Je représente France Nature Environnement, fédération d'associations de défense de la nature et de l'environnement, née en 1968 du rassemblement des sociétés savantes. Nous sommes un mouvement démocratique et élisons nos instances de décision. Nous comptons un peu plus de huit cent cinquante mille membres affiliés par le biais de leurs associations, elles-mêmes adhérentes à nos antennes régionales.
Nous sommes d'abord une fédération humaniste, ce qui explique que nous soyons écologistes : nous défendons la nature dans l'intérêt de l'homme, avec l'idée de promouvoir un monde vivable. Par ailleurs, nous sommes une fédération légaliste, c'est-à-dire que nous nous refusons à recourir à des moyens illégaux pour faire avancer notre cause : point d'arrachage d'OGM ou d'occupation de sites. Notre réseau juridique est très développé, et il est à l'origine de plusieurs arrêts de jurisprudence en matière de droit de l'environnement. Cette manière d'agir prend malheureusement du temps et, bien souvent, les bulldozers vont plus vite que la démocratie ou la justice. Nous n'avons donc pas toujours les moyens de faire oeuvre utile.
Grâce à notre réseau, nous participons sur l'ensemble du territoire aux enquêtes publiques et aux conseils de bassin. Cette expérience du terrain me confirme dans le diagnostic que la démocratie environnementale est malade, au même titre que la démocratie tout court.
Pour ce qui me concerne, j'ai quarante-trois ans. Géographe de formation, spécialiste en aménagement du territoire, urbaniste et environnementaliste, j'ai travaillé pour la mairie de Paris pendant huit ans avant de rejoindre, il y a six ans, France Nature Environnement, avec les fonctions cumulées de porte-parole, directeur de la communication et directeur des relations extérieures.
Ayant lancé, lors de la campagne présidentielle de 2012, l'« appel des 3 000 » de FNE, nous avons reçu, lors de notre congrès, le président Hollande, qui déclara alors, à notre grande satisfaction, vouloir placer le dialogue environnemental au même niveau que le dialogue social. Cet engagement, repris lors de la première conférence environnementale, est malheureusement, depuis, resté lettre morte.
J'en arrive au drame de Sivens. Si Rémi Fraisse, botaniste, membre d'une de nos associations adhérentes, a éprouvé le besoin d'aller manifester sur le site du barrage plutôt que de se consacrer à ses relevés, c'est qu'il a senti qu'il y avait là un problème, que nous qualifions pour notre part de problème démocratique.
La violence découle toujours de la rupture du dialogue et du sentiment de frustration qui l'accompagne, a fortiori lorsque, comme dans le cas du barrage de Sivens, les instances consultatives ont rendu des avis négatifs dont il n'a pas été tenu compte.
En osant un parallèle hardi, je considère que les récents attentats commis à Paris procèdent d'un mal identique et sont le symptôme de la même maladie dont souffre notre démocratie, qui ne sait pas construire un projet de territoire avec ses habitants. Les territoires naturels faiblement peuplés en électeurs comme les villes de banlieue et les territoires péri-urbains où le taux de chômage atteint 60 % et où la ségrégation sociospatiale est très forte subissent une forme de déshérence démocratique, car les citoyens y ont le sentiment d'être dépossédés de l'aménagement de l'espace et des projets de territoire et qu'ils se sentent victimes de choix qui leur sont imposés. Cela contribue à nos yeux à la crise de la démocratie représentative.
Pour illustrer notre propos, nous avons élaboré une carte de France des combats environnementaux que nous menons. Elle recense deux cents projets – cent cinquante que nous dénonçons et cinquante que nous nous battons pour améliorer. Je rappelle ici que dix mille enquêtes publiques se déroulent chaque année, qui se passent plutôt bien et auxquelles nous contribuons, preuve qu'il est possible de bien faire quand on le veut. Pour en revenir en revanche aux cent cinquante projets dont nous estimons qu'ils ont un coût environnemental avéré supérieur au bénéfice socio-économique escompté, d'ailleurs souvent exagéré par le porteur de projet, ils ne peuvent faire l'objet d'un traitement au cas par cas, car ce sont autant de bombes qui risquent de nous exploser à la figure.
D'où la nécessité d'un sursaut démocratique. Il faut apporter à ces problèmes une réponse collective pour guérir le citoyen de l'idée que la démocratie participative n'est qu'un alibi. Dans cette optique, il faut revoir l'articulation entre démocratie représentative et démocratie participative. Les associations doivent être utilisées comme des agents de liaison entre le citoyen et le politique, lequel doit être le garant de l'intérêt public, qui n'est ni la somme des NIMBY – acronyme américain de Not In My Backyard – ni celle des intérêts particuliers.
