Il faut distinguer l'évolution des pratiques et celle des institutions. Un élu a de nombreux outils à sa disposition : compte rendu de mandat, permanences, réunions diverses, débats et initiatives publiques. Mais on peut aussi envisager des avancées institutionnelles, telle la révocation, qui permet aux électeurs de se prononcer sur le respect de ses engagements par un élu, et sur son action.
Je crois cependant que nous devons nous méfier d'une pratique qui s'en tiendrait à la proximité. Alors que l'on constate aujourd'hui un recul du débat d'idées sur le projet de société et une réduction à l'économie du discours politique, j'ai l'impression que la recherche d'une super-proximité avec l'électeur remplace la volonté de le faire adhérer à un projet politique. On lui parle davantage de ses problèmes individuels et personnels que de l'intérêt général. En somme, le champ de l'activité politique se réduit.
Cette évolution pourrait presque laisser penser que l'élection au scrutin proportionnel ne correspond plus à la pratique politique, puisque la proportionnelle met davantage en avant le programme qu'un groupe soumet à l'électeur que le rapport individuel de l'élu avec ce dernier.
Je suis proche des électeurs, mais plus j'y pense, plus je crois qu'il est difficile de mener le débat d'idées dans le seul cadre interpersonnel de la proximité. Nous avons aussi besoin que l'élu s'adresse à tous pour que le débat politique et contradictoire prospère. Après avoir constaté que 70 % des personnes qui venaient me voir dans ma permanence souhaitaient résoudre un problème de logement, j'ai tenté d'organiser des réunions publiques afin de dépasser les cas individuels et d'aborder la question globalement, sous l'angle politique. J'ai alors constaté qu'il était très difficile de passer du personnel au collectif, car, même dans ce cadre, chacun continuait de demander que l'on résolve son problème. Notre rôle d'élu consiste pourtant, au-delà de la résolution indispensable des cas individuels, à permettre que les problèmes soient réglés pour tous de façon collective, et à créer un rapport de force qui modifie les conditions permettant de les résoudre. Une réflexion sur la proximité me paraît nécessaire.
Aujourd'hui, en France, le référendum est vilipendé. Lorsque nous recueillions des signatures pour présenter une pétition demandant que le traité constitutionnel européen soit soumis au référendum – car on oublie qu'il a d'abord fallu se battre pour que ce scrutin soit organisé –, on nous accusait d'être dans le camp des populistes. Lors de la campagne, les journalistes m'ont posé ensuite jour après jour la même question : « Comment pouvez-vous appeler à voter “non” comme le Front national ? ». Le débat politique était soudainement réduit à une simple alternative, et personne ne s'intéressait au champ propre de chacun des partisans du « non ».
Pourtant, le bilan de la campagne du référendum de 2005 est très positif et cette période reste l'un de mes plus beaux souvenirs de militante. Ce référendum a été un immense appel à l'intelligence. Jamais on n'a autant débattu dans notre pays. Partout, nos compatriotes cherchaient à se renseigner, à comprendre, à discuter. Ils découpaient des articles et parcouraient internet à la recherche d'informations pour porter la contradiction dans les réunions. C'est un travail colossal qui a été accompli, ce que certains n'ont pas voulu voir. Je me souviens du profond mépris qu'exprimèrent, lors d'un débat dans un théâtre non loin de l'Assemblée nationale, ceux qui me demandaient : « Comment voulez-vous que les gens dans la rue puissent comprendre un traité constitutionnel ? » Le ministre de l'économie de l'époque avait cru me ridiculiser en déclarant que le traité constitutionnel simplifierait la vie de l'Europe parce qu'il était bien moins volumineux que l'ensemble des actes européens en vigueur et qu'il en avait disposé l'impressionnante masse devant lui pour bien montrer la différence avec le traité. Il fallait vraiment prendre les gens pour des imbéciles pour penser qu'ils goberaient un tel discours. Pour ma part, je suis au contraire persuadée que le référendum peut constituer une démarche d'éducation populaire, et élever le niveau du débat politique.
Mais quelle claque reçoivent l'intelligence et le débat si la décision populaire n'est pas respectée ! Dès lors que les citoyens s'emparent du débat politique, comment leur reprocher d'exprimer des doutes si, une fois qu'ils se sont prononcés, on leur explique qu'ils se sont trompés, qu'il fallait voter autrement et que leur choix n'aura aucune conséquence ?
Le référendum suscite de ma part une seule interrogation relative au champ des questions qui peuvent être posées. Faut-il le limiter ? Cette préoccupation rejoint celle de Virginie Tournay qui posait le problème de la compatibilité entre sujets scientifiques et référendum.