La Lettonie a effectivement l'honneur d'assurer, pour la première fois, la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. Certains disent qu'un pays n'ayant pas encore occupé cette charge ne peut connaitre l'Union dans ses rouages les plus fins. Cependant, plus de dix ans après notre adhésion – deux élargissements ont eu lieu depuis – , nous n'apprécions guère que notre pays soit encore considéré comme un nouvel État membre. Nous avons en outre intégré la zone euro il y a un an, ce qui nous met en situation de participer à tous les débats. Les « petites présidences » sont souvent les plus efficaces ; nous espérons que la nôtre le sera tout autant que les dernières.
Nous arrivons avec un certain nombre d'ambitions mais aussi beaucoup de modestie. La présidence tournante intervient dans un cadre auquel nous ne pouvons échapper : nous ne traiterons donc pas uniquement des dossiers importants pour la Lettonie. Une présidence s'inscrit tout d'abord dans un trio – en l'occurrence, avec l'Italie et le Luxembourg – , portant un programme de travail commun. En dépit d'une présidence difficile, en plein changements institutionnels, l'Italie a réussi à faire adopter un certain nombre de décisions importantes. Il nous faut en outre tenir compte du programme de travail que la Commission Juncker vient de définir pour les cinq années à venir, ainsi que des orientations stratégiques adoptées par le Conseil européen de juin dernier.
Enfin, l'actualité impose toujours de corriger les priorités définies initialement. Ainsi, les événements tragiques de Paris et de Copenhague font de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme des enjeux primordiaux pour les gouvernements et les populations. Ces enjeux, déjà identifiés par la présidence, sont devenus prioritaires et ont déjà fait l'objet de plusieurs concertations. Une première réunion a eu lieu à Paris, immédiatement après les attentats, à l'initiative de M. Bernard Cazeneuve. Elle a été suivie, le 29 janvier, à Riga, d'un conseil informel réunissant les ministres de l'intérieur et de la justice. Plus récemment, le Conseil européen informel du 12 février a également abordé ces sujets décisifs. Nous avons prévu de conduire une révision de la stratégie de sécurité intérieure pour l'Union européenne, s'appuyant sur diverses initiatives relatives à la lutte contre la radicalisation et au renforcement de la coopération judiciaire et policière entre les États comme avec les pays tiers.
Nos priorités se déclinent effectivement selon trois grands ensembles : compétitivité, numérique et politique extérieure.
S'agissant de la compétitivité, après plusieurs années de crise, qui ont affecté tous les États membres, nous avons besoin de retrouver le chemin de la croissance économique et de développer l'emploi et cela passe par un large éventail d'actions.
Le plan Juncker, dont les premières orientations ont été présentées début janvier, suscite beaucoup d'attentes. Il s'agit d'injecter 315 milliards d'euros dans l'économie européenne, notamment à travers de prêts, dans l'idée de créer un effet de levier et de relancer l'investissement public et privé en faveur de grands projets d'infrastructures. Et cette relance de l'investissement devrait stimuler l'emploi. Le rôle de la présidence lettone sera d'abord de trouver des compromis pour faire avancer le dossier. Le plan Juncker, projet de court terme prévu pour s'étaler sur seulement trois ans, doit être opérationnel au plus vite. Notre objectif est donc de parvenir à un accord sur les modalités de sa mise en oeuvre – schéma des financements, sélection des projets, gouvernance des programmes – d'ici à la fin de notre présidence, c'est-à-dire en juin au plus tard.
Par ailleurs, la stratégie Europe 2020 doit classiquement faire l'objet d'une révision à mi-parcours.
Cinq ans après la mise en place du semestre européen, nous devons aussi tirer les leçons du processus et examiner les moyens d'améliorer son efficacité. Il faut faire comprendre aux États membres que cet outil ne se résume pas à une contrainte mais constitue une aide aux États membres pour qu'ils puissent atteindre leurs objectifs. À cet effet, il convient d'impliquer davantage les parlements nationaux afin qu'ils s'approprient l'exercice.
En ce qui concerne l'Union économique et monétaire, notre présidence ne sera pas révolutionnaire : elle s'efforcera de mettre en application les décisions prises en réponse à la crise de la zone euro, à travers le six-pack, le two-pack et l'union bancaire. Il s'agit désormais de faire bien fonctionner les dispositifs adoptés et, si nécessaire, de les adapter. Le deuxième rapport des quatre présidents est attendu pour le mois de juin mais des discussions auront sans doute lieu lors du conseil Écofin et entre les chefs d'État et de gouvernement.
La compétitivité comprend aussi – vous l'avez mentionné à juste titre, madame la Présidente – le volet énergie-climat.
En ce qui concerne l'énergie, nous avons des ambitions fortes. Malgré les efforts entrepris ces dernières années pour établir une politique énergétique commune, il n'existe pas d'Union de l'énergie : vingt-huit marchés énergétiques demeurent en Europe. Une politique commune en la matière est pourtant essentielle, pour des motifs ayant trait à la sécurité, à l'écologie et aussi à la compétitivité économique.
