ai parfaitement conscience des difficultés que rencontrent les territoires ultramarins en matière de santé, même si ces difficultés sont différentes suivant les territoires, comme j'ai pu m'en rendre compte en me rendant sur place à différentes reprises.

Il existe un décalage manifeste avec la métropole, avec des contrastes selon que l'on parle des territoires du Pacifique, de l'océan Indien ou des Antilles. Or ceux-ci sont des territoires à part entière de la République et à ce titre, l'égalité d'accès aux soins doit y être assurée autant qu'en métropole. Cette égalité d'accès aux soins est pour moi l'un des fils conducteurs de mon action, et nous devons être attentifs aux facteurs de décalage existant entre les territoires ultramarins et les territoires hexagonaux.

Nous connaissons ces facteurs. D'abord, la faiblesse des indicateurs socio-économiques se traduit de façon directe sur la santé des habitants, s'agissant en particulier des maladies transmissibles et vectorielles, des maladies chroniques comme le diabète et l'obésité, et des risques environnementaux. Ensuite, le système de soins y est moins structuré qu'en métropole et, en tout cas, de façon plus récente ; la prévention reste insuffisante, les soins ambulatoires sont inégalement accessibles, parfois inexistants et les hôpitaux connaissent des difficultés réelles. Enfin, l'éloignement et l'isolement géographique, en particulier dans certains territoires insulaires, compliquent encore la donne.

Depuis bientôt trois ans, un certain nombre d'actions résolues ont été prises en faveur de la santé dans les territoires d'outre-mer. Je tiens à rappeler les choix que j'ai faits.

J'ai voulu en premier lieu accompagner les hôpitaux, qui connaissent de réelles difficultés, en leur allouant des aides exceptionnelles et en les confortant dans leurs investissements. J'ai eu l'occasion d'inaugurer un nouvel hôpital à La Réunion. En Guyane, nous accompagnons la reconstruction du centre hospitalier de l'Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni ; un autre projet est actuellement en cours d'expertise pour l'hôpital de Cayenne. En Martinique, nous finançons le projet de mise aux normes parasismiques du CHU. Enfin, en Guadeloupe, nous finalisons l'étude du projet de reconstruction du CHU. Celui-ci doit passer en COPERMO, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins, qui permet de lancer les investissements, un premier signal ayant déjà été adressé il y a quelques semaines.

Au total, c'est un investissement de l'ordre d'un milliard d'euros que nous consacrons aux Outre-mer. C'est donc un engagement fort et décisif.

Je me suis également mobilisée dans la lutte contre les maladies vectorielles, ces maladies transmissibles liées aux moustiques, comme la dengue ou le chikungunya. Je me suis rendue sur place pour soutenir les services de l'État et les services locaux, notamment régionaux, et mesurer les difficultés éprouvées par les populations qui luttent, notamment, contre le chikungunya – même si cette maladie est à l'origine de rumeurs et d'idées fausses, qu'il convient de combattre. À la suite de ces déplacements, j'ai autorisé le remboursement des tests diagnostiques, facilité l'accès aux traitements symptomatiques, renforcé la couverture des arrêts maladie par l'assurance maladie et mis en place un suivi spécialisé des syndromes post-chikungunya.

Les attentes en matière de santé sont fortes en outre-mer et requièrent la définition d'une stratégie spécifique permettant la mise en place de solutions particulières.

Monsieur le président, vous avez regretté que le texte ne comporte pas des mesures plus identifiées en direction des Outre-mer. Je vous répondrai que les dispositions prévues sont destinées à s'appliquer dans les Outre-mer comme partout sur le territoire, que dans la mesure où la loi cible tout particulièrement les situations de difficultés d'accès aux soins ou vise à amener les populations, notamment les plus fragiles, à adopter des comportements leur permettant de bénéficier d'un meilleur état de santé, elle s'applique tout particulièrement aux territoires ultramarins. Au-delà, je vous rappelle qu'un article d'habilitation permettra d'adopter, par voie d'ordonnance, des mesures spécifiques aux DOM et aux COM. C'est pour cela que, dès à présent, avec Mme George Pau-Langevin, nous mettons en place une stratégie de santé pour les Outre-mer. Et pour en marquer l'importance, j'en confierai le pilotage au secrétaire général de mon ministère qui travaillera ainsi étroitement avec la Direction générale des Outre-mer.

Il ne s'agit pas de concevoir un nouveau plan santé outre-mer, mais de définir une nouvelle approche de l'action de l'État dans ces territoires en matière de santé. Elle s'appuiera notamment sur les constats établis par la Cour des comptes dans son rapport sur la santé dans les Outre-mer. En particulier, il faudra éviter les écueils du plan de santé outre-mer de 2009 qui a pâti d'une faible impulsion stratégique, d'un manque de financements associés, d'un défaut d'objectifs chiffrés, ou encore de l'absence de dispositifs d'évaluation. Et selon moi, sans impulsion stratégique ni dispositifs d'évaluation, on est absolument certain, sinon d'aller à la catastrophe, du moins d'être réduit à l'inaction et à l'immobilisme.

Nous avons une exigence : celle de veiller au rattrapage des Outre-mer en matière de santé, de lutter résolument contre les inégalités, de renforcer la prévention et de mieux organiser les prises en charge : autant d'objectifs que je porte dans la loi de santé et qui doivent pouvoir trouver une déclinaison particulière.

Cette loi sera le moteur de la stratégie de santé des Outre-mer. Comme je vous le disais à l'instant, elle s'adresse tout particulièrement aux Outre-mer, indépendamment même de l'article d'habilitation.

Les priorités que nous avons identifiées pour les Outre-mer, et qui ont été rappelées par la Cour, sont les priorités de la loi de santé.

Je citerai d'abord le combat contre l'obésité et le diabète, qui sont des enjeux très identifiés outre-mer. L'amélioration de l'information sur la qualité nutritionnelle permettra à chacun, et notamment aux plus défavorisés, d'avoir accès sous une forme simple à l'information utile pour bien se nourrir. Cela vient compléter le travail déjà effectué avec la loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer, votée en juin 2013. Son arrêté d'application est en cours de validation interministérielle et nécessitera une notification à la Commission européenne. Il devrait pouvoir être publié avant la fin de l'année 2015.

Je citerai ensuite la priorité donnée aux enfants et aux jeunes. Pour agir dès le plus jeune âge, le projet de loi crée un statut de médecin traitant de l'enfant. Il permettra de mieux mobiliser les pédiatres et les généralistes investis au quotidien auprès des enfants pour généraliser les comportements de prévention dès la petite enfance.

Nous avons par ailleurs la volonté de combattre les grossesses précoces, enjeu majeur qui préoccupe beaucoup d'entre vous. Une mesure facilite l'accès à la contraception d'urgence pour les mineures auprès des infirmières scolaires, en levant les conditions restrictives existantes, en particulier la condition de détresse caractérisée. Cette mesure est cohérente avec la gratuité de la contraception pour les mineures, que j'ai introduite en mars 2013. Une autre mesure du projet de loi permettra aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses. Là encore, il s'agit d'un pas supplémentaire en faveur de l'accès à l'IVG, désormais remboursée à 100 % et dont l'acte a été revalorisé afin de soutenir les établissements de santé. Ceux-ci n'auront donc aucune raison de ne pas s'engager dans cette activité.

Une autre priorité, le combat contre les infections sexuellement transmissibles – et notamment le VIH, qui sévit toujours de façon massive en outre-mer – est explicitement identifiée dans la loi. En matière de dépistage, trop souvent tardif, en particulier en outre-mer, il faut désormais aller de façon volontariste vers les populations les plus éloignées du soin. La généralisation de l'accès aux tests rapides d'orientation diagnostique et la mise à disposition des autotests seront des atouts pour ces territoires.

Le combat contre le renoncement aux soins pour des raisons financières est lui aussi un enjeu outre-mer. Une mesure du projet de loi instaure un tarif social en matière optique, dentaire et audio-prothétique pour les bénéficiaires de l'Aide à la complémentaire santé. Enfin, le tiers payant doit simplifier l'accès des assurés aux consultations de ville.

Sur chacun de ces sujets, nous veillerons, avec l'article 56, à adapter les dispositions proposées aux spécificités ultramarines. Je veillerai à ce que l'ensemble des textes d'application des mesures que j'ai pu évoquer aujourd'hui – ce qui vaut bien sûr pour toutes les autres mesures – prennent systématiquement en compte les particularités de vos territoires.

Cette politique suppose que nous favorisions l'installation des professionnels. C'est tout l'enjeu du Pacte Territoire Santé en outre-mer – et l'objet de mon déplacement, en particulier à La Réunion.

L'offre de soins ambulatoires est encore trop hétérogène outre-mer, inégalement accessible et déséquilibrée par rapport à l'offre hospitalière. À ce constat s'ajoute un double effet démographique : une population, et donc une demande de soins, qui augmente d'une part, et une pénurie de médecins induite par le mouvement des départs à la retraite d'autre part.

La lutte contre les déserts médicaux est l'une des priorités de mon action depuis mon arrivée à la tête de ce ministère. Pour améliorer l'accessibilité géographique de l'offre de soins, j'ai donc lancé le Pacte Territoire Santé dès décembre 2012.

Dans le cadre de ce pacte, j'ai voulu développer le nombre de stages en médecine générale pour donner envie aux jeunes de s'installer en ville. Ainsi, en Guadeloupe, 50 maîtres de stages sont désormais formés. De même, grâce à des bourses versées à des étudiants qui s'engagent à s'installer dans des territoires qui manquent de professionnels, je garantis le maintien de la présence médicale. Un effectif de 3 étudiants en a bénéficié à La Réunion et de 32 en Guadeloupe.

Nous avons mis en place un cursus complet d'études médicales aux Antilles-Guyane et dans l'océan Indien. Ce renforcement de la formation pourra, à terme, favoriser l'installation de jeunes médecins formés aux pathologies rencontrées outre-mer. En outre, les CHU ultramarins ont récemment bénéficié de 7 nouveaux postes d'enseignants hospitalo-universitaires – 5 aux Antilles-Guyane et 2 à La Réunion. J'ai pu constater, lors de mes déplacements, l'intérêt pour ces créations de postes. De fait, celles-ci constituent à la fois une garantie de formation dans la durée et un signal, pour les jeunes étudiants, qu'ils peuvent envisager une carrière sur place.

J'ai également encouragé la création de maisons de santé pluridisciplinaires, qui apportent une solution aux problèmes de démographie médicale en attirant, notamment, les jeunes professionnels et en développant une prise en charge coordonnée autour du patient. À La Réunion, depuis 2012, 10 nouvelles maisons et pôles de santé se sont structurés et regroupent aujourd'hui plus de 64 professionnels dont 20 médecins.

Par ailleurs, le développement de la télémédecine, initié depuis plus de dix ans en Guyane, permet à tous les patients ultramarins de bénéficier de soins répondant à leur état de santé sans subir d'évacuation sanitaire. De nouveaux projets sont en cours de déploiement, comme par exemple un projet de télé-AVC, qui permet un diagnostic rapide à distance pour pallier l'éloignement de certains territoires.

Le projet de loi de santé devrait permettre d'adopter prochainement des mesures innovantes pour améliorer la densité médicale libérale outre-mer.

La stratégie de santé pour les Outre-mer devra également prendre en compte les spécificités ultramarines et permettre d'agir sur les déterminants de santé.

La prise en compte de la diversité des territoires et de leurs problématiques est une nécessité. Il s'agit, d'une part, de s'appuyer sur l'ensemble des plans de santé publique ou des programmes d'action existants, en nous assurant, à chaque fois, que les particularités des Outre-mer ont été identifiées et prises en compte ; d'autre part, de s'appuyer au niveau local sur les projets régionaux de santé et sur les études conduites dans les territoires.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques exemples.

À Mayotte et en Guyane – mais cela vaut également, bien sûr, pour d'autres territoires – l'hôpital est un acteur clé de la santé de proximité de ces territoires, compte tenu de la difficulté qui existe à structurer une médecine libérale de proximité. Le renforcement de l'attractivité des affectations à Mayotte et en Guyane pour les professionnels de santé est donc une exigence qui requiert des mesures spécifiques.

À Wallis-et-Futuna, l'état de santé de la population est particulièrement dégradé. La dépense de santé par habitant est l'une des plus faibles de France. L'exigence d'un soutien plus important s'impose à nous. C'est pourquoi des propositions ont été faites pour apurer les dettes accumulées par l'Agence de santé de Wallis-et-Futuna depuis de nombreuses années et augmenter son budget.

Sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon où le nombre des évacuations sanitaires reste élevé, les coopérations hospitalières doivent être renforcées.

À La Réunion, la prévalence du diabète impose de mobiliser de nombreux leviers.

La stratégie de santé pour les Outre-mer doit donc nous conduire à intégrer dans l'ensemble de nos plans de santé publique – qui existent par ailleurs – et dans l'ensemble de nos actions une déclinaison ou une adaptation aux réalités ultramarines pour répondre aux défis qui leur sont propres.

Elle doit également reposer sur une intervention coordonnée des pouvoirs publics pour agir sur les déterminants de santé.

Plusieurs ministères élaborent ou ont élaboré des réformes qui ont un impact sur la santé ou sur les déterminants de santé des territoires ultramarins : le Plan logement outre-mer ; la convention avec les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (CEMEA) pour renforcer l'éducation dans les territoires ultramarins ; la loi sur la transition énergétique qui doit s'adapter aux spécificités de chaque territoire ; la déclinaison spécifique du Programme national nutrition santé 2011-2015 pour les départements ultramarins – surtout pour l'obésité et le diabète.

Dans le cadre de ces différentes programmations, la question de la santé dans les Outre-mer doit être posée autour d'objectifs parfaitement identifiés : réduction des inégalités de santé, accès aux soins, structuration de l'offre de soins, mise en place de politiques de prévention. Autant d'enjeux, Mesdames et Messieurs les députés, que je souhaite porter pour l'ensemble de nos concitoyens, de métropole comme d'outre-mer.

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