Le chantier de la démocratie participative a été ouvert par Mme Royal. Nous y participons, tout en considérant que les outils choisis ne sont pas les bons. On nous dit que cette nouvelle démocratie va s'inscrire dans la loi défendue par le ministre de l'économie, Emmanuel Macron : nous n'avons pas été consultés, et cela nous semble quelque peu incongru. On nous parle également d'un cavalier législatif inséré dans la loi sur la biodiversité. Soit. Mais les territoires en déshérence démocratique ne s'arrêtent pas aux espaces naturels, et ils exigent autre chose que des réponses strictement environnementales. Nous attendons des députés élus de la seconde couronne, de banlieues ou de villes nouvelles atteintes de ce syndrome qu'ils s'expriment. Cela contribuerait à renforcer notre position.
Quoi qu'il en soit, France Nature Environnement a des propositions très concrètes à faire.
En premier lieu, il faut renforcer l'indépendance de la décision environnementale en créant une autorité administrative indépendante. Outre que cela fluidifierait les circuits de décision, cela permettrait d'éviter les conflits d'intérêt.
Il faut ensuite s'assurer que la participation des citoyens à l'élaboration des projets intervient à un moment où il est encore possible de faire évoluer ceux-ci. Dans ce domaine, la Commission nationale du débat public (CNDP) n'est saisie que sur les projets dont le coût est supérieur à 300 millions d'euros. Cela exclut d'emblée des projets comme le barrage de Sivens, dont les enjeux environnementaux – espèces menacées, zones humides saccagées – sont pourtant énormes pour la région. Aussi faudrait-il sans doute envisager des déclinaisons régionales de cette instance, devant lesquelles les critères d'éligibilité seraient qualitatifs et non plus quantitatifs : on peut en effet avoir de petits projets à gros impact environnemental et de grands projets à très faible impact.
Il faut également repenser l'enquête publique. Il n'est pas imaginable qu'elle intervienne sans qu'ait été posée la question de l'opportunité du projet, car c'est précisément cela qui génère de la frustration chez le citoyen et l'éloigne du fait politique.
Si l'on veut que le public participe, il faut enfin mieux prendre en compte sa participation. Il est indispensable, notamment pour garantir l'acceptabilité sociale des projets, d'organiser la traçabilité des contributions citoyennes.
Sans les rendre opposables, il va falloir également, d'une manière ou d'une autre, donner davantage de poids aux avis émis par les commissions consultatives. Les pouvoirs publics ne peuvent plus s'asseoir sur l'avis de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), de la CNDP ou du Conseil national de la protection de la nature (CNPN).
Nous recommandons aussi d'améliorer l'accès à l'information et de la rationaliser, en capitalisant plutôt qu'en multipliant les études d'impact.
La gouvernance environnementale mérite d'être profondément réformée. Le dialogue environnemental ne pourra jamais prétendre se situer au même niveau que le dialogue social si on ne donne pas aux représentants de l'environnement les mêmes moyens qu'aux représentants sociaux. À titre d'exemple, le Conseil national pour la transition écologique (CNTE) comporte six collèges, où les écologistes – associatifs et apolitiques, pour la plupart – sont minoritaires. Par ailleurs, les écologistes ne sont pas représentés au Conseil national de l'industrie, où ils pourraient pourtant avoir des choses à dire. Enfin, tandis que les instances sociales sont représentées dans les instances environnementales, l'inverse n'est pas vrai. Il convient donc de faire une juste place aux associations environnementales, reconnues d'utilité publique et qu'on ne peut pas soupçonner de servir de relais aux « nimbystes ».
Cela doit s'accompagner d'un renforcement de l'engagement bénévole et du maillage associatif. Si l'on ne veut pas que le bénévolat soit l'affaire des seuls retraités, qui appartiennent aujourd'hui à une génération pour moitié climato-sceptique, il faut envisager de proposer aux bénévoles un véritable statut, assorti éventuellement d'un défraiement ou d'autres formes d'avantages. Je ne peux que déplorer que les membres du conseil d'administration de FNE soient aujourd'hui plus âgés – et donc guère représentatifs – que la moyenne de nos militants qui oeuvrent au quotidien sur le terrain. Un réforme urgente est donc nécessaire pour que nous puissions remplir, notamment, les missions que nous a déléguées l'État, puisque nous sommes gestionnaires de plusieurs espaces naturels.
Un mot enfin sur le bicaméralisme. Pourquoi en effet ne pas faire du Sénat une assemblée du long terme ? Cela étant, l'Assemblée nationale doit aussi être l'assemblée du long terme, car l'écologie ne se pense ni à court ni à moyen terme.
Quant à la question de concilier l'économie et l'écologie, elle ne se pose même pas. Une économie résiliente est une économie qui a pris en compte la ressource et son épuisement potentiel, de manière à l'exploiter de façon optimale. Non seulement l'économie et l'écologie ne sont pas inconciliables, mais il faut d'urgence apprendre à les concilier et renoncer à tout modèle qui porte en germe sa propre fin.