Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 11 février 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, rapporteure :

Le projet de loi qui nous est soumis autorise l'approbation d'un protocole signé par la France et par l'Albanie, le 8 avril 2013 à Tirana, en vue de faciliter l'application d'un accord précédemment conclu par la Communauté européenne et par l'Albanie, le 14 avril 2005, en matière de réadmission des personnes en séjour irrégulier.

Comme le protocole d'application de 2013 a pour fondement juridique direct l'accord de 2005, je commencerai par vous présenter l'économie générale de ce premier accord, puis son articulation avec le protocole dont nous sommes saisis, et enfin les enjeux migratoires qui sous-tendent la coopération bilatérale dans ce domaine.

A l'instar d'autres accords de réadmission signés avec divers pays de l'Europe balkanique, notamment la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM) et la Serbie, l'accord de 2005 avec l'Albanie vise à établir des procédures rapides et efficaces pour l'identification et le rapatriement des personnes qui ne remplissent pas, ou ne remplissent plus, les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'Albanie ou de l'un des Etats membres de l'Union européenne, et de faciliter le transit de ces personnes. Cet accord de réadmission est entré en vigueur dès le 1er mai 2006.

Il s'applique à toute personne dont il est prouvé ou valablement présumé qu'elle est un ressortissant de l'une des Parties à l'accord. L'annexe 1 établit une liste commune de documents dont la présentation est considérée par les Parties comme une preuve de la nationalité, sans qu'il soit besoin d'une enquête complémentaire. L'annexe 2 fixe une seconde liste commune, très large, de documents dont la présentation est considérée comme un « commencement de preuve de la nationalité », reconnu comme valable à moins qu'il ne soit possible de lever la présomption. Il peut notamment s'agir d'une photocopie de permis de conduire ou d'un extrait de naissance, d'une carte de service d'entreprise ou d'une déclaration d'un témoin.

Sauf quelques cas limitativement prévus, l'obligation de réadmission concerne également les ressortissants de pays tiers et les apatrides, lorsqu'ils sont entrés sur le territoire de la Partie requérante en possession d'un visa ou d'une autorisation de séjour délivré par la Partie à laquelle la réadmission est demandée, ou bien si ces ressortissants étrangers ont séjourné ou transité sur le territoire de cette Partie.

En vertu de l'article 10 de l'accord communautaire, une demande de réadmission doit recevoir une réponse dans un délai maximal de 14 jours à compter de la réception de la demande. Tout refus d'une demande de réadmission doit être motivé. En l'absence de réponse dans le délai de 14 jours, le transfert de la personne concernée est réputé approuvé.

Sous certaines conditions destinées à protéger les droits des personnes concernées, l'accord de 2005 comporte aussi des stipulations relatives au transit vers un Etat tiers de destination finale – un Etat qui n'est ni le pays requérant la réadmission ni le pays requis. Un tel transit n'est autorisé que si la poursuite du voyage dans d'autres Etats de transit éventuels et la réadmission par l'Etat de destination sont garanties. L'Etat requis peut refuser le transit dans certaines conditions, notamment en cas de risque de persécutions ou de torture ou d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Au plan financier, il est prévu que tous les frais de transport engagés jusqu'à la frontière de l'Etat de destination finale sont à la charge de l'Etat qui demande la réadmission.

Conformément à l'article 19 de l'accord de 2005, l'Albanie et tout Etat membre de l'Union européenne ont la faculté de conclure des protocoles bilatéraux d'application afin de préciser un certain nombre de règles relatives à leurs relations bilatérales. Le champ de ces protocoles bilatéraux d'application, dont fait partie celui qui nous est soumis, couvre les domaines suivants :

- la désignation des autorités compétentes pour l'application de l'accord de réadmission, les points de passage frontaliers et l'échange des points de contact ;

- les conditions applicables au rapatriement sous escorte, y compris le transit vers un autre Etat de destination finale que l'une des Parties à l'accord ;

- les moyens et les documents complémentaires de preuve qui doivent être utilisés à l'appui d'une demande de réadmission.

Telle est la portée, somme toute assez restreinte, du protocole qui nous est soumis. L'Albanie a signé d'autres protocoles bilatéraux avec l'Italie, l'Allemagne, la Suède, la Hongrie, ou encore la Grande-Bretagne.

Il faut noter qu'il n'existe aucune automaticité entre la signature d'un accord communautaire de réadmission avec un pays tiers et la signature, par la France, d'un protocole bilatéral d'application. Tout dépend de l'évaluation qui est faite de l'apport potentiel d'un tel outil juridique, notamment au regard des enjeux migratoires entre les deux pays et de l'état de la coopération consulaire. J'en viens à ces deux aspects.

Depuis le 15 décembre 2010, les ressortissants albanais titulaires d'un passeport biométrique sont exemptés de visa pour entrer dans l'espace Schengen. Cette levée de l'obligation de visa a fortement modifié les flux migratoires en provenance de l'Albanie.

