Intervention de Alexis Zajdenweber

Réunion du 18 février 2015 à 18h30
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Alexis Zajdenweber, directeur des participations « énergie » de l'APE :

Je commencerai par rappeler comment l'État actionnaire aborde les problématiques tarifaires, avant de répondre à vos questions – à condition qu'elles relèvent de la compétence de l'APE. Vous l'avez dit, l'État est actionnaire d'EDF, mais également de GDF Suez et d'Areva ; compte tenu de l'objet de la Commission d'enquête, j'évoquerai surtout EDF, mais la même logique vaut pour les autres producteurs et exploitants d'installations productrices d'électricité.

Comme tout actionnaire, l'État veille à ce que l'entreprise EDF accomplisse les tâches qui lui sont confiées – parmi lesquelles plusieurs missions de service public – en réalisant des profits et en se développant par des investissements rentables et soutenables, afin de pouvoir rémunérer ses salariés et ses bailleurs de fonds dont ses actionnaires, et en particulier l'État. Les tarifs de vente de l'électricité sont une donnée essentielle de cette équation puisque le chiffre d'affaires d'EDF – résultante des volumes multipliés par les prix – en dépend directement.

Avant tout, les revenus d'EDF doivent nécessairement couvrir ses coûts. Toute entreprise cherche à vendre les biens ou les services qu'elle commercialise à un prix supérieur à ses coûts. Pour un moyen de production d'électricité en fonctionnement – par exemple une centrale nucléaire –, ces « coûts complets » incluent les charges annuelles d'exploitation, notamment les salaires de ses employés et le combustible, les investissements de maintenance qui en assurent la performance et la sûreté, et une marge lui permettant de rembourser et de rémunérer les bailleurs de fonds qui ont pris le risque de financer l'investissement initial. Il est donc naturel que les tarifs réglementés de vente (TRV), qu'EDF doit proposer à tout client qui le demande en vertu de sa mission de service public, couvrent ses coûts. Si le régulateur souhaite limiter la hausse d'un tarif régulé, il peut discuter ses trajectoires de coûts avec EDF ou introduire une régulation incitative. Idéalement, celle-ci doit partager les gains d'efficience constatés entre le fournisseur et le consommateur.

Si l'entreprise ne parvient pas à couvrir ses coûts avec son chiffre d'affaires – soit parce que le régulateur est trop exigeant, soit parce que ses concurrents sont plus compétitifs –, elle doit les réduire. Ne pas arriver à couvrir ses coûts complets signifie que la décision d'investissement initial se révèle mauvaise, puisque la rentabilité escomptée n'est pas atteinte ; à l'entreprise alors d'en tirer les leçons pour ses investissements futurs. En cas d'impossibilité de couvrir même les charges annuelles – exploitation et maintenance –, l'entreprise doit fermer son moyen de production.

En 2015-2016, EDF verra la régulation tarifaire significativement modifiée, avec la construction des TRV par empilement, l'entrée en vigueur de la nouvelle formule de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et la fin des TRV jaunes et verts ; ces nouvelles règles constituent un enjeu fort pour le groupe, et l'État actionnaire les scrute avec attention. Jusqu'en 2014, environ 70 % du chiffre d'affaires d'EDF était régulé. Avec la fin des TRV jaunes et verts en 2016, un prix de l'ARENH actuellement supérieur aux prix de gros sur le marché et la nouvelle construction des TRV par empilement, EDF sera davantage exposée aux prix de marché et à la concurrence. Son actionnaire souhaite que l'entreprise se montre capable de s'adapter à cette situation en maîtrisant ses coûts et en proposant des offres attractives à ses clients, et que les principes retenus pour la construction des tarifs régulés lui assurent la couverture de ses coûts, pour la part de ses ventes qui reste régulée et pour le jour où les tarifs de marché redeviendront supérieurs aux tarifs régulés. Il convient en effet de rappeler que la régulation mise en place pour l'ARENH est asymétrique, son prix représentant un plafond pour EDF : quand les prix de marché sont inférieurs à l'ARENH, EDF vend aux prix de marché, donc en-dessous de l'ARENH ; lorsqu'ils sont supérieurs, EDF ne peut pas vendre au-dessus de l'ARENH. Or on prévoit le retour à une situation de prix de marché supérieurs à l'ARENH, les besoins européens en matière de renouvellement du parc de production d'électricité devant corriger la situation actuelle de surcapacité.

Pour engager les investissements nécessaires sur le parc français, son principal opérateur – EDF – doit évaluer s'il peut compter sur des revenus suffisants pour les rentabiliser ; il a donc besoin d'une visibilité maximale sur les trajectoires tarifaires. Les besoins de renouvellement du parc de production seront importants à l'horizon 2030 ; dans certains cas, les investissements massifs pourront être retardés en prolongeant la durée de vie des moyens existants, mais en tout état de cause, les entreprises et leurs actionnaires décideront d'autant plus facilement d'investir qu'ils pourront anticiper leurs revenus futurs.

À court terme, EDF travaille à l'extension de la durée de vie d'une partie de son parc nucléaire historique. Le juste calibrage de l'ARENH et sa stabilité sont donc des éléments clés pour les décisions d'investissement à venir, dites de « grand carénage ». À plus long terme, les décisions de renouvellement dépendront de perspectives de marché fondées sur des projections d'offre et de demande, ainsi que des soutiens publics éventuels à certains modes de production, par exemple aux énergies renouvelables. Il faudra éventuellement imaginer des dispositifs tarifaires spécifiques, à l'instar du « contrat pour différence » instauré par les autorités britanniques pour permettre la construction de nouvelles centrales nucléaires au Royaume-Uni dans le cadre du projet Hinkley Point. Ce contrat assurera un minimum de revenus aux investisseurs, moyennant un juste partage du risque.

Bien entendu, en période d'investissement, la politique de distribution de dividendes d'EDF doit être finement calibrée. Vous savez que la rémunération des bailleurs de fonds d'une entreprise inclut aussi et surtout ses actionnaires, car ils immobilisent du capital dans l'entreprise qu'ils ne peuvent pas utiliser ailleurs, par exemple pour réaliser des investissements plus rentables. De tout temps, mais particulièrement dans une période d'investissement, un actionnaire responsable doit se poser la question de la soutenabilité des dividendes qu'il reçoit de son entreprise. S'agissant d'EDF, l'orientation retenue depuis juillet 2011, qui correspondait au début de la période de réinvestissement du groupe, consiste à fixer un objectif de taux de distribution de dividendes en pourcentage du résultat net courant (RNC). Ce principe et le taux choisi – entre 55 et 65 % du RNC, soit quelque 60 % en moyenne – sont fondamentaux : ils reposent sur le sentiment partagé par l'entreprise et son actionnaire qu'il s'agit du niveau soutenable pour le groupe dans la période actuelle. Ils permettent également d'ajuster le niveau à la performance effective du groupe, hors événements exceptionnels, dans une fourchette qui permet un lissage, donc une stabilité recherchée à la fois par l'État – soucieux des finances publiques – et par le marché. Sans faire du dividende une variable d'ajustement, l'engagement à atteindre un objectif de flux de trésorerie positif en 2018, pris il y a un an et confirmé la semaine dernière par la nouvelle direction générale, atteste de la soutenabilité de cette politique de dividendes, déclinée ensuite au niveau des filiales d'EDF, notamment ERDF et RTE.

J'espère vous avoir convaincus de l'importance des questions tarifaires pour l'actionnaire du groupe EDF et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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