La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi autorisant l'approbation du cinquième avenant à la convention du 19 janvier 1967, déjà modifiée à plusieurs reprises, sur la construction et l'exploitation d'un réacteur à très haut flux. Cet avenant a été signé le 1er juillet 2013 par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Ces deux derniers pays ont fait savoir qu'ils avaient achevé leur procédure de ratification.
Avant de vous présenter les stipulations dont nous sommes saisis, je crois utile de revenir rapidement sur les principales caractéristiques scientifiques et techniques de cette installation.
Il s'agit d'un réacteur de recherche exploité par l'Institut Laue-Langevin (ILL), implanté à Grenoble et voué à l'étude de la structure de la matière. L'ILL exploite un réacteur qui délivre les faisceaux de neutrons les plus performants du monde. Ces faisceaux de neutrons alimentent quelque 40 instruments de très haute technologie.
Les neutrons sont des particules élémentaires qui offrent la possibilité, lorsqu'elles sont dirigées en faisceaux sur des échantillons, de les sonder et de donner accès à des informations d'un grand intérêt au plan scientifique. Electriquement neutres, les neutrons pénètrent aisément la plupart des matériaux et constituent une sonde non-destructive de grande précision.
Les recherches conduites à l'ILL répondent à un très large éventail de questions en science fondamentale, dans les domaines les plus variés : biologie, chimie, matière molle, physique nucléaire ou encore science des matériaux.
Elles concernent une très large palette de domaines applicatifs – depuis la conception des moteurs, les carburants, plastiques et les produits d'entretien jusqu'aux processus biologiques aux niveaux cellulaire et moléculaire en passant par les équipements électroniques de demain.
L'ILL est un Institut de service. Ses personnels scientifiques et techniques se consacrent à l'accueil et à l'accompagnement des équipes de recherche qui ont été sélectionnées pour réaliser leurs propres expériences au sein de l'ILL. En 2013, l'ILL a accueilli 1 269 utilisateurs, dont 290 en provenance de France, 226 d'Allemagne et 216 du Royaume-Uni.
L'ILL associe trois pays, la France et l'Allemagne, depuis 1967, et le Royaume-Uni depuis 1973. Des partenariats scientifiques ont été conclus avec 12 autres pays : l'Espagne, l'Italie, la Belgique, la Suisse, l'Autriche, la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, le Danemark, la Suède, la Slovaquie, et plus récemment l'Inde. La Russie, qui avait rejoint ces membres scientifiques en 1996, a quitté l'ILL pour des raisons économiques, mais se trouve actuellement en négociation pour y revenir.
Le budget de l'ILL pour 2014 était d'un peu moins de 90 millions d'euros, dont 61 millions financés par les trois Associés, France, Allemagne et Royaume-Uni, et 20 millions par les membres scientifiques, le reste étant constitué de reports et de ressources propres. La clef de répartition entre les trois Associés est la suivante : 33 % pour le Royaume-Uni ; 33 % pour l'Allemagne ; 34 % pour la France.
Comme je l'évoquais tout à l'heure, l'ILL est installé à Grenoble au sein d'un campus de recherche qui abrite deux autres grandes infrastructures européennes de recherche, le synchrotron ESRF, spécialisé dans la production de rayons X, et l'EMBL, le laboratoire européen de biologie moléculaire, ainsi que deux instituts, l'IBS, l'Institut de biologie structurale, et l'UVHCI, Unité de recherche sur les interactions virus-cellule hôte. Ce campus rassemble 1 500 salariés et accueille plus de 8 000 chercheurs étrangers chaque année.
J'en viens à l'avenant, assez bref, qui nous est soumis.
Il vise tout d'abord à reconduire, une nouvelle fois, la convention initiale de 1967 pour une durée de dix ans. A compter de cette date, la convention sera reconduite tacitement d'année en année à moins que l'une des Parties ne notifie par écrit son intention de s'en retirer. Un tel retrait prendrait effet dans un délai de deux ans.