Le 6 février, à Riga, la Commission européenne a présenté la première ébauche de sa proposition d'Union de l'énergie, qui devrait être déposée très bientôt, afin de faire l'objet d'une discussion lors du conseil Transport, télécommunications et énergie puis d'une décision formelle lors du Conseil européen de mars. Les ministres chargés de l'énergie pourraient ainsi parvenir à des conclusions sur les éléments concrets de cette Union de l'énergie dès le mois de juin. Cet exercice sera baptisé « processus de Riga », conformément à l'usage voulant que chaque présidence laisse son nom. Sans entrer dans les détails, l'Union de l'énergie couvrira les questions d'approvisionnement, d'efficacité énergétique, d'interconnexions et de diplomatie énergétique. La question de l'efficacité énergétique est liée à celle de la sécurité d'approvisionnement car une consommation soutenue entraîne une demande importante et par conséquent une dépendance forte aux approvisionnements extérieurs à l'Union européenne. L'interconnexion entre les réseaux européens est en phase avec l'objectif de compétitivité qui sous-tend le plan Juncker. Quant à une diplomatie énergétique commune, elle permettrait aux États membres de négocier ensemble avec les pays fournisseurs pour obtenir des prix plus bas, dans l'intérêt des consommateurs.
Pour ce qui concerne le climat, le rôle de la présidence tournante est relativement limité par rapport à celui que jouera la France – pays hôte de la Conférence Paris Climat 2015 – et la Commission européenne. Notre tâche consistera à faire en sorte de parvenir à un consensus entre États membres sur la position de l'Union européenne, en amont de cette conférence. Des réunions préparatoires sont organisées à cet effet : une première s'est tenue à Genève la semaine dernière et la prochaine est prévue à Bonn. La Présidence lettone mettra bien entendu tout en oeuvre pour parvenir à présenter une position commune mais ce ne sera évident. En effet, les Vingt-huit ont d'ores et déjà adopté des objectifs communs sous la présidence italienne, mais sans pour autant se mettre d'accord sur la répartition de la charge, point qui suscite le plus de difficultés. Mais je ne m'avancerai pas davantage à ce sujet car nous attendons la proposition de la Commission européenne.
La politique industrielle européenne comporte de nombreux volets. Elle est d'abord liée à l'accomplissement du marché unique, qui ne fonctionne pas parfaitement. Des barrières existent en effet toujours au sein du marché européen, au détriment des PME, qui éprouvent des difficultés de financement dommageables à leurs activités transfrontalières, mais aussi des secteurs services et du numérique. Sur ces questions, la présidence porte les actes législatifs qui sont d'ores et déjà en débat en débat.
Soyez assurés que nous ferons avancer au mieux tous les aspects constitutifs de cette première grande priorité, sans chercher à défendre notre intérêt mais bien pour parvenir à des compromis, même sur les dossiers qui nous déplaisent.
Notre deuxième grande priorité, très étroitement liée à la première, est le numérique, que nous jugeons – ce n'est d'ailleurs pas original – essentiel pour l'avenir de l'économie européenne. Il n'existe pas de marché unique du numérique en Europe.
Nous voulons porter ce sujet, qui va bien au-delà d'Internet, en commençant par le paquet télécoms. Ce dossier compliqué est en discussion depuis longtemps et il faut maintenant qu'il avance – le paquet contient d'ailleurs des éléments qui ne nous conviennent pas mais nous les traiterons tout de même. Les intérêts divergent, non seulement entre États membres mais aussi entre opérateurs et consommateurs. L'enjeu est de faire émerger des opérateurs forts, suffisamment grands pour investir et nous assurer des services de très haute qualité. Cela nécessite des financements et la possibilité d'accéder à une taille critique, donc une règlementation qui ne fasse pas obstacle à la réalisation de cet objectif. D'un autre côté, le prix à acquitter par le consommateur doit être raisonnable. Ces deux enjeux ne sont pas simples à combiner et, ces derniers mois, les négociations se sont enlisées. La Lettonie a mis sur la table une nouvelle tentative de compromis et espère que des progrès auront lieu avant la fin de sa présidence, tout en sachant qu'il sera impossible de faire aboutir les négociations d'ici là.
De nombreux autres chantiers doivent être poursuivis.
La question du contenu est soulevée : certains contenus peuvent être achetés légalement en France mais ne pas être accessibles de l'autre côté de la frontière.
Une proposition de directive sur la sécurité des réseaux est en cours d'examen. Cet aspect est très important aussi au regard de la lutte contre le terrorisme et de notre sécurité intérieure. Une attaque contre nos réseaux numériques, essentiels pour le fonctionnement de nos pays, aurait des conséquences très graves.
