Le débat porte sur la hiérarchie des normes dans la prise de décision. À titre personnel, je suis opposée à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, pour les raisons qu'a évoquées Bernard Accoyer. Vous dites, monsieur Latour, qu'il s'agit d'un principe d'action ; mais c'est en se fondant sur la dernière phrase de l'article 5 de la Charte – qui ordonne « l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » – que les tribunaux de première et de deuxième instance ont pris leurs décisions. En l'absence d'action permettant de « parer » à un éventuel dommage, la Constitution française nous invite à bloquer les initiatives ; ce principe très fort, placé au sommet de la hiérarchie des normes, nous interdit de préciser la façon dont l'organisation de notre société peut évoluer grâce à la recherche scientifique et de réformer la législation en fonction des nouvelles découvertes. Le choix de placer la prévention des dommages au-dessus de tous les autres enjeux met ainsi en cause la capacité même de décision en démocratie représentative. En Allemagne, c'est le principe ordo-libéral qui est inscrit dans la Constitution, interdisant d'empiéter sur l'intérêt économique pour des motifs politiques. Qu'il s'agisse de l'environnement ou de la politique monétaire, peut-on choisir unilatéralement de placer un principe particulier au-dessus de tous les autres ?
Quelle est la place de la démocratie environnementale dans un cadre mondialisé ? De quelle marge d'action dispose aujourd'hui un pays isolé ? Chaque fois que l'on fait face à un problème écologique, soit le pays recule devant les intérêts économiques nationaux, soit il constate le peu d'impact de son action unilatérale. Ces questions relèvent-elles encore de la décision nationale ?