Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

Les écologistes sont parfois perçus comme une secte d'illuminés – en témoigne le terme de « maraboutage »… Mais, dès 1748, Montesquieu affirme dans De l'esprit des lois que l'État « doit à tous les citoyens […] un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé », préfigurant les principes de base de la Charte de l'environnement. Les travaux d'un colloque organisé aujourd'hui et demain pour marquer les dix ans de ce document montrent qu'il ne s'agit en rien d'une spécificité française ; le droit de l'homme à un environnement sain a été proposé dès les années 1970 et se retrouve dans pratiquement toutes les constitutions du monde adoptées depuis 1975. Ces principes relèvent donc d'une simple prise de conscience de l'état de la planète, même si la Charte est encore loin d'avoir produit tous les résultats escomptés.

Je suis en total désaccord avec Guy Carcassonne et avec mon collègue : le droit de l'homme à un environnement sain me semble tout aussi concret que l'affirmation des principes de liberté et d'égalité. Le Conseil constitutionnel avait hésité sur l'application du principe de précaution au prétexte qu'il s'agirait d'un principe et non d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution. Pourtant les principes de liberté et d'égalité sont tout aussi généraux, et le principe de précaution énonce bien un droit : celui de voir l'État et tous les citoyens pratiquer la précaution. Il ne s'agit pas de la protection des petits oiseaux et de papillons par une bande d'illuminés, mais de la survie de la planète ! La reconnaissance de ce droit essentiel – et parfaitement applicable – me semble donc indispensable. Ce principe, M. Latour l'a montré, a fait l'objet d'une série de fantasmes et d'interprétations fantaisistes ; or le principe de prudence du bon père de famille date du droit romain. Il s'agit uniquement d'éviter, en cas de doute sérieux, des conséquences graves et irrémédiables, et nul ne prétendra que la France en est paralysée !

La notion des devoirs est certes associée à des moments historiques non démocratiques, mais tout droit de l'homme implique un devoir. Celui de protéger les conditions de survie de nos enfants et petits-enfants est lié à nos principes les plus élémentaires. L'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 affirme ainsi que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » La nuisance – soit toute forme de pollution – ne relève donc pas de notre bon plaisir, car elle se heurte au droit fondamental d'autrui. Par conséquent, je suis M. Latour sur la nécessité d'une deuxième chambre donnant la parole aux muets ; cet organisme, madame Lazerges, devrait à mon sens représenter non seulement toutes les conditions sociales – et notamment les chômeurs – mais également les scientifiques, les syndicats et les protecteurs de l'environnement. Cette chambre pourrait avoir un pouvoir législatif important, mais il conviendrait de laisser le dernier mot à la représentation plus traditionnelle du peuple.

Je constate que le climato-scepticisme, encore excessivement répandu en France, est surtout le fait des personnes âgées : si cette opinion rassemble un tiers de la population française, elle fédère la moitié des personnes de plus de soixante ans. Ainsi, la méconnaissance de l'importance des enjeux de l'environnement au sein de nos juridictions telles que le Conseil constitutionnel vient de ce que leurs membres n'ont aucune conscience de la gravité de la situation. Cela laisse espérer que les choses s'arrangeront avec le temps, mais il ne faudrait pas trop tarder.

L'inéluctabilité de la catastrophe écologique ne fait plus aucun doute pour les esprits ouverts à l'analyse scientifique et à la connaissance des travaux du GIEC. Face à ce constat, la tendance naturelle de beaucoup de Français est de fermer les yeux et de profiter de la vie. Pourtant, choisir d'aller dans le mur à cent ou à vingt à l'heure n'implique pas les mêmes conséquences ! Il convient de modifier de toute urgence nos institutions en intégrant des acteurs qui peuvent faire parler les muets pour aller vers la catastrophe inévitable le plus lentement possible, de façon à limiter les dégâts.

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