Dans le champ du numérique, je pense aussi à la question de la confiance et donc de la protection des données. Pour que le numérique puisse fonctionner et porter nos économies, il faut que les utilisateurs aient confiance dans ces services et donc qu'ils aient l'assurance que leurs données personnelles ou bancaires sont protégées. Il en va de même pour les entreprises, qui ne développeront leurs services en ligne que si elles ont confiance.
Le numérique dit « par défaut » – à savoir les services rendus par les gouvernements ou les services publics – pose des questions de comptabilité et d'accès par les populations. Le niveau de développement diffère entre États membres. Il y a donc de nombreux chantiers.
Nous attendons une proposition de la Commission européenne tendant à créer un cadre afin de mettre en oeuvre l'Union numérique – ce qui porte donc à deux le nombre d'unions que nous voulons mettre en place durant notre présidence.
Enfin, nous organiserons, en juin, la deuxième édition de l'Assemblée digitale européenne – la première s'était tenue il y a deux ans, sous la présidence irlandaise. Ce grand forum réunit non seulement les États membres et les décideurs mais également le secteur privé – opérateurs, ONG et autres parties prenantes du secteur – pour débattre de l'avenir numérique de l'Europe.
La troisième grande priorité de notre présidence, assez classique, est la politique extérieure de l'Union européenne et sa place dans le monde. La présidence tournante ne préside pas le conseil Affaires étrangères, la haute-représentante étant seule compétente dans ce domaine. Notre rôle consiste donc essentiellement à assister Mme Mogherini, mais nous avons la possibilité de mettre en avant un certain nombre de dossiers.
Un sommet du Partenariat oriental sera organisé. Nous sommes très heureux qu'il se déroule sous notre présidence, même si nous y sommes pour rien, car son organisation a été décidée de longue date.
Je tiens à souligner que nous ne préoccupons pas uniquement des voisins de l'Est : les pays du Sud ne sont pas oubliés, la Politique européenne de voisinage les concerne tous au même titre, même si certains États membres ont plus d'affinité avec les uns ou les autres.
La situation dans le monde a changé, surtout en Europe orientale. Le sommet de Riga sera l'occasion de faire le point sur ce qui a été réalisé en deux ans, depuis le sommet précédent. Trois accords d'association ont été signés et sont en cours de ratification – la France n'aura d'ailleurs vraisemblablement pas le temps d'achever le processus d'ici au mois de mai – , et des mesures intérimaires positives sont déjà en application.
Le Partenariat oriental est de nature à répondre aux attentes diverses des six pays concernés. C'est une politique importante, elle doit continuer et proposer des offres adaptées aux besoins de chacun : certains veulent une coopération politique plus poussée tandis que d'autres ne le souhaitent pas, ce qui ne signifie pas que nous ne pouvons pas travailler ensemble.
La question de la mobilité est également importante. Un processus de facilitation des visas est enclenché, de manière plus ou moins avancée selon les partenaires. Cela permettra de développer les contacts entre les sociétés civiles, essentiels pour pousser les réformes. La démocratie ne s'impose pas de l'extérieur ; c'est à chaque pays de l'importer par ses propres moyens, avec notre soutien.
Les médias sont également un thème important. Une conférence a déjà été organisée à ce sujet avec les pays du Partenariat oriental.
Le Partenariat oriental ne doit pas être une politique de division – cela n'a du reste jamais été le cas, même si certains l'ont présenté ainsi. J'ajoute que la présidence lettonne n'est pas une présidence antirusse – je le souligne à chacune de mes présentations au nom de la Lettonie. En effet, affirmer que les pays baltes et la Pologne sont contre les Russes est totalement faux. Nous avons besoin que la Russie soit démocratique, prospère et stable, car nous sommes les premiers à en profiter et nous sommes les premiers inquiétés dans le cas contraire.
Nous avons mis un autre sujet en avant, en phase avec le calendrier de l'Union européenne : la révision de la politique européenne vis-à-vis de l'Asie centrale, région stratégique du point de vue de la sécurité comme des échanges commerciaux, compte tenu de sa proximité avec l'Afghanistan et avec la Chine. Les États membres sont d'accord sur trois thèmes de travail : la sécurité, le développement durable – surtout les domaines des transports et de l'environnement – et l'éducation.
Au sujet du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), c'est la Commission européenne qui négocie et ce sont les États membres qui donnent le mandat ; notre rôle consiste donc à faire en sorte que les Vingt-huit puissent s'accorder sur un mandat. Nous ferons notre possible pour que les négociations avancent mais toutes les inquiétudes doivent être prises en compte. La Commission européenne a produit une publication sur la manière dont il faut communiquer sur le sujet.
Plus généralement, l'ensemble des questions de commerce extérieur relèvent de la compétence de la Commission européenne, mais la présidence lettone l'assiste et pousse son action.
La présidence lettonne ne prendra pas d'initiative révolutionnaire à propos de l'immigration car un certain nombre de décisions viennent d'être prise, sous la présidence italienne, et il nous semble préférable de les mettre en oeuvre plutôt que d'en prendre de nouvelles. Les moyens sont là, il faut désormais agir.