Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 18 février 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure :

Le Gouvernement nous propose de ratifier la convention n°188 de l'organisation internationale du travail (OIT) relative au travail dans la pêche. En apparence modeste, cette convention représente en fait une avancée non négligeable des normes internationales du travail en faveur de la protection des pêcheurs. Il ne faut pas l'oublier, ceux-ci comptent parmi les professions les plus exposées au monde !

En effet, le métier de pêcheur est, par nature, un métier dangereux. Il suppose de longues heures de travail dans un milieu marin éprouvant. Le trajet à destination des zones de pêche peut être périlleux. Les pêcheurs sont amenés à utiliser des équipements dangereux pour attraper, trier ou stocker le poisson. En cas d'accident ou de maladie survenant en mer, les pêcheurs sont souvent loin d'un centre médical professionnel. Il n'est donc pas étonnant que les taux d'accidents du travail et de décès dans la pêche soient largement supérieurs à la moyenne nationale dans la plupart des pays.

Malgré cette vulnérabilité singulière, les pêcheurs sont longtemps restés en marge des progrès des normes internationales du travail. Au cours du 20ème siècle, l'OIT a adopté des dizaines de textes qui définissaient des normes minimales pour le travail dans la marine marchande. La plupart comprenaient des clauses d'extension aux pêcheurs, mais, d'une part, ce n'était qu'une simple faculté, et, d'autre part, ces normes étaient souvent mal adaptées aux spécificités de la pêche. Seules cinq conventions adoptées par l'OIT concernaient directement la pêche ; elles portaient sur des points très spécifiques, comme l'âge minimal des pêcheurs ou le logement à bord.

En cela, la convention que nous examinons aujourd'hui est un réel progrès. Elle procède d'une volonté de disposer d'un véritable code mondial du travail dans la pêche, à l'image de ce qui a été fait dans la marine marchande avec la Convention sur le travail maritime, que nous avons ratifiée en 2012. La convention n°188 reprend et complète les normes existantes, de façon à créer un socle complet de garanties minimales pour le travail et la vie à bord des navires de pêche.

Ces garanties ont vocation à s'appliquer à tous les pêcheurs, partout dans le monde, quels que soient la taille des navires et les types de pêche pratiqués. C'est là un objectif particulièrement ambitieux, tant le secteur de la pêche est marqué par son hétérogénéité, entre la petite pêche sur des embarcations de fortune et la pêche industrielle en eaux profondes. Bien évidemment, des adaptations sont possibles et prévues.

Parmi les principaux apports en termes de garanties minimales, je mentionnerais l'affirmation du principe de responsabilité générale de l'armateur. L'armateur doit veiller à ce que le patron à la pêche, qui sera en première ligne pour assurer le respect des obligations de la convention, dispose des ressources et moyens nécessaires pour le faire. C'est un principe très sécurisant.

La convention prévoit en outre des durées de repos minimales pour les pêcheurs travaillant sur des navires qui passent plus de trois jours en mer. Il est possible de déroger à ces durées minimales en adoptant des mesures équivalentes, ce que la France fera sans doute, ces durées minimales s'avérant parfois impossibles à mettre en pratique.

La Convention pose le principe du paiement mensuel des pêcheurs, et elle impose aux Etats d'assurer leur rapatriement. Enfin, elle prescrit aux Etats une obligation globale de protection de la santé des pêcheurs. Cela va de la prévention et de l'évaluation des risques à la fourniture de soins médicaux et au bénéfice d'une couverture sociale.

Autant de voeux pieux, me direz-vous ! Pas tout à fait, car la convention instaure aussi un mécanisme de contrôle du respect des garanties énumérées. Ce dispositif, dont l'efficacité a été éprouvée dans la marine marchande où il est en vigueur, repose sur deux piliers.

Premièrement, les Etats doivent instaurer une procédure de certification des navires battant leur pavillon lorsqu'ils mesurent plus de 24 mètres et passent plus de trois jours en mer. Le document délivré comportera la mention des inspections effectuées, de façon à certifier la conformité du navire aux normes de la convention. D'après l'étude d'impact, les navires qui n'auront pas leur certificat « encourront le risque de contrôles approfondis et systématiques dans les ports étrangers, avec des conséquences financières potentielles non négligeables pour les armements (pénalités, immobilisation prolongée du navire, perte de valeur de la cargaison) ».

Deuxièmement, la convention instaure le « contrôle de l'Etat du port ». En vertu de ce principe, tout Etat partie à la convention peut prendre toutes les mesures nécessaires pour redresser une situation qui présente un danger à la santé ou à la sécurité dans les navires faisant escale dans ses ports, quels que soient leurs pavillons. La convention prévoit explicitement que les navires battant le pavillon d'un Etat qui n'a pas ratifié la convention seront soumis au même titre que les autres à ce contrôle, en vertu du « traitement pas plus favorable ».

Au total, ce dispositif de contrôle accroît considérablement la portée des garanties prévues par la convention. Progressivement, il permettra de rejeter dans la marginalité des navires « sous-normes », créant les conditions d'une concurrence plus juste et humaine dans le secteur mondial de la pêche.

La France a tout à y gagner. La pêche est un secteur important pour notre pays qui dispose d'un littoral de 5.500 km de long et de la deuxième zone économique exclusive au monde, avec 11,1 millions de km². La pêche française est quatrième à l'échelle européenne. Elle réalise 10% des captures, pour un chiffre d'affaires de 1,1 milliard d'euros. Elle représente 93 000 emplois directs et induits, dont près de 18 000 marins employés dans la pêche maritime en 2013.

Dans ce secteur, la France doit faire face à une rude concurrence. La pêche est un secteur extrêmement mondialisé, qu'il s'agisse de la chaîne de valeur des pêcheries ou de la main d'oeuvre. Or, beaucoup d'armateurs se livrent à une forme de dumping social dont la France est victime, le niveau de protection des pêcheurs étant supérieur à la moyenne dans notre pays. Il est essentiel de rétablir les conditions d'une concurrence plus juste et humaine, y compris au sein de l'Union européenne.

En effet, beaucoup de pays européens considèrent les pêcheurs rémunérés à la part – c'est un mode de rémunération très fréquent – comme des indépendants. A ce titre, ils ne leur appliquent pas la législation sociale de l'Union européenne, qui ne concerne que les pêcheurs salariés. En France, les pêcheurs rémunérés à la part sont considérés comme des salariés ; notre pays leur a donc appliqué l'ensemble de la législation sociale prévue par les directives européennes. La convention n°188 sera mise en oeuvre par des directives européennes qui seront pour parties issues de la négociation collective. Or, les partenaires sociaux européens n'ont pas compétence pour représenter les indépendants : la directive européenne ne les concernera donc pas. Il faudra absolument que l'Union européenne se dote d'une législation qui couvre l'ensemble des pêcheurs, conformément à ce que prévoit la convention. Et il faudra que le Gouvernement mobilise nos partenaires en ce sens.

Cet enjeu d'harmonisation sociale européenne est sans doute le point le plus important de cette convention pour notre pays. Pour le reste, le niveau de protection offert aux pêcheurs par le droit français est, dans l'ensemble, conforme aux dispositions de la convention, à quelques menues adaptations près.

La France devra toutefois garantir le bénéfice de la convention à la main d'oeuvre non résidente employée sur les navires de pêche français qui pratiquent la pêche lointaine. Cela concerne une population d'environ 600 pêcheurs. Certains sont employés dans le cadre d'accords de pêche de l'Union européenne avec des Etats tiers. Dans ce cas, ils disposent déjà d'une protection juridique minimale qu'il faudra adapter sur certains points. Les autres pêcheurs non résidents sont pour la plupart employés sur des navires immatriculés à Mayotte ou dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Il faudra leur prévoir un régime juridique propre.

Au bénéfice de ces quelques observations, je vous encourage à approuver la ratification de la convention n°188. Comme souvent, elle a déjà trop attendu. La convention avait été adoptée à une large majorité au mois de juin 2007. Plus de 7 ans plus tard, seuls 5 Etats l'ont ratifiée. La France se situera donc malgré tout dans le peloton de tête ! Je vous l'ai exprimé, il est dans l'intérêt de notre pays que cette convention soit largement ratifiée et mise en oeuvre. Nous nous devons donc d'être un élément moteur sur ce dossier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion