Intervention de Michel Winock

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Michel Winock, président :

Avant que soit donnée la parole à Bruno Latour, je voudrais réagir à ce que j'ai entendu au cours de l'audition précédente. La faiblesse de la syndicalisation représente en effet la plaie de notre démocratie sociale. Cependant, ni Pierre Cahuc ni Bernard Thibault n'ont évoqué la dimension historique et idéologique de ce phénomène. Aussi, pour justes qu'elles soient, les explications avancées – la peur des représailles ou l'inutilité de l'adhésion dès lors que l'on bénéficie automatiquement des accords passés par les représentants syndicaux – négligent-elles un facteur important : la division extrême du syndicalisme français, fruit de son histoire. Le premier syndicat – la Confédération générale du travail (CGT) – apparaît en 1895 ; en 1919 est créée la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), devenue plus tard la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; la grande scission de la CGT au moment de la guerre froide donne naissance à Force ouvrière (FO). Ces désaccords – qui ne semblent toujours pas surmontés – ternissent l'image du syndicalisme et concourent au manque d'enthousiasme des salariés.

Par ailleurs, notre mouvement ouvrier, syndical et socialiste, est porteur d'une culture particulière, très différente de celle de son homologue allemand. Les trois organisations qui en sont les piliers – la CGT née en 1895, le Parti socialiste créé en 1905 et le Parti communiste apparu en 1920 – ont été fondées sur le principe de la lutte de classes et sur l'espoir révolutionnaire. La révolution n'a pas eu lieu, mais cette culture reste profondément ancrée dans l'histoire de notre mouvement syndical, et tout particulièrement dans celle de la CGT. Or elle n'est pas forcément compatible avec le dialogue que Mme Zimmerman a observé de l'autre côté du Rhin. La culture social-démocrate allemande a permis l'émergence de la loi de cogestion, qui attribue un tiers des sièges dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises aux représentants des salariés – une avancée considérable en matière de démocratie sociale. Les syndicats et le parti social-démocrate ont voulu aller plus loin, exigeant la parité, mais se sont heurtés au refus des organisations patronales. Le conflit a été réglé de manière juridique : les organisations patronales ayant fait appel à la cour de Karlsruhe pour dénoncer la cogestion paritaire au nom du droit de propriété, la cour suprême allemande a jugé cette mesure constitutionnelle. Cette démarche tranche avec notre histoire syndicale ; la culture social-démocrate est celle du dialogue et du compromis entre les aspirations socialistes et le capitalisme, alors que notre syndicalisme est resté majoritairement anticapitaliste. Je vois une contradiction entre cette culture révolutionnaire et la démocratie sociale dans l'entreprise.

Je rejoins enfin la question posée par Mme Dagoma : qui représente les cinq millions de chômeurs français – isolés, inorganisés et sans voix ? Comment leur donner la parole ?

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