Intervention de Monique Orphé

Réunion du 10 février 2015 à 10h30
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé, rapporteure :

Monsieur le président, Madame la ministre des Affaires sociales, madame la ministre des Outre-mer, mes chers collègues, la santé est un facteur d'épanouissement humain et concerne tout un chacun. Elle est d'ailleurs prise en compte pour mesurer l'indice de développement humain – IDH – d'un pays. En 2010, les IDH des territoires ultramarins montraient un retard variant entre douze et trente ans avec la France hexagonale. Ce retard prouve que, malgré des avancées considérables dans le domaine économique, social et environnemental, de graves inégalités persistent.

Vous l'avez dit, Madame la ministre, il y a un décalage entre les territoires ultramarins et la métropole. C'est ce que rappelle la Cour des comptes dans son rapport publié en juin 2014 sur la santé en outre-mer.

Je citerai six secteurs où la différence entre la situation sanitaire des collectivités ultramarines et celle de la métropole est patente.

D'abord, en matière de mortalité maternelle, néonatale, périnatale et infantile, les taux sont deux fois plus élevés dans les DOM qu'en métropole, alors que les moyens médicaux déployés sont sensiblement les mêmes. En particulier, les taux de mortalité infantile sont préoccupants. En 2012, pour quelque 50 000 naissances annuelles dans les DOM et en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, alors que le nombre d'enfants nés vivants et décédés dans l'année en métropole est de 3, il est de 4 en Nouvelle-Calédonie, de 5 à Wallis-et-Futuna, de 7 en Polynésie française, de 8 en Martinique et à La Réunion, et de 9 en Guadeloupe et en Guyane.

Ensuite, les jeunes filles ultramarines sont surexposées aux risques de grossesse précoce.

Selon une enquête conduite en 2011-2012 par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane et qui vient de paraître à la Documentation française, sur un échantillon représentatif d'environ 700 femmes de 18 à 54 ans dans chacun de ces DOM, 21 femmes de 18 à 24 ans en Guadeloupe et 29 femmes de la même tranche d'âge en Martinique et en Guyane ont eu à affronter une grossesse imprévue sur les cinq dernières années.

Par ailleurs, toujours selon la même enquête, lorsque l'on demande aux femmes quelle a été l'issue de cette grossesse non prévue, 42 % des femmes de 18 à 24 ans répondent qu'elle a abouti à une interruption volontaire de grossesse. La situation est préoccupante quand on sait qu'en 2012, le taux d'IVG était de 14,5 pour 1 000 femmes entre 15 et 49 ans dans l'hexagone, contre 25,3 pour 1 000 femmes dans les Outre-mer, et de 14 pour 1 000 pour les jeunes filles entre 14 et 19 ans dans l'hexagone, contre 33 pour 1 000 dans les Outre-mer.

Le troisième secteur où l'on note des différences notables entre l'hexagone et les Outre-mer est celui des pathologies : certaines sont inconnues en métropole, d'autres présentent des prévalences différentes.

Parmi les pathologies inconnues en métropole, on peut citer la dengue qui touche les Antilles et la Guyane, et le chikungunya qui avait très violemment frappé La Réunion en 2004 et qui s'est propagé aujourd'hui en Martinique, en Guadeloupe et en Polynésie. Par ailleurs, le paludisme reste présent de manière endémique en Guyane.

Parmi les pathologies présentant une prévalence particulière, on peut citer l'infection au VIH qui est plus développée qu'en métropole, ainsi que le diabète et l'hypertension artérielle qui sont souvent des conséquences du surpoids et de l'obésité.

En outre, de nombreux phénomènes addictologiques (drogue, alcool, tabac) sont plus importants dans les DOM et doivent être considérés comme des priorités de santé publique. Je prendrai comme exemple l'alcool, qui est la deuxième cause de mortalité à La Réunion.

On observe également une plus faible densité médicale par rapport à la métropole. C'est valable pour les praticiens hospitaliers, mais aussi pour les médecins exerçant en médecine libérale. Ainsi, en 2012, alors que le nombre des médecins généralistes est en moyenne de 106 pour 100 000 habitants en métropole, il est de 80 en Guadeloupe, 81 en Martinique, 47 à la Guyane et 13 à Mayotte.

