Intervention de Didier Quentin

Réunion du 11 février 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

Ces deux accords ont été signés à Paris, le 20 juillet 2011. Le 17 avril 2012, les autorités jordaniennes ont officiellement fait connaître l'accomplissement des procédures exigées par leur ordre juridique interne. Ils visent à renforcer la coopération judiciaire en matière pénale entre les deux pays sur une base plus prévisible et contraignante que ce que prévoit la courtoisie internationale.

Les présentes conventions sont les premières du type signées par le Royaume avec un pays de l'Union européenne, et ont ouvert la voie, puisque leur signature a été suivie par la conclusion d'accords similaires avec le Royaume-Uni en 2013.

Comme en témoigne la régularité de nos contacts bilatéraux à haut niveau, le dialogue entre la France et la Jordanie repose sur de solides liens d'amitié et de confiance, doublés d'une grande proximité de vues sur les dossiers régionaux et internationaux.

Le Roi Abdallah II de Jordanie a effectué une visite de travail en France, les 17 et 18 septembre 2014, au cours de laquelle il a été reçu par le Président de la République, le Premier ministre, ainsi que par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ce déplacement a été l'occasion d'un dialogue approfondi sur les crises régionales et a fait l'objet d'un communiqué conjoint.

La France et la Jordanie ont ainsi rappelé leur soutien conjoint à la mobilisation internationale contre le terrorisme, ainsi qu'au nouveau gouvernement irakien ; la nécessité de relancer les efforts de paix israélo-palestiniens ; leur condamnation unanime de la violence en Syrie et l'urgence de la mise en place d'une transition menant à une solution politique globale.

De son côté, M. Laurent Fabius, qui a reçu son homologue M. Nasser Joudeh, le 8 janvier dernier, a salué la stabilité de la Jordanie et son rôle essentiel dans la région, et rappelé que le Royaume hachémite devait pouvoir compter sur l'appui de la France pour faire face aux effets déstabilisateurs des crises syrienne et irakienne, non seulement sur la scène intérieure, mais aussi à l'étranger. Après l'exécution par Daech le 3 janvier 2015, d'un officier de l'armée jordanienne, Maaz Al-Kassasbeh, qu'elle avait capturé en décembre après avoir abattu son avion de combat dans la province de Rakka, en Syrie, le Président François Hollande a marqué sa solidarité avec la Jordanie en condamnant « un assassinat barbare ». Il a également rappelé que « la France et la Jordanie continueront d'agir ensemble contre les terroristes et pour la paix au Moyen-Orient. »

Notre coopération en matière de sécurité avec la Jordanie a pour objectif de contribuer à la stabilité intérieure du pays, en vertu de son rôle de modérateur régional mais aussi de conforter nos intérêts sécuritaires et économiques. Elle privilégie une stratégie d'influence visant des secteurs essentiels pour la stabilité du royaume hachémite, notamment les forces spéciales, pilier du régime et coeur de notre relation de défense, ou qui correspondent à des domaines d'excellence reconnue à la France.

L'engagement de la Jordanie dans la coalition internationale contre Daech, véritable tournant dans la diplomatie de ce pays qui ne s'était pas engagé sur un théâtre extérieur depuis les années 1970, a accéléré le rythme de notre coopération militaire opérationnelle : la France a déployé, fin 2014, en Jordanie un détachement de guerre électronique, ainsi qu'un C-160 Gabriel et un plot chasse composé de 6 Mirage-2000. Les échanges dans le domaine du renseignement d'intérêt militaire avec la Jordanie sont, par ailleurs, prometteurs.

S'agissant de la sécurité intérieure, notre coopération connaît un fort développement sous l'impulsion du conseiller de la Gendarmerie nationale mis en place auprès de la gendarmerie royale et au travers d'actions de formation dans les domaines privilégiés du maintien de l'ordre et de la lutte anti-terroriste.

La France et la Jordanie sont, enfin, tous deux membres fondateurs du Forum global contre le terrorisme qui regroupe 29 Etats depuis 2011. Les objectifs de ce forum sont de promouvoir la mise en oeuvre de la stratégie mondiale des Nations Unies contre le terrorisme, faciliter les coopérations régionales, interrégionales et globales, et encourager une approche civile de la lutte contre le terrorisme. Nous participons activement avec la Jordanie aux échanges d'expertise au sein des groupes de travail.

Trois axes majeurs de coopération devraient, à long terme, être renforcés entre nos deux pays, visant notamment à lutter contre :

– le terrorisme. Il s'agit indiscutablement du type de criminalité le plus sensible. L'augmentation générale de la menace et le positionnement géostratégique de la Jordanie au coeur de la zone de crise renforcent plus que jamais l'intérêt des échanges dans ce domaine ;

– l'immigration illégale. La multiplication des conflits au Moyen-Orient se traduit notamment par une nette augmentation des flux d'émigration vers la France et l'Europe. La Jordanie constitue un point de départ possible pour les Palestiniens, les Syriens et les Irakiens. Sans être massif, ce flux migratoire illégal, par voie aérienne, concerne déjà vraisemblablement plusieurs centaines de personnes chaque année ;

– le trafic de stupéfiants. La Jordanie se présente comme un pays de transit pour le trafic de différents produits. Les conflits qui déstabilisent la région confortent le pays dans ce rôle.

C'est dans ce contexte de resserrement des liens entre nos deux pays que s'inscrivent les deux projets de loi qui sont aujourd'hui soumis à notre approbation.

La première convention a été signée, à la demande expresse de la Partie jordanienne, sur la base de la convention d'extradition en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat des Émirats arabes unis signée à Paris, le 2 mai 2007, et entrée en vigueur le 1er septembre 2009.

Les autorités d'Amman attachaient une grande importance au fait de pouvoir signer en premier lieu, au sein de l'Union européenne, avec la France avec laquelle elle entretient depuis plusieurs années d'excellentes relations dans le domaine de la coopération technique. La Jordanie espérait aussi que le texte signé avec la France puisse ensuite servir de modèle, de référence pour les négociations ultérieurement conduites par le Royaume avec d'autres pays européens. C'est d'ailleurs la convention franco-jordanienne qui a été utilisée comme base dans le cadre des discussions conduites avec les autorités britanniques.

Le texte s'inspire largement des conventions européennes d'entraide judiciaire en matière pénale respectivement du 20 avril 1959 et du 29 mai 2000. S'agissant de l'entraide, la France a en réalité davantage obtenu de contreparties qu'elle n'a concédé d'avantages. L'économie générale du texte prévoit de :

– limiter le champ et la finalité de l'entraide à la seule collecte des éléments de preuves ;

– établir des obligations de coopération en matière de recherche et d'identification des produits d'infractions pénales, de saisie, de confiscation, de restitution des produits du crime ;

– mettre en place certaines formes particulières d'entraide telles que : la comparution de témoins (y compris de personnes détenues), la remise d'actes judiciaires, la transmission d'extraits de casier judiciaire et l'audition par vidéoconférence ;

– préciser le contenu, la forme et les modalités de transmission des demandes d'entraide

– instituer les règles d'exécution des demandes d'entraide

– établir des garanties traditionnelles dans les conventions bilatérales de coopération judiciaire conclues par la France, qui reposent pour l'essentiel sur l'introduction : 1) de motifs de refus d'exécution et de report des demandes d'entraide, assortie d'une obligation de motivation et de notification à la partie requérante, 2) de règles relatives à la confidentialité et à l'utilisation de la demande et des éléments de preuve communiqués, et la possibilité d'émettre des conditions et restrictions à l'utilisation par la partie requérante des éléments de preuve transmis.

Quant à la convention d'extradition, les négociations se sont effectuées sur la base d'un projet français qui n'a subi que peu d'amendements.

La convention comporte les dispositions classiques de conventions bilatérales en la matière, tant en ce qui concerne les dispositions de fond (champ d'application et détermination des infractions donnant lieu à extradition, motifs de refus, peine capitale, principe de spécialité et exceptions, etc.), que les dispositions de procédure (contenu, formes et transmission des demandes, compléments d'informations, ré-extradition vers un Etat tiers, arrestation provisoire, concours de demandes, décision et remise, remise ajournée ou conditionnelle, information sur les résultats des poursuites pénales). Depuis 2000, seules deux demandes d'extradition ont été présentées, il y a plus de treize ans, entre 2001 et 2002, à l'initiative des autorités françaises. Les autorités jordaniennes n'ont pour leur part pas émis de demandes.

A la différence de certains États, qui ne coopèrent en matière pénale que sur le fondement d'une convention internationale, la France accepte de donner suite à une demande d'entraide étrangère même en l'absence de convention à condition que l'autorité étrangère, au titre de la réciprocité, offre ses services dans des affaires comparables, ce qui était le cas de la Jordanie. L'adoption de ces deux projets de loi ne devrait donc pas avoir d'impact juridique majeur en droit français, mais elle permettra de poursuivre sur des bases solides notre coopération en matière de justice et de sécurité avec un pays, dont la stabilité est chère à la France et dont le rôle est crucial dans une région aujourd'hui marquée par les crises et la menace terroriste.

Sous ces observations, j'invite la commission à adopter les deux projets de loi de ratification de ces accords.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion