Je reviens sur mon désaccord avec M. Thibault quant aux vertus de notre système. Toutes les études montrent que la démarche de syndicalisation répond à un intérêt ressenti par le salarié. Or, en France, les salariés n'ont aucun intérêt autre qu'idéologique à se syndiquer car ils bénéficient de tous les avantages négociés par les syndicats sans y appartenir. Il y a donc une explication à la faiblesse du taux de syndicalisation.
La logique des pays scandinaves, que nous prenons si souvent en exemple, est différente. Les syndicats s'y inscrivent dans une démarche de service – vous avez évoqué l'assurance chômage, mais celle-ci est optionnelle. Cela introduit une forme de concurrence entre des organismes qui, s'ils ne sont pas assez efficaces, verront leurs effectifs baisser.
En France, le monopole de fait produit une inefficacité à terme. La priorité doit être de faire évoluer ce monopole dans tous les domaines. En Belgique, le taux de syndicalisation est plus élevé car les services d'accompagnement des demandeurs d'emploi sont différenciés selon les syndicats. Ceux-ci participent à la vie de l'entreprise, mais ils offrent aussi des services. L'action syndicale prend là une partie de son sens. Mais ce n'est pas possible en France car les syndicats jouent un rôle qui s'apparente à celui de législateur. L'appareil syndical est logiquement déconnecté des préoccupations de l'ensemble des salariés.
De nombreux permanents syndicaux, dont le métier est de négocier et de gérer, ne sont plus dans l'entreprise. C'est le coeur de notre problème. Les salariés manifestent de la défiance envers leurs représentants, car ils les estiment déconnectés. Ces derniers sont pour la plupart issus de très grandes entreprises. C'est vrai aussi, d'ailleurs, pour les représentants des employeurs : du côté patronal, la logique des grandes entreprises prime tout autant.
La situation actuelle est vécue comme un avantage par les grandes entreprises, parce qu'elle permet de limiter la concurrence de nouvelles entreprises, qui emploient des personnes plus jeunes, souvent moins payées mais dont les carrières peuvent évoluer. Le secteur marchand, qui compte 17 millions de salariés, n'est pas figé ! En France, quand on est jeune, on est au chômage parce que les accords collectifs freinent l'entrée sur le marché d'entreprises plus petites, plus dynamiques, qui offrent à leurs salariés de meilleures perspectives de carrière.
Nous sommes allés trop loin dans l'homogénéité. Pour les jeunes qui sont sous-représentés dans les appareils syndicaux, l'entrée sur le marché du travail est très difficile. Ce problème est en grande partie lié au mode de formation des salaires dans les branches, qui repose sur cette logique d'extension des avantages acquis par les salariés des grandes entreprises qui en ont les moyens, logique qui n'est pas favorable à la concurrence. Pourtant, ce sont les nouvelles entreprises, les petites entreprises, qui embauchent des jeunes.
Nous vivons dans un monde dynamique, qui favorise la croissance et les dynamiques salariales. Il faut regarder le monde tel qu'il est et non pas comme un monde statique dans lequel les inégalités de salaire seraient permanentes. Le système se bloque car les syndicats représentent trop les grandes entreprises, qui ne sont pas favorables à la dynamique de l'économie.
Sur ce sujet complexe, il faut se garder de toute proposition gadget. La principale exigence qui doit nous guider est celle de la relance de l'adhésion syndicale. C'est un point fondamental pour redonner de la confiance. La logique consistant à octroyer à tout le monde des avantages négociés par des personnes déléguées – sans que les conditions de cette délégation et les modalités de désignation de ces personnes soient clairement exposées – doit être revue. Il faut sans doute limiter l'extension des conventions collectives, qui est néfaste. Nous devrions nous inspirer de l'Espagne et du Portugal qui sont en train de revenir sur ce principe.
Je suis d'accord avec Bernard Thibault au sujet de la loi du 31 janvier 2007, pour des raisons sans doute différentes. Les accords interprofessionnels concernent une part importante de la population, mais leur impact macroéconomique n'est pas nécessairement pris en compte. Dans tous les domaines, le législateur doit jouer un rôle de premier plan et s'abstenir de transformer en loi des accords collectifs. L'ensemble des Français sont soumis aux lois alors que les partenaires sociaux ne représentent, dans le meilleur des cas, qu'une partie limitée de la population.