Intervention de Benoît Hartmann

Réunion du 5 février 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Benoît Hartmann :

J'en suis absolument persuadé : quand on fait de la place à l'un, on fait de la place à l'autre. Une personne qui se sent écoutée sera moins encline à radicaliser sa position et à se mettre dans une posture.

Vous m'avez aussi interrogé sur l'articulation entre les démocraties sociale et environnementale. FNE travaille avec la CFDT sur ce sujet car ces démocraties se complètent. Il serait stupide d'opposer démocraties participative et représentative. L'une doit nourrir et même renforcer l'autre : en donnant un peu plus d'énergie et d'efficacité à la démocratie participative, on renforcera la démocratie représentative car le fait politique sera remis au centre de l'agora, de la polis, de la vie. Considérant que le dialogue social est efficace, nous nous en inspirons pour nous faire notre place. Rappelons que certains conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) ne comprennent pas de représentants d'organisations de défense de l'environnement.

Faut-il organiser une représentativité environnementale ? Oui, et cela doit se faire avec le Parlement. Il faut trouver la manière et les moyens d'organiser cette représentativité à tous les étages. Pourquoi donner des moyens à ceux qui défendent l'environnement ? demande l'un de vous. Tant que nous sommes reconnus d'utilité publique et que nous remplissons certaines tâches par délégation, il paraît légitime que l'on nous octroie des moyens. Le contester me semble un combat d'arrière-garde.

Pour revenir sur la solidarité nord-sud, je trouve absolument normal que les pays en voie de développement nous disent « aidez-nous à nous aider avant de nous commander ». Les négociations internationales ont prouvé que notre message sera encore mieux compris quand nous aurons abondé le Fonds vert pour le climat et que nous aurons accordé nos actes et nos discours. Ce sera sans doute l'une des conditions de réussite de la COP21 : la bonne volonté se mesure aussi en espèces sonnantes et trébuchantes.

J'insiste sur le fait que des associations reconnues d'utilité publique comme la nôtre doivent aussi être considérées comme des courroies de transmission entre le citoyen et l'élu représentatif, parce qu'il est compliqué de consulter un citoyen. Au cours de la législature précédente, un décret sur la représentativité des associations a été promulgué, qui définit une série de critères : nombre d'adhérents, implantation territoriale, nombre d'années d'existence. Ces critères permettent de faire le tri entre un collectif qui a deux ou trois ans d'existence et des associations qui ont pignon sur rue, qui sont reconnues d'utilité publique et qui contribuent au dialogue en France depuis des années. Si ce décret est améliorable, c'est en tout cas une bonne base pour identifier les interlocuteurs les plus indiqués à chaque niveau. Puisqu'il a été créé pour ça, appuyons-nous sur ce socle.

L'un de vous a parlé d'une hiérarchie des démocraties. Honnêtement, je pense que l'on règle la question en disant qu'il faut arrêter d'opposer les démocraties. Il serait vraiment catastrophique d'en rester à un schéma dans lequel la démocratie représentative serait effrayée d'une démocratie participative qui est un ferment, de l'énergie, du carburant, des idées nouvelles, la prise directe avec une population qui a parfois l'impression que l'élu est un peu au-dessus de la mêlée et loin de sa réalité. Ne vous privez pas d'un outil pareil à un moment où l'abstention électorale peut atteindre jusqu'à 60 % dans certains endroits. Ce n'est plus possible de continuer comme ça. Nous sommes de fervents démocrates et nous espérons que cette démocratie s'en sortira.

L'exemple de la brucellose me semble un peu anecdotique mais puisque vous le citez, parlons-en. La brucellose est la première cause de mortalité des ovins en France, y compris dans des régions où il n'y a pas de bouquetin. Cette pandémie existe et cause beaucoup plus de morts que les loups. Dans le massif concerné, il est apparu que 46 % de la population de bouquetins – une espèce protégée et endémique dans le Bargy – en était affectée. Nous avons demandé d'étudier d'autres solutions que l'abattage de tous les animaux, notamment l'abattage partiel qui permettait de sauver tous ceux qui étaient en bonne santé. La question du diagnostic a été posée localement et elle était possible, non sans frais. S'agissant de la capacité des personnels de l'Office national des forêts (ONF) à identifier un animal de plus de cinq ans, je vous rassure : ils connaissent bien leur métier et ils y arrivent.