En ce qui concerne l'immigration régulière, la délivrance des premiers titres de séjour à des ressortissants albanais a augmenté de 57,7 % entre 2010 et 2013. La communauté légale albanaise était estimée en 2013 à environ 8 600 personnes, principalement installées dans trois régions : Rhône-Alpes (un peu plus de 2 500 personnes), la Lorraine (près de 1 000 personnes) et l'Ile-de-France (environ 870 personnes).

Les indicateurs sont également à la hausse en ce qui concerne l'immigration irrégulière. Le nombre des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des ressortissants albanais en situation irrégulière a crû de 271,9 % entre 2009 et 2014. Une large majorité des interpellations est réalisée à la frontière franco-italienne, dans le Sud-Est du pays, ainsi que dans le Nord et le Pas-de-Calais, à proximité des liens Transmanche vers le Royaume-Uni.

La question des flux migratoires originaires de l'Albanie peut aussi être abordée sous l'angle des déboutés du droit d'asile. Bien que l'OFPRA ait reclassé en 2013 l'Albanie dans la liste des « pays d'origine sûrs », la demande d'asile albanaise demeure élevée, avec 2 995 demandes enregistrées en 2014, contre 3 338 l'année précédente. Le pourcentage des déboutés est également élevé. En 2013, sur 2 132 décisions prises à l'égard de ressortissants albanais, l'OFPRA n'a reconnu une protection internationale qu'à 87 personnes, c'est-à-dire dans 4,1 % des cas. Au total, si l'on prend en compte les décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), seuls 179 Albanais se sont vu reconnaître le droit d'asile en 2013.

Afin de bien prendre en compte les enjeux migratoires, il faut aussi rappeler que l'Albanie n'est pas seulement une source d'immigration vers la France, mais aussi une zone de transit majeure pour les ressortissants des Balkans, de Syrie, de Turquie, d'Afghanistan, du Pakistan et plus récemment d'Afrique (Maghreb, Somalie, Nigeria), qui cherchent à rejoindre l'espace Schengen illégalement.

Des passages ou tentatives de passage de la Grèce vers l'Albanie ont lieu quasiment chaque jour. Selon les autorités albanaises, les transits de migrants ont augmenté en 2013, avec environ 145 interpellations mensuelles. Ils sont ensuite revenus, au 1er semestre 2014, à une moyenne de 100 interpellations par mois.

Deux routes sont privilégiées afin de rejoindre l'espace Schengen : la première, au départ de la Grèce, transite par l'Albanie puis par le Monténégro, la Croatie, la Slovénie pour rejoindre l'Italie, la France ou la Grande-Bretagne ; la seconde, toujours au départ de la Grèce, transite par l'Albanie puis par le Kosovo, la Serbie, la Hongrie et l'Autriche pour atteindre, entre autres destinations, la France.

A la nécessité de lutter contre les filières d'immigration clandestine – 8 filières impliquant des ressortissants albanais ont été démantelées en 2014, contre 9 en 2013 –, s'ajoute celle de lutter contre la traite des êtres humains. Il existe en effet des réseaux conduisant de jeunes femmes albanaises, parfois mineures, à quitter leur pays, légalement ou clandestinement, afin d'être ensuite intégrées à des réseaux de prostitution. Ce développement de la traite des êtres humains, qui concernait d'abord le Kosovo, la Macédoine et l'Italie, s'est étendu depuis 2012-2013 à la France, à la Belgique, à la Suisse, à l'Allemagne et à la Grande-Bretagne.

En réponse à cette situation assez préoccupante, à bien des égards, l'Albanie tente de mettre en oeuvre un meilleur contrôle des frontières et une gestion plus efficace des flux migratoires, en appliquant diverses mesures que je présente plus en détail dans mon rapport. Malgré une volonté de se mettre au niveau européen, le bilan reste assez contrasté.

En ce qui concerne la coopération avec l'Albanie, il faut noter que ce pays accepte déjà les réadmissions. En 2014, plus de 1 300 Albanais ont été réadmis dans leur pays d'origine, contre environ 900 en 2013. L'Albanie donnerait « toute satisfaction » dans sa coopération avec la France en matière de délivrance de laissez-passer consulaires (LPC), le taux de délivrance étant supérieur à 80 % depuis plusieurs années.

Au plan juridique, l'Albanie applique déjà l'accord de réadmission de 2005, de même que le protocole bilatéral d'application qui nous est soumis. A ce stade, il n'a pourtant été ratifié que par l'Albanie, dès le 5 mai 2013, et il n'est donc pas entré en vigueur.

Mes chers collègues, tels sont les enjeux du protocole qui nous est soumis : d'une part, des enjeux migratoires importants, qui nécessitent une action coordonnée efficace entre la France et l'Albanie ; d'autre part, une coopération déjà satisfaisante, qu'il convient de conforter en autorisant l'approbation du présent protocole. Nous sécuriserons ainsi des mécanismes utiles dans la relation bilatérale.

Au bénéfice de ces différentes observations, je vous propose d'adopter le projet de loi qui nous est soumis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion