Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du 18 février 2015 à 17h15
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

Le diagnostic ayant conduit à la création de cette commission d'enquête se fonde sur « un manque de transparence et de visibilité sur les tarifs réglementés ainsi que sur l'instabilité juridique s'agissant de leur détermination ». Les coûts de production, d'acheminement et de commercialisation d'EDF sont transparents et connus des pouvoirs publics et du régulateur ; notre budget et notre plan à moyen terme sont présentés en conseil d'administration auquel assistent l'État en tant qu'actionnaire et le commissaire du Gouvernement représentant le ministère de tutelle. Notre régulateur sectoriel, la commission de régulation de l'énergie (CRE), procède tous les ans à une analyse détaillée de nos coûts ; la commission établit ses propres prévisions d'évolution des coûts dans les années à venir et publie ses études dans un rapport annuel consacré à nos tarifs. La CRE réalise également des audits périodiques et la Cour des comptes examine régulièrement les comptes et les coûts d'EDF, comme ceux de notre parc nucléaire l'année dernière. La transparence constitue donc un sujet moins actuel que celui de l'insécurité juridique.

En effet, de nombreux arrêtés tarifaires ont été annulés en raison de leur irrespect du principe légal de couverture des coûts. EDF souhaite que l'insécurité juridique cesse, les annulations d'arrêtés étant dommageables pour l'image de l'entreprise et mettant en péril la relation entretenue avec les clients ; elles s'accompagnent souvent de factures rétroactives qui ont un coût pour la collectivité et qui engendrent des difficultés commerciales et des impayés. Nous espérons que les principes de construction tarifaire énoncés dans la loi seront respectés à l'avenir, car l'instabilité juridique et la non-couverture des coûts se nourrissent l'une et l'autre.

Les tarifs entrés en vigueur le 1er novembre dernier n'ont pas pris en compte le déficit tarifaire constaté par la CRE pour les années 2012 et 2013 et font donc l'objet d'un recours devant le Conseil d'État, qui avait pourtant rappelé la nécessité de compenser ces déficits. Entre le 1er janvier et le 31 octobre 2014, les coûts n'ont, une nouvelle fois pas été couverts, si bien qu'un nouveau déficit tarifaire sera probablement constaté pour l'ensemble de l'année dernière. Tout cela générera à nouveau de l'instabilité juridique, des annulations de tarif et des corrections sur les factures.

Conformément aux prescriptions de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME), nous construisons nos tarifs, depuis le 1er novembre 2014, par l'empilement de coûts normatifs et non constatés. Ces coûts normatifs se fondent sur celui de l'approvisionnement sur le marché et non plus sur ceux d'EDF ; cette évolution entérine la fin de la couverture de nos coûts du fait des prix de marché. Cette méthode crée de la volatilité – modérée grâce à l'ARENH – due aux mouvements de marché.

L'ARENH constitue le prix de gros auquel nous vendons une partie de notre production nucléaire à nos concurrents et s'avère directeur pour les recettes d'EDF. Il s'applique aux ventes consenties aux fournisseurs alternatifs, mais également aux approvisionnements en production d'électricité nucléaire historique qui servent à la construction des tarifs réglementés ainsi qu'aux ventes de l'offre de marché. Or la trajectoire de l'ARENH dessinée par le régulateur n'est pas respectée et le projet de décret reste au stade de l'élaboration. On aboutit ainsi à des prévisions de dépenses bien supérieures à celles des recettes pour toute l'activité dérégulée d'EDF en France ; notre endettement à ce titre s'accroît chaque année de 3 milliards d'euros, et si les formules de calcul de prix ne sont pas modifiées, nous devrons faire face à une dette additionnelle de 30 milliards d'euros au titre de l'activité française en fin de période.

EDF, premier énergéticien français et européen, a un rôle à jouer dans la transition énergétique ; mais comment investir dans cette transition si le mode de calcul de nos tarifs crée mécaniquement de la dette ? Comment investir également dans la rénovation de notre parc nucléaire historique ? Nous souhaitons donc que le prix de l'ARENH atteigne le plus rapidement possible le niveau du coût économique complet du parc ; Nous estimons, comme la Cour des comptes, que celui devrait s'élever à 55 euros par MWh

La composante du tarif liée à l'acheminement correspond aux revenus des entreprises de réseau, RTE et ERDF. Le besoin d'investissement dans les réseaux s'avère important, récurrent et croissant, puisqu'il convient d'entretenir et de développer les réseaux et de s'adapter à la transition énergétique qui s'accompagnera d'une organisation territoriale différente des moyens de production engendrant de nouveaux modes d'acheminement de l'électricité. Nous souhaitons donc que la composante liée à l'acheminement permette ces investissements pour que les évolutions à venir puissent être mises en oeuvre dans de bonnes conditions.

Néanmoins, le mode de rémunération des actifs de réseau a subi de nombreux changements au cours des dix dernières années. Le premier tarif d'utilisation des réseaux était construit selon une approche comptable, remplacée par une conception économique que le Conseil d'État n'a pas validée ; aujourd'hui, la méthode est hybride, mais fait également l'objet d'un recours. Cette situation, insatisfaisante, doit évoluer, et nous appelons de nos voeux la stabilisation du cadre juridique du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) sur des fondements économiques ; cela donnerait de la visibilité et un cadre de financement solide pour le financement des réseaux.