Seule La Réunion enregistre un chiffre plus élevé qu'en métropole : 117 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Mais ce chiffre est à mettre en balance avec un plus faible taux de médecins spécialistes que dans l'hexagone : 94 pour 100 000 habitants en métropole, et seulement 63 à La Réunion.

La question de l'accès des patients aux soins prodigués par la médecine de ville est ainsi une question qui s'avère tout à fait préoccupante en Guyane et à Mayotte.

On peut ensuite mettre en exergue le manque de trésorerie dont souffrent les centres hospitaliers outre-mer qui, dans certains territoires comme Mayotte, sont les seuls lieux d'accès aux soins.

D'après les informations que j'ai pu recueillir, la majeure partie des centres hospitaliers des DOM – soit 19 sur 29 – ne disposent en fait que de quelques jours de fonds de roulement. Si leur situation comptable paraît parfois plus favorable, c'est à cause des aides exceptionnelles de trésorerie allouées par l'assurance maladie.

Par ailleurs, à des degrés divers, les capitaux propres cumulés des dix plus grands centres hospitaliers des DOM sont négatifs en 2012. C'est le cas du CHU de Martinique (-181 millions d'euros), du CHU de Guadeloupe (- 44 millions d'euros), du Centre hospitalier de Mayotte (- 3 millions d'euros) ou du Centre hospitalier de Cayenne (-1 million d'euros).

En outre, ces centres hospitaliers manquent de financements pour parachever la modernisation de leurs structures. La Fédération hospitalière de France-océan Indien, dans le cadre du pacte d'engagements 2014-2020, évaluait le coût de cette modernisation à 600 millions d'euros, soit 60 millions sur dix ans.

Enfin, le dernier secteur qui mérite un rattrapage est le secteur médicosocial. En effet, les infrastructures sanitaires, sociales et médicosociales accusent des retards considérables. Par exemple, selon l'UNIOPSS (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), au 1er janvier 2011, le taux d'équipement global pour enfants handicapés hors SESSAD (services d'éducation spéciale et de soins à domicile) était de 4,7 pour 1 000 jeunes de moins de 20 ans aux Antilles-Guyane, contre 6,6 dans l'hexagone ; pour les structures d'hébergement pour adultes handicapés, le taux est de 1,3 pour 1 000 adultes contre 3,9 dans l'hexagone.

Face à l'ensemble de ces fléaux, le projet de loi relatif à la santé comporte un certain nombre de réponses.

Je citerai notamment l'article 3 qui lève les restrictions existant en matière d'accès à la contraception d'urgence pour les élèves du second degré au sein de l'infirmerie scolaire ; l'article 4 qui renforce les dispositifs permettant de lutter contre l'alcoolisation des jeunes ; l'article 5 qui améliore l'information nutritionnelle des consommateurs ; l'article 7 qui conforte la pratique des tests rapides d'orientation diagnostique, ainsi que les autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles ; l'article 12 qui institue un service territorial de santé au public ; l'article 26 qui redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés ; l'article 37 qui a pour objet de développer la recherche et l'innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé ; et enfin, l'article 38 qui favorise la territorialisation des Agences régionales de santé, en simplifiant la réglementation concernant les projets régionaux de santé.

Néanmoins, ces mesures peuvent paraître générales et insuffisamment ciblées sur les questions spécifiques posées par la santé dans les collectivités ultramarines. Voilà pourquoi, Mesdames les ministres, j'aimerais évoquer devant vous quelques propositions de mesures complémentaires.

Une première mesure serait la mise en place d'un plan de rattrapage décliné par territoire pour mettre fin aux dysfonctionnements les plus criants. J'ai cru comprendre, dans vos propos, que ce serait le cas. Ce plan pourrait être établi en recourant à une ordonnance prise sur le fondement de l'article 56 du projet de loi.

Une autre mesure serait la mise en oeuvre obligatoire, par les ARS ultramarines, de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé.

Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, il serait intéressant que la pratique financière des ARS, au sein des DOM, soit rééquilibrée, afin que cette dernière soit orientée vers davantage de prévention. Ainsi, on pourrait prévoir que, dans les DOM, les ARS établissent obligatoirement des programmes spécifiques de prévention ou de promotion de la santé, et que l'évaluation de ces programmes comporte nécessairement une appréciation de leur volet financier.