Même si notre mouvement compte beaucoup d'éleveurs, je pense qu'on ne peut pas mettre sur le même plan l'abattage d'un élevage et celui d'une population sauvage : on peut indemniser l'agriculteur ; on ne peut pas indemniser la nature ni remplacer certains services qu'elle rend. On ne peut donc pas se poser la question de la même manière, même s'il faut évidemment conserver de très importants dispositifs d'aide. Notons aussi que les conditions de transmission d'une pandémie ne sont pas les mêmes dans la nature ou dans un élevage intensif où les bêtes sont les unes à côté des autres.

Peut-on prôner, demandait M. Baranger, une redynamisation de la démocratie environnementale tout en préconisant un renforcement de l'indépendance de la décision environnementale qui serait confiée à des autorités administratives indépendantes (AAI) ? Au passage, je note que les AAI ne se sont pas encore multipliées au point d'être classées dans les espèces invasives qu'il faudrait essayer d'éradiquer. Ce double renforcement doit avoir lieu dans le même temps et de manière très articulée. Les deux démarches ne doivent pas s'ignorer et chercher à résoudre les problèmes chacune de son côté.

Pour finir, je ne voudrais pas que la démocratie environnementale soit vécue comme une forme d'isolat de démocratie participative. Les écologistes ont fait un réel progrès : ils ne nient plus la réalité économique et sociale qui entre désormais dans leurs critères d'évaluation des projets. La démocratie environnementale n'est pas un enfant malade ou un cas particulier ; elle est partie prenante d'une démocratie malade qui a besoin qu'on lui donne les moyens d'une représentation plus juste et d'une prise de température. C'est pourquoi il est indispensable d'organiser la traçabilité de la prise en compte des avis. Quand l'avis d'un organe consultatif influe sur la décision, il faut que ce soit visible, en lettres d'or, afin de prouver que ce n'est pas de la démocratie alibi, que ce n'est pas un gadget.

Dans les pistes envisagées pour essayer de redonner de la force à la démocratie, le Président de la République a évoqué la possibilité de référendums locaux. À Sivens, on aurait pu organiser un référendum en posant la question suivante : « Dans un contexte d'épuisement de la ressource en eau, de réchauffement climatique et de trop forts prélèvements dus aux pollutions, doit-on, oui ou non, continuer à prélever sur la ressource et faire un grand barrage ? » Mais on aurait aussi pu poser la question de cette autre manière : « Face au désarroi des agriculteurs et à la grande difficulté dans laquelle ils se trouvent, doit-on, oui ou non, faire un barrage ? » Comprenez que l'on peut induire des résultats assez différents et qu'un référendum ne sert à rien pour une question aussi vaste que celle-ci : « Quelle politique de l'eau à l'échelle du bassin ? » On ne peut pas répondre par oui ou par non à ce genre de question. Il serait dramatique de réduire le sursaut démocratique à l'organisation de référendums. Ce mode de consultation est un outil à utiliser en fonction de circonstances et non pas l'alpha et l'oméga de la démocratie.

1 commentaire :

Le 14/12/2016 à 11:18, Laïc1 a dit :

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"Une personne qui se sent écoutée sera moins encline à radicaliser sa position et à se mettre dans une posture."

Tout à fait, c'est ce que je ne cesse de dire. C'est aussi pour cela que les partis extrémistes montent. Les citoyens sont radicalisés du fait de la non prise en compte de leur avis citoyen : sans repère autre que leur origine, race, religion, ils se jettent dans les bras de ceux qui veulent magnifier ces race, origine, religion, leurs derniers repères, et c'est ainsi que les partis identitaires se développent et prospèrent. La démocratie participative est l'antidote à la montée des extrêmes. Le nier revient à cautionner ces partis, l'inconscience politique n'est plus de mise de nos jours. C'est aussi pour cela que le débat sur ce qu'est la démocratie est à ce point important et actuel : par lui, s'il est suivi d'applications, le danger extrémiste sera résolu, voilà le véritable enjeu de ces débats.

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