Intervention de Philippe Baumel

Réunion du 11 février 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel, rapporteur :

Le choix du Cameroun comme destination de notre mission d'information sur le thème « stabilité et développement de l'Afrique francophone », s'était fait initialement parce que ce pays, qui jouit d'une relative stabilité n'est cependant pas exempt de fragilités qu'il importait d'analyser. L'actualité a renforcé l'acuité de la question avec la menace directe que Boko Haram représente désormais pour le Cameroun, ainsi que pour l'ensemble de ses voisins, victimes d'une dérive sectaire extrêmement inquiétante. On a ici un abcès de fixation d'autres crises que l'on a déjà étudiées ici. Les nombreuses rencontres que nous avons eues, à Yaoundé et Douala, nous ont permis d'analyser ces dérives et ces tensions.

Boko Haram existe depuis le début des années 1980. Cette secte est assise sur une vision extrémiste de l'islam, prône l'instauration de la charia et a des revendications tendant à la restauration d'un califat ancien sur le territoire qu'elle occupe. Elle a des ambitions à la fois politiques et religieuses. Il faut aussi rappeler qu'elle s'est développée par ses propres exactions et aussi en réaction à la répression très violente des autorités nigérianes qui n'a fait qu'aggraver l'escalade de la violence et s'est finalement traduite par une succession de massacres répétés au Nord du Nigeria. Jusqu'à une période récente, le Cameroun était exempt de ces troubles et n'était utilisé que comme base de repli. Plusieurs régions du Nord du Nigeria sont en revanche aux mains de Boko Haram qui occupe une superficie équivalant à deux fois le Liban. Cette zone est soumise à ses razzias permanentes. Boko Haram pille, détruit et massacre, fait des incursions sur les zones frontalières à l'étranger pour s'approvisionner, notamment dans le Nord du Cameroun.

On constate une véritable incapacité des autorités du Nigeria à faire face efficacement à la progression de Boko Haram, dont l'emprise territoriale n'a fait que s'étendre. La situation sur le terrain n'a cessé d'empirer, ses recrutements se sont élargis jusqu'aux enfants de cinq ans, qui sont formés aux pratiques les plus barbares. Nous avons eu l'occasion de visionner des images d'égorgements de gendarmes par des enfants d'une dizaine d'années. Cette situation repose aussi sur une situation économique et sociale particulière, dans laquelle la pauvreté est accablante et Boko Haram vient en pourvoyeur de rémunérations, de femmes acquises sans dot, de moyens de locomotion, qu'il fournit aux jeunes désoeuvrés. Boko Haram satisfait ainsi, aussi, aux attentes sociales des plus jeunes.

Les capacités militaires et d'organisation de Boko Haram sont remarquables, comme a pu en témoigner leur attaque au début du mois de janvier sur Baga. La secte dispose d'armes lourdes, qu'elle a notamment obtenues par le pillage de stocks militaires nigérians, par des achats aussi auprès de hauts gradés de l'armée nigériane ; elle a des moyens considérables, ses ressources de financements sont variées, « impôt révolutionnaire », trafics en tout genre, de diamants de la République centrafricaine, par exemple aujourd'hui, en quantité significative, commerce de bétail capturé ou autre.

Au Cameroun, la situation s'est fortement détériorée en quelques mois. L'armée n'a pas su endiguer les razzias de Boko Haram et elle n'a pas fait la preuve de son efficacité. Seul le Bataillon d'intervention rapide, le BIR, la garde présidentielle, en fait, a montré sa force, grâce à son entraînement qui est remarquable, et malgré des effectifs réduits. Il est intervenu sur le terrain et a permis de contenir Boko Haram hors du territoire, au prix toutefois de pertes importantes. C'est la raison pour laquelle le président Biya a récemment fait appel au Tchad pour qu'il apporte un soutien militaire et permette de changer la donne. Le Tchad a même effectué des incursions en territoire nigérian et a permis de faire reculer la ligne de front. Cela étant, la population, qui n'a plus de moyens de subsistance, a fui la région, les zones frontalières sont désertées et les habitants se sont réfugiés dans les grandes villes et centres de réfugiés où ils vivent dans des conditions de précarité d'ores et déjà extrêmes. De fortes tensions humanitaires sont à craindre à court terme, d'autant qu'il leur sera durablement impossible de retourner chez eux.

