Mesdames, messieurs les députés, lorsque je me suis exprimée devant votre commission en avril dernier sur le projet de loi d'habilitation, je m'étais engagée à revenir devant vous pour présenter l'ordonnance. Je n'ignore pas, en effet, combien il est frustrant pour les parlementaires de légiférer par ordonnance.
La loi d'habilitation a été promulguée le 10 juillet 2014, et l'ordonnance relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées a été publiée le 27 septembre 2014 au Journal officiel. Le projet de loi de ratification devant être déposé sur le Bureau d'une des assemblées parlementaires dans un délai de cinq mois à compter de la publication de l'ordonnance, soit avant le 27 février 2015, il a été déposé sur le Bureau du président du Sénat le 4 février dernier. Il a en effet été décidé, en concertation avec les deux rapporteurs, celui de l'Assemblée nationale et celle du Sénat, de procéder dans le même ordre que pour le projet de loi d'habilitation, c'est-à-dire de commencer par le Sénat.
Je vais apporter des éléments concernant les agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), tels qu'ils sont décrits dans l'ordonnance et dans les textes sortis depuis le mois de septembre. Cette ordonnance devra être ratifiée par le Parlement. C'est vous qui déciderez de la date à laquelle ce texte sera étudié, sachant que les agendas d'accessibilité programmée doivent être déposés avant le 27 septembre 2015. Plus vite nous débattrons ensemble de cette ordonnance, mieux ce sera pour les personnes handicapées et les propriétaires ou gestionnaires d'établissement qui sauront ainsi à quoi s'en tenir.
C'est la sénatrice Claire-Lise Campion, dans le cadre de son rapport « Réussir 2015 » qui avait proposé cette solution de l'Ad'AP à l'issue d'une concertation avec les parties prenantes. Conformément à la loi du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », le 1er janvier 2015 reste la date limite pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public. Ces derniers doivent donc faire connaître leur situation, soit en attestant être en conformité avec les normes d'accessibilité, soit en déposant un agenda d'accessibilité programmée. Ainsi, la seule façon de pouvoir engager ou poursuivre des travaux d'accessibilité après le 1er janvier 2015 est de déposer un Ad'Ap.
L'agenda d'accessibilité programmée correspond à un engagement de procéder aux travaux de mise en accessibilité dans le respect de la réglementation, dans un délai limité, et selon une programmation des travaux et des financements.
Le propriétaire de l'ERP est généralement responsable pour ce qui concerne les travaux lourds, sauf stipulation particulière portée au contrat du bail, mais plusieurs personnes morales ou physiques peuvent cosigner un Ad'AP. Dans ce cas, chaque personne morale ou physique engage sa responsabilité à hauteur des travaux qui relèvent de sa compétence, mais une seule d'entre elle devient le correspondant de l'administration dans le cadre du suivi de l'exécution de l'Ad'AP.
Il y aura donc un dossier de demande de travaux pour tous les établissements. Dans un souci de simplification, nous avons choisi, pour les établissements de cinquième catégorie, c'est-à-dire qui reçoivent moins de 200 personnes, d'intégrer au dossier de demande d'autorisation de travaux la page relative à l'Ad'AP.
La date limite de dépôt de l'agenda d'accessibilité programmée est fixée au 27 septembre 2015. L'ordonnance – qui pourra être amendée lors du débat parlementaire – prévoit cependant des possibilités de prorogation. Deux motifs peuvent ainsi être invoqués par les gestionnaires d'établissement pour l'obtention du report de la date de dépôt : soit les difficultés techniques, soit les difficultés financières liées à l'évaluation ou à la programmation des travaux.