L'évolution récente de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) s'est révélée très importante ; il s'agit de la principale taxe spécifique, à laquelle il faut ajouter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui s'applique également sur la CSPE. La totalité des taxes porte le coefficient multiplicateur par rapport à la part électricité à près de 43 % dans la plupart des factures. La CSPE atteint 19,5 euros par mégawatts et représente, à elle seule, 18 % du tarif pour un client résidentiel moyen. Elle finance de nombreux aspects de la politique énergétique française, comme le soutien aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les départements d'outre-mer (DOM) et en Corse, les dispositions en faveur des clients démunis, la cogénération et, bientôt, les opérateurs d'effacement. En 2015, la CRE prévoit que la charge financée par la CSPE sera de 6,3 milliards d'euros, dont près des deux tiers – quatre milliards – seront dus aux énergies renouvelables (EnR) ; sur ces 4 milliards d'euros consacrés aux EnR, 2,2 milliards concernent la seule électricité photovoltaïque. Ce dernier montant reflète notamment les dépenses d'achat très élevées des installations engagées avant la réforme de 2011 ; en effet, certaines de ces installations ont des obligations d'achat atteignant 600 euros le mégawattheure pour des contrats qui courront pendant vingt ans. Les prix d'achat ont diminué depuis 2011 et les effets d'aubaine se sont ralentis, mais le photovoltaïque reste très loin d'être compétitif, il continue d'occasionner des surcoûts et il pèse sur la balance commerciale à hauteur de plus de 500 millions d'euros par an, la plupart des panneaux solaires étant importés d'Asie.

La CSPE augmente de 3 euros par mégawattheure chaque année depuis 2011, mais cela ne suffit pas pour faire face aux charges à financer et a conduit à un déficit de compensation qui s'élevait à 5,8 milliards d'euros à la fin de l'année dernière et qui se trouve intégralement supporté par EDF. Il faut apurer ce déficit, ce qui nécessiterait de toujours augmenter la CSPE, politique dont on peut interroger l'acceptabilité ; il convient de constater que l'augmentation de la facture de nos concitoyens provient à 60 % de la CSPE au cours des cinq dernières années. Cela entrave les hausses de tarif qu'EDF peut obtenir de la part de l'État, alors que notre entreprise en a besoin pour investir et pérenniser l'outil industriel. Il y a lieu de réfléchir à la façon de sortir de cette spirale en commençant par nous interroger sur le fort déséquilibre existant entre les taxes spécifiques sur l'électricité et les autres formes d'énergie. Aujourd'hui, les taxes spécifiques appliquées au tarif résidentiel de l'électricité sont de 32 % contre seulement 6 % pour le gaz et 13 % pour le fuel domestique. Cette situation fiscale, déséquilibrée, pénalise le développement de l'électricité dans la concurrence entre énergies, alors qu'elle est, de loin, l'énergie la moins carbonée. L'électricité fournit les plus gros efforts en matière de développement des EnR et c'est son prix que l'on augmente : nous sommes là face à un paradoxe. Les charges de service public ne dépassent pas 8 millions d'euros pour le gaz, à comparer avec les 4 milliards pour l'électricité soit un facteur de 500. Il est donc possible de rééquilibrer la fiscalité entre les énergies, afin d'être en cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de CO² et d'indépendance énergétique portés par le projet de loi sur la transition énergétique.

Il ne revient pas à EDF mais aux pouvoirs publics de fixer l'assiette de la CSPE, mais nous nous sommes permis d'avancer quelques propositions ; nous avons d'ailleurs noté avec intérêt que Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, a considéré, à l'occasion de l'examen du projet de relatif à la transition énergétique par l'Assemblée nationale, que l'élargissement de l'assiette de la CSPE serait un schéma idéal et a souhaité que votre commission d'enquête instruise le sujet dans ses différents aspects. J'espère que nous aurons progressé sur cette question le mois prochain, afin que l'on prenne en compte tous les paramètres, dont les émissions de CO² et les effets sur la santé publique, pour que l'ensemble des énergies soient mises à contribution.

EDF se prépare à la fin des tarifs verts et jaunes ; l'ensemble de nos prestations se trouvent en concurrence depuis 2007, mais de nombreux consommateurs ont continué de bénéficier de tarifs fixés par arrêté, ces tarifs verts et jaunes ayant servi de cadre de référence pour les petites et moyennes entreprises. La moitié des consommateurs professionnels qui n'ont toujours pas basculé dans des offres de marché le feront avec la disparition de ces tarifs. EDF a consenti un effort important en matière d'offre commerciale, de formation des agents et de déploiement de systèmes d'information adaptés au traitement de ces offres commerciales. Nous perdrons peut-être quelques parts de marché, mais les nouveaux systèmes mis en place nous permettront aussi d'en regagner.

Les industries électro-intensives sont fortement exposées à la concurrence internationale, et leur maintien dans notre pays entre dans nos missions de service public car il s'avère industriellement et socialement important. En facilitant la construction du consortium Exeltium, EDF a montré sa volonté de contribuer à l'effort national ; en outre, d'autres dispositifs de fourniture d'électricité avec participation des clients aux risques ont été mis en place. L'heure est à l'action sur une échelle plus large et il me semble que la voie adéquate repose sur des mesures techniques à caractère réglementaire ; d'autres pays ont suivi ce chemin et l'ont fait accepter par la Commission européenne. Plusieurs possibilités existent : augmentation de l'abattement du tarif d'acheminement, compensation du coût du CO² contenue implicitement dans les contrats d'électricité à prix de marché, et élargissement et accroissement de la rémunération de leur interruptibilité. La combinaison de ces mesures permettrait d'obtenir des baisses de factures substantielles pour les grands électro-intensifs, à l'image du résultat obtenu dans certains pays voisins comme l'Espagne et l'Allemagne dont les dispositifs ont été approuvés par la Commission européenne. Nous sommes donc en mesure de proposer des solutions précises pour les industriels électro-intensifs, qui s'inquiètent de la fin de leurs contrats à court ou moyen terme.

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