L'ILL ne sera dépassé que par la future Source européenne à spallation (ESS) qui ne sera pas totalement opérationnelle avant 2025. Jusqu'à cette date, l'ILL reste donc indispensable pour fournir aux utilisateurs de neutrons toutes les possibilités expérimentales dont ils ont besoin.
Le 5e avenant assure également une mise en conformité nécessaire avec la loi de programme de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
Depuis 1993, l'ILL inscrit au passif de son bilan une provision non financée, actualisée chaque année aux conditions économiques en cours, représentant les coûts prévisionnels de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs. L'ILL est en effet un réacteur nucléaire produisant des déchets radioactifs et des combustibles usés pendant son exploitation.
Comme l'indique l'étude d'impact, les coûts du démantèlement des installations, actualisés au 31 décembre 2012, s'élèvent à 92,91 millions d'euros TTC. L'évaluation a été établie sur la base suivante : fonctionnement de l'ILL jusqu'en 2030 ; réalisation des opérations de cessation définitive d'exploitation en 2031 et 2032 ; démantèlement des installations de 2033 à 2036 ; déconstruction et surveillance en attente du déclassement en 2037 et 2038.
Cet horizon temporel est lié à l'âge du réacteur, qui aura 60 ans en 2031, et au rythme des visites décennales de l'ASN.
L'article 20 de la loi de programme du 28 juin 2006 oblige les exploitants d'installations nucléaires de base, telles que l'ILL, à constituer des actifs pour les provisions de charges de démantèlement et de gestion des déchets et des combustibles usés. Conformément à un décret de 2007, les actifs de couverture peuvent comprendre des engagements pris par un ou plusieurs Etats dans le cadre d'un traité ou d'un accord international auquel la France ou la Communauté européenne est partie, sous réserve de leur approbation au cas par cas par l'autorité administrative.
L'article 1er du présent avenant complète ainsi la convention de 1967 par un nouvel alinéa relatif aux dépenses de gestion des déchets radioactifs et de démantèlement des installations. Les Gouvernements de la République française, de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni s'engagent à financer ces dépenses selon la clef de répartition générale de cette convention, à savoir 33 % pour l'Allemagne, 33 % pour le Royaume-Uni et 34 % pour la France.
A titre transitoire, il a été admis que la sécurisation financière des charges nucléaires serait couverte par une lettre d'engagement des Associés de l'ILL au bon financement des charges de démantèlement des installations nucléaires et de gestion des combustibles usés. Cette lettre d'engagement figure en annexe à mon rapport écrit.
En dernier lieu, il faut noter que l'adoption du projet de loi aura pour effet d'autoriser implicitement l'adoption des stipulations antérieures qui concernaient aussi l'ILL. Je précise dans mon rapport toute cette architecture conventionnelle qui a été introduite dans l'ordre juridique interne sans que son approbation ait été autorisée par le Parlement. Ces stipulations engagent pourtant les finances de l'Etat et relève donc de la procédure prévue à l'article 53 de la Constitution.
A ce stade, nous ne nous sommes prononcés que sur une convention de 1997 relative aux personnels scientifiques de l'ILL, conclue après des contentieux relatifs à des contrats à durée déterminée.
En application de la jurisprudence dite « Aggoun » de 2003 du Conseil d'Etat, l'ensemble de la procédure sera désormais considéré comme étant régularisé. En adoptant ce projet de loi, nous serons réputés avoir « nécessairement entendu autoriser » l'approbation de l'ensemble conventionnel formé par l'accord initial et par les avenants antérieurs à celui qui nous est soumis. Ces différents textes figurent eux aussi en annexe à mon rapport.
Sans vous dissimuler les interrogations auxquelles la situation actuelle peut conduire, au regard du respect de la Constitution et des prérogatives du Parlement, il me semble que cette régularisation est évidemment positive pour l'avenir.
Au bénéfice de ces différentes observations, je vous propose d'adopter le projet de loi qui nous est soumis.