La notion de « difficulté financière » sera prochainement précisée par un arrêté, mais je peux d'ores et déjà vous indiquer qu'il s'agit des redressements ou liquidations judiciaires, lorsque les capitaux propres sont négatifs ou lorsque les indicateurs du taux d'endettement ou de capacité d'autofinancement sont déjà dans le rouge. Pour ces situations, la dérogation accorde un délai de trois ans pour déposer un Ad'AP – la loi de 2005 prévoit au demeurant des dérogations pour « impossibilité financière ». Le Gouvernement a souhaité que cette disposition ne concerne que les structures dont la survie économique ou budgétaire est en jeu, c'est-à-dire celles qui n'ont pas la capacité d'investir pour la mise en accessibilité et qui ne peuvent contracter des prêts.
Quant à la notion de « difficulté technique », il est délicat d'y apporter une définition réglementaire, mais nous y réfléchissons. Pour l'instant, il est prévu que cette situation soit laissée à l'appréciation du préfet au cas par cas. Cela peut être, par exemple, un patrimoine très étoffé nécessitant la mobilisation de plusieurs bureaux d'études ou encore un ERP nécessitant la réalisation d'études en amont particulièrement complexes.
La demande de prorogation pour le dépôt de l'agenda d'accessibilité programmée doit être adressée au préfet avant le 27 juin 2015. Celui-ci dispose alors d'un délai de trois mois pour statuer. Le préfet a l'obligation de rendre une décision motivée et son silence vaut rejet. Autrement dit, s'il ne répond pas, la demande de dérogation est rejetée.
En cas de rejet d'un premier agenda d'accessibilité programmée par le préfet, celui-ci fixe une prorogation pour un nouveau dépôt, qui ne peut excéder six mois. À titre d'exemple, un gestionnaire d'établissement demandant à bénéficier du dispositif de longue durée, soit six ans, mais ne remplissant pas les conditions, devra redéposer dans les six mois un Ad'AP correspondant à la durée de droit commun.
D'aucuns voient dans ce délai de six mois un effet d'aubaine permettant aux propriétaires ou aux gestionnaires d'ERP de bénéficier de six mois supplémentaires en déposant un dossier incorrectement rempli. Néanmoins, le Conseil d'État estime le risque d'effet d'aubaine très limité, puisqu'un dossier jugé notoirement insuffisant est considéré comme n'ayant jamais existé, ce qui expose le propriétaire ou l'exploitant de l'établissement aux sanctions pénales pour non-dépôt d'Ad'AP prévues par la loi de 2005, c'est-à-dire des amendes comprises entre 45 000 et 200 000 euros.
Pour ce qui est de l'acceptation ou du rejet de l'agenda d'accessibilité programmée, la règle générale est une décision implicite d'acceptation du préfet. Le silence vaut donc accord, sauf dans un certain nombre de cas. Le préfet a, en effet, l'obligation de prendre une décision expresse sur le dossier en cas de demande d'une durée plus longue pour des raisons financières ou de complexité du patrimoine, en cas de demande de prorogation du délai de dépôt, ainsi qu'en cas de demande de prorogation de délai d'exécution. Autrement dit, le silence vaut rejet pour toutes les dispositions hors du droit commun.
S'agissant des délais des agendas d'accessibilité programmée, la durée de base est de un an, deux ans ou trois ans, et aucune année ne doit être blanche. Le préfet peut ainsi refuser une durée de trois ans pour l'installation d'une simple rampe. Toutefois, il est possible à un propriétaire ou à un exploitant d'un ERP recevant plus de 200 personnes de déposer un agenda supérieur à trois ans et ce jusqu'à six ans. En effet, dans les établissements de catégorie 1 à 4, chaque mètre carré doit être mis en accessibilité selon les normes en vigueur, alors que l'obligation d'accessibilité pour les établissements de catégorie 5 concerne uniquement la porte d'entrée et une partie de l'établissement où toutes les prestations peuvent être délivrées.
En termes de budget d'investissement, CCI France considère qu'un commerce de catégorie 5 doit investir 10 000 euros pour sa mise en accessibilité. De son côté, l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement estime à 150 000 euros le budget moyen pour la mise en accessibilité d'un collège.
Vous l'avez compris : un agenda d'accessibilité programmée de plus longue durée que trois ans ne sera accepté pour un établissement de catégorie 1 à 4 que si l'ampleur des travaux le justifie. D'ailleurs, si la loi de 2005 n'a été qu'imparfaitement appliquée, c'est probablement parce qu'elle ne faisait aucune différence entre la taille des patrimoines et l'importance des travaux. D'où l'intérêt de ces dispositions en fonction du type d'établissement.
La durée de l'agenda d'accessibilité programmée peut être étendue sur justification d'une situation économique délicate. En effet, il a été décidé de prendre en compte la réalité économique des maîtres d'ouvrage, qu'ils soient publics ou privés. Si le maître d'ouvrage démontre que les budgets d'investissement nécessaires à la mise en accessibilité obèrent sa marge d'autofinancement et son taux d'endettement, il peut envisager un Ad'AP de longue durée, à savoir six ans. De la même façon, si les indicateurs de marge d'autofinancement et de taux d'endettement passent dans le rouge, avec une programmation sur six ans, le maître d'ouvrage peut soumettre un Ad'AP à neuf ans. Le principe retenu est de programmer des travaux d'accessibilité sur une plus longue durée, sans pour autant dépasser neuf ans. L'objectif est de permettre aux établissements qui ne peuvent procéder aux travaux en trois ans de les réaliser dans des délais plus longs.
Le dépôt de l'agenda d'accessibilité programmée est obligatoire. L'Ad'AP est un schéma directeur de mise en accessibilité du patrimoine, qui permet de poursuivre en toute légalité une démarche d'accessibilité après le 1er janvier 2015. Les Ad'AP d'une durée de droit commun – de un an, deux ans ou trois ans – bénéficient d'une décision implicite d'acceptation, ainsi que ceux des établissements de catégorie 1 à 4 dont l'ampleur des travaux justifie une programmation des travaux sur quatre, cinq ou six ans. Autrement dit, silence vaut accord.
Toutes les autres situations font obligatoirement l'objet d'une décision expresse et motivée du préfet. Il s'agit des agendas de plus de trois ans justifiés par une situation financière délicate ou dégradée ; des agendas de sept, huit ou neuf ans justifiés par un patrimoine très étoffé ou dispersé sur le territoire ; des demandes de prorogation de délai de dépôt de l'agenda ; des demandes de dérogation aux règles d'accessibilité pour les établissements de première et deuxième catégories, c'est-à-dire qui accueillent plus de 700 personnes.
Actuellement, toutes les demandes d'autorisation de travaux des établissements recevant du public doivent être traitées dans les quatre mois. Ce sera la même chose pour les agendas d'accessibilité programmée : le dossier doit être instruit par les services de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et présenté devant la commission d'accessibilité et de sécurité dans un délai de quatre mois. Ainsi, la décision du préfet doit intervenir dans un délai de quatre mois.
J'en viens à la question épineuse de la copropriété. Le droit de propriété étant constitutionnellement reconnu, le législateur peut uniquement adapter les règles de majorité lorsque les travaux envisagés visent l'accessibilité des personnes handicapées. En cas de refus de l'assemblée générale des copropriétaires pour une mise en accessibilité, le propriétaire ou l'exploitant de l'établissement situé dans la copropriété se retrouve dans l'impossibilité de rendre son établissement accessible du fait d'un tiers. Le Gouvernement et le Conseil d'État ont décidé de ne pas mettre en péril les établissements installés dans des copropriétés – qui sont souvent des cabinets médicaux et paramédicaux – et d'accorder automatiquement une dérogation aux règles d'accessibilité sur les parties communes en cas de refus de l'assemblée générale des copropriétaires. En revanche, tout nouvel établissement recevant du public qui s'installe dans une copropriété d'habitation devra, si le cheminement est un obstacle à l'accessibilité, demander une dérogation et, surtout, expliquer pourquoi il ne peut pas s'implanter dans un autre local accessible. Ainsi, les nouveaux établissements ne devraient théoriquement pas s'installer dans des copropriétés inaccessibles.