La menace de guerre est très présente dans les esprits à Yaoundé, où l'on se montre très préoccupé, même si la barrière montagneuse de la chaîne des Adamawa fait tampon. A l'encontre de ce que disait le chef d'État-major hier, le trafic entre la République centrafricaine et le Cameroun comme vers le Tchad, est interrompu et la circulation est des plus faible. Des efforts ont été faits mais il y a de nouveau un complet blocage.

A Douala, les préoccupations sont autres. On s'inquiète plus de la détérioration du climat des affaires, de la prévarication ici comme ailleurs, mais particulièrement rapace, aux contrôles fiscaux et administratifs tatillons, qu'à ce qui peut se passer dans le grand Nord, lointain. Nous sommes dans une fin de cycle politique, avec un Président de la République vieillissant, de plus de 80 ans, dont certains profitent. Cette situation générale pèse sur les affaires, malgré les potentialités du pays.

S'agissant du Tchad et du Niger, les voies de communications sont interrompues ou dégradées. Les populations de l'extrême Nord du Cameroun sont les mêmes que celles des pays voisins de la zone, et elles ont des relations transfrontalières privilégiées, des liens familiaux ou ethniques.

Les connexions internationales de Boko Haram sont fortes et des relations ont eu lieu au Nigeria avec Aqmi et les Shebab somaliens, ce qui traduit une internationalisation de ces mouvements sectaires extrémistes, tout comme avec la République centrafricaine.

Les forces armées du Cameroun ont reçu le soutien de celles du Tchad. Depuis le sommet de Paris en mai 2014, qui a marqué une étape importante, la réponse internationale s'organise. Des patrouilles conjointes ont commencé d'être organisées, au Nigeria et avec son accord, même si ce pays n'a pas tout à fait joué le jeu, notamment en ne communiquant pas tous les renseignements militaires nécessaires à la connaissance des bases de Boko Haram. Fin janvier, une réunion régionale de haut niveau a eu lieu à Niamey sous l'égide de l'Union africaine, à laquelle le Nigeria n'était représenté que par son ambassadeur, ce qui a été mal perçu. Tout dernièrement, l'Union africaine a décidé la constitution d'une force multinationale de 7500 hommes, qui ne sera effective que dans plusieurs semaines ; elle sera basée à N'Djamena et sera sous commandement tournant.

La question des élections au Nigeria est un point sensible. Le scrutin vient d'être reporté de six semaines, mais une grande incertitude demeure sur la capacité du Nigeria à orchestrer la réponse contre Boko Haram qu'il n'a pas su structurer jusqu'à aujourd'hui, même si les pays voisins gardent espoir. Goodluck Jonathan, qui se représente, n'a pas été efficace et s'est désintéressé de la question et on peut donc se demander quelle est sa capacité de contrôle de la situation à ce jour.

Beaucoup de nos interlocuteurs camerounais se sont interrogés sur la place de la France dans la réponse à apporter. Nous avons été stupéfaits de l'interprétation faite de la position de la France qui serait derrière Boko Haram, qu'elle armerait, manifestant ainsi au Cameroun son appétit de déstabilisation de chefs d'Etat africains. Tout cela est absurde et nous l'avons combattu. Cela se produit dans un contexte de fin de règne dans lequel on n'hésite pas à caricaturer la position de la France de crainte qu'elle ne vienne rappeler un certain nombre de principes qui lui tiennent à coeur. On reproche aussi à la France de ne pas être suffisamment aux côtés du Cameroun au moment où il est agressé, alors qu'elle l'a fait au Mali et en République centrafricaine et cela est d'autant moins compris que les Camerounais soulignent à l'envi que leur pays a toujours donné des réponses positives à nos demandes de transit de matériel vers la République centrafricaine, ou en matière de renseignement diplomatique.

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