Il est légitime de s'interroger sur le référendum si l'on veut que les gouvernés deviennent des gouvernants. Cette évolution est à la fois le propre et l'horizon même de la démocratie. Or, si l'horizon est nécessaire, il est par nature ce que l'on n'atteint jamais. Le problème et la question ont donc vocation à perdurer.
Madame Morel, monsieur Giraux, vos interventions ont montré que le référendum était un outil complexe à multiples facettes dont l'usage posait de nombreux problèmes. Que répondriez-vous au sceptique qui penserait que le référendum ne supprime pas le problème de l'intermédiation ? L'outil est certes utile, mais il reste entre les mains des gouvernants : ce sont toujours les détenteurs du pouvoir qui s'en sont servi pour poser une question aux gouvernés. En théorie, il s'agit de rendre la parole au peuple, mais, en pratique, les partis ou des mouvements qui se créent à l'occasion d'une consultation redonnent quasi systématiquement de la structure à l'initiative populaire. Comment faire pour que le référendum, la révocation sur le modèle du recall américain, les pétitions ou le parrainage citoyen relèvent véritablement d'initiatives citoyennes et échappent à l'intermédiation ?
En 2012, le rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dite « commission Jospin », proposait un parrainage citoyen pour les candidatures à l'élection présidentielle. Belle idée, mais une disposition similaire est déjà inscrite dans la Constitution portugaise et, dans les faits, l'initiative citoyenne a été reprise en main par les partis.
Si, en France, le référendum pose problème, c'est parce que nous sommes partagés entre deux traditions. Il y a, d'une part, celle des journées révolutionnaires, plutôt de gauche et liée à la Révolution française, selon laquelle le peuple, qui n'a pas confiance en ses gouvernants, s'exprime directement dans la rue quand il le souhaite – la grande manifestation du 11 janvier dernier en est un exemple. Nous héritons d'autre part d'une tradition bien différente, issue d'une histoire qui va de Mac Mahon au gaullisme, selon laquelle le chef de l'État est le représentant direct de la nation qu'il incarne. Sous la Ve République, il devient dès lors difficile de faire cohabiter l'élection du Président de la République au suffrage universel direct et les référendums. Il me semble que, si le référendum est peu utilisé en France, c'est parce que la médiation de la volonté populaire y est trop forte. Il est à ce titre symptomatique qu'une seule des vingt-deux révisions constitutionnelles adoptées depuis 1962 ait été soumise au peuple : sur le sujet précis pour lequel on attendrait du peuple qu'il exerce le pouvoir constituant, on évite de faire appel à lui et on passe par le Congrès.
En France – et dans d'autres démocraties –, le référendum paraît un peu daté : c'est qu'il faut désormais compter avec les sondages – ceux-là mêmes qui viennent d'être cités pour mesurer l'absence de confiance envers les politiques –, internet ou de nouveaux modes de mobilisation qu'a évoqués Mme Dagoma.
En 2005 – vous l'avez rappelé, madame Buffet –, les gens se sont saisis du débat sur le traité constitutionnel alors que certains pensaient qu'ils étaient incapables de le comprendre. À vrai dire, les techniciens eux-mêmes avaient du mal à lire ce texte, qui était en fait peu constitutionnel et ne posait pas les véritables questions politiques : la question de l'élargissement était mise de côté et la description incroyablement absconse de la tuyauterie issue des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing ne permettait pas de comprendre comment le pouvoir politique s'exerçait à Bruxelles. Mais ce qu'a parfaitement compris le peuple français, qui est éminent politique et politiquement intelligent, c'est qu'il y avait bien de la politique dans tout cela, et qu'on voulait lui faire avaliser une décision déjà prise. C'est la raison pour laquelle ce référendum a mobilisé nos concitoyens : dans notre pays, le peuple se saisit du référendum quand il y voit de la politique – de la haute politique.