Vous l'avez compris : tous les gestionnaires doivent déposer leur agenda d'accessibilité programmée sous peine de sanction administrative forfaitaire. Un exploitant dont l'établissement est déjà conforme au 31 décembre 2014 n'a pas à déposer un dossier, mais a l'obligation de se signaler auprès du préfet. Ainsi, les établissements déjà conformes doivent attester de la conformité de leur établissement avant le 1er mars 2015 ; pour tous les établissements de cinquième catégorie, soit 80 % des établissements, ce document consiste en une simple déclaration sur l'honneur.
En cas de non-respect des obligations de mise en accessibilité prévues par la loi de 2005, des sanctions pénales sont prévues à l'encontre des propriétaires ou exploitants. À partir du 27 septembre 2015, date limite de dépôt des agendas, tout propriétaire ou exploitant qui n'aura pas déposé un agenda sera passible d'une sanction pénale. Il en sera de même pour ceux qui ne respecteront pas leur agenda. Je vous rassure donc : les sanctions pénales sont toujours applicables.
Un suivi des agendas d'accessibilité programmée est prévu. L'ordonnance impose aux propriétaires et aux exploitants de transmettre au préfet les documents de suivi ou d'achèvement. Pour les agendas de droit commun – de un an, deux ans ou trois ans –, le propriétaire ou l'exploitant a l'obligation de communiquer au préfet ce document dans les deux mois qui suivent l'achèvement des travaux. Concernant les Ad'AP de quatre ans et plus, le propriétaire ou l'exploitant devra, d'une part, transmettre un point de situation à un an pour signaler les premières concrétisations et, d'autre part, transmettre un bilan à mi-agenda. La non-communication de ces documents de suivi est passible d'une amende administrative forfaitaire de 1 500 euros pour les Ad'AP de cinquième catégorie et de 2 500 euros pour les autres.
En cas de non-respect des engagements en fin d'agenda d'accessibilité programmée, le préfet engage une procédure de carence. Sur proposition de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité, il pourra prononcer par ordre décroissant de gravité une sanction pécuniaire représentant un pourcentage du montant des travaux non réalisés, ou la constitution d'une provision comptable permettant au propriétaire ou à l'exploitant de financer les travaux, ou l'octroi de quelques mois supplémentaires pour achever la réalisation de l'agenda. Cette dernière possibilité sera logiquement réservée aux agendas quasiment bouclés.
Les commissions communales ou intercommunales pour l'accessibilité vont devenir des observatoires locaux de l'accessibilité. En effet, à la demande du Sénat, les commissions dresseront une liste numérique des établissements recevant du public implantés sur le territoire communal ou intercommunal d'ores et déjà accessibles ou entrés dans la démarche d'accessibilité programmée. Ainsi, chaque citoyen pourra consulter la liste des établissements déjà accessibles et des établissements ayant déposé un agenda et en cours de mise en accessibilité.
Avant de prendre sa décision, le préfet consultera la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité. Cette commission sera systématiquement et obligatoirement consultée sur les demandes d'approbation d'Ad'AP et sur les autorisations de travaux ou de dérogation aux règles d'accessibilité. En réalité, c'est la sous-commission « accessibilité », dont tous les membres ont été formés au cours du premier semestre 2014, qui sera saisie de ces questions.
J'en viens aux transports scolaires. Actuellement, les départements ont l'obligation de mobiliser deux budgets, un budget d'investissement pour l'aménagement des 500 000 points d'arrêt scolaire, dont le coût total est compris entre 10 et 15 milliards d'euros ; un budget de fonctionnement pour assurer le transport spécialisé des enfants handicapés. La plupart des familles préfