Le référendum pose manifestement la question de la compatibilité entre le système représentatif et la démocratie. Le seul fait que les élections, notamment celle du Président de la République, soient considérées comme des retours au peuple indique bien que ce dernier risque de subir des éclipses entre deux invitations aux urnes. L'articulation du système représentatif avec la démocratie est d'autant moins évidente que l'une des fonctions de ce système consiste précisément à permettre aux citoyens de se consacrer à d'autres secteurs d'activité que la politique pendant la durée des mandats – je pense en particulier aux activités économiques. Le référendum présente donc l'intérêt de « repolitiser » les citoyens : il permet de les intéresser directement à la constitution de la volonté générale qu'évoquait Alain-Gérard Slama.
Je m'interroge toutefois sur son champ. En effet, la volonté du peuple qu'il remet en scène résulte parfois de médiations et de manipulations qui ne sont pas toujours issues directement du champ politique, mais plutôt de son organisation médiatique. Les conditions de la formation de la volonté générale et celles du débat référendaire méritent donc d'être interrogées, sachant que le référendum se caractérise par une certaine brutalité liée à la nature généralement binaire des réponses qu'il apporte – même si M. Giraux nous a montré que ce n'était pas toujours le cas.
Jean-Jacques Rousseau peut nous aider à résoudre la question du champ du référendum. Ennemi acharné du principe représentatif et auteur qui n'était pas étranger à la Suisse, il considérait que la volonté générale s'exprimait dans la loi qui vient de tous et s'applique à tous, à la différence du décret. Une question portant sur un objet particulier, comme les minarets, ne semble ni relever de ce champ ni nécessiter un appel à la volonté générale. Il est clair, en revanche, que l'on peut demander au peuple de se prononcer sur la Constitution qui, par nature, concerne la totalité des citoyens. Je suggère en conséquence de réserver le référendum au domaine général de la loi et de l'exclure pour ce qui relève du particulier, de l'exécutif, de l'ordre public ou du traitement réservé à une partie de la population. Il me paraîtrait ainsi illégitime de demander au peuple dans sa totalité de se prononcer sur les questions liées à l'immigration, car les effets des décisions qu'il prendrait concerneraient un groupe particulier.
Puisque « nul n'est injuste envers lui-même », Rousseau considère en effet qu'il faut impérativement, pour qu'une loi soit juste, que ses auteurs et ceux qui l'exécuteront sachent par avance qu'elle s'appliquera nécessairement à eux – c'est le fondement de son opposition au système représentatif. Le référendum, « appel au peuple », ne peut donc être légitime que si tout le peuple sait qu'il sera soumis à la décision générale qu'on lui demande de prendre. Institutionnellement, vous semble-t-il possible de limiter de façon presque formelle le champ du référendum sans énumérer par avance les objets sur lesquels il pourrait porter ou qui en seraient exclus, mais en retenant le critère de la nature législative de la question posée ? D'autres pays suivent-ils cette pratique ?