Ensuite, pour accentuer la lutte contre l'alcoolisme, il faudrait limiter la taille des publicités pour l'alcool. Actuellement, dans les agglomérations, on constate la présence de très nombreux panneaux publicitaires qui vantent les mérites de l'alcool. Les articles du code de l'environnement imposent des formats pour les panneaux publicitaires en fonction du nombre d'habitants des agglomérations et des caractéristiques des dispositifs. Les panneaux publicitaires concernant l'alcool relèvent de la même réglementation que les autres panneaux, sous réserve de certaines mentions légales s'appliquant au contenu des affiches. Toutefois, pour mieux lutter contre la consommation excessive de boissons alcoolisées, il serait possible de réduire de moitié toutes les surfaces autorisées en matière d'affichage lorsque la publicité a trait à ces produits. De même, on pourrait interdire l'affichage en faveur des boissons alcoolisées à moins de 40 mètres des établissements scolaires.

Par ailleurs, en attendant la publication des derniers arrêtés de la loi Lurel sur le taux de sucre, je propose la création de logos pour les boissons alcoolisées et sucrées. De même que le projet de loi propose de créer des pictogrammes sur les emballages de produits alimentaires pour informer les consommateurs de la qualité nutritionnelle de ces produits, on pourrait créer des pictogrammes sur les bouteilles d'alcool et sur celles des boissons sucrées pour informer les acheteurs des risques encourus par la consommation excessive de telles boissons.

Il pourrait être intéressant que le Gouvernement favorise l'émergence de pôles d'excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans une ou deux zones géographiques concernant tout particulièrement les Outre-mer, par exemple l'océan Indien ou les Caraïbes. En effet, une fois mis en place, ces pôles pourraient contribuer puissamment, par le biais de la découverte de thérapies innovantes, au développement de l'offre de soins.

Pour favoriser la solidarité internationale et pour accroître l'offre de soins dans les DOM, les infrastructures destinées à la coopération internationale servant aussi aux ultramarins, il serait bon d'encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Dans les DROM (départements et régions d'outre-mer), actuellement, de tels accords de coopération peuvent être conclus aussi bien par le Gouvernement que par les présidents des conseils généraux ou régionaux. Après les élections de décembre 2015, le pouvoir de négocier et de conclure des accords appartiendra conjointement au Gouvernement, aux présidents de département ou de région et, pour la Martinique et la Guyane qui ont opté pour le statut de collectivité unique, aux présidents des nouvelles assemblées délibérantes qui devront remplacer les conseils généraux et les conseils régionaux. Il serait souhaitable que le nombre de ces accords augmente sensiblement dans l'avenir.

Dans le domaine hospitalier, je propose la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d'outre-mer, pour améliorer les possibilités de formation, ainsi que de consultation ou d'offre de soins. La Délégation aux outre-mer a pris note avec intérêt de la déclaration interministérielle du 27 janvier dernier, selon laquelle 7 nouveaux postes de praticiens hospitaliers seraient créés prochainement dans les CHU des Antilles, de La Réunion et de la Guyane. Bien entendu, la création de ces 7 postes, si elle revêt une grande importance dans le cadre du renforcement de la qualité des soins, de la formation médicale et de la recherche outre-mer, ne saurait suffire pour répondre à tous les besoins. D'où la proposition de la Délégation, qui est complémentaire.

Il conviendrait aussi de favoriser la télémédecine à Wallis-et-Futuna. Compte tenu de l'éloignement du territoire et de sa faible densité médicale, il s'agirait là d'un moyen très opérant pour améliorer tant la prévention que l'offre de soins.

Je demande également un rapport pour généraliser à Mayotte la CMU-c.

En dernier lieu, je préconise que l'on incite les étudiants en médecine à venir faire leur stage de troisième cycle dans les DOM. Cela pourrait être réalisé par le biais de contrats tripartites entre les étudiants, les collectivités locales et les hôpitaux ou les cabinets médicaux. La mesure permettrait d'augmenter la densité médicale dans les DOM car les étudiants, pour avoir connu ces collectivités au moment de leur stage, seraient sans doute portés à revenir dans ces territoires une fois leur diplôme obtenu.

Mesdames les ministres, vous aurez bien compris que ces quelques propositions qui figurent dans mon rapport se résument à une question unique : seriez-vous disposées à nous aider, à l'occasion de l'examen du texte, à faire passer ces préconisations dans le droit positif ?

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