J'ai parfois le sentiment que le référendum donne lieu à des querelles théologiques opposant deux conceptions de la création de la règle, avec, d'un côté, la loi issue de la volonté générale, et, de l'autre, le droit issu de la société civile. Je me souviens que le doyen Carbonnier s'interrogeait en ces termes : « Certes, la volonté nationale est une foi, mais la hiérarchie des normes n'est-elle pas une transcendance tout aussi mystérieuse ? » La question est là, et le débat du partage entre l'intérêt général et les intérêts particuliers est posé. Nous sommes tous tentés par l'idée d'un rapprochement entre le citoyen et la loi par le détour du droit mais, au détour du droit, ne finirons-nous pas par créer les conditions qui feront de la France, non plus un agrégat « inconstitué », mais un agrégat constitué de peuples désunis ?
Le référendum de l'article 11, tel qu'il est issu des débats de la révision de 2008, n'est ni un référendum ni d'initiative populaire. Il échoue à résoudre le problème de l'initiative. Mais comment parvenir à faire trancher une question par le peuple sans que la réponse dépende de ceux qui l'interrogent ?
N'oublions pas que, en démocratie, la légitimité du référendum est aussi déterminée par la façon dont ceux qui posent une question engagent leur responsabilité. L'« échec » de 2005 ne concerne peut-être pas le résultat du référendum, mais le fait que ceux-là mêmes qui l'ont organisé contestent en quelque sorte sa légitimité en ne se démettant pas. Je crois qu'il faut que la responsabilité de ceux qui posent une question soit engagée. Or comment imaginer un tel engagement si la question est posée à l'initiative d'un certain nombre de citoyens ? Même si l'on devait exiger qu'ils soient très nombreux, que serait la responsabilité du million de personnes ayant provoqué un référendum ? Quid de sa légitimité ? Mis à part celui relatif à la Nouvelle-Calédonie, en 1988, je ne connais guère de référendum parmi ceux organisés depuis le Second Empire dont la légitimité n'ait pas été contestée – ce fut même le cas pour celui du 8 avril 1962 relatif à l'indépendance de l'Algérie, puisque tout le corps électoral n'était pas appelé à voter. En tout état de cause, l'exercice de la responsabilité est une exigence légitime quant au fonctionnement normal de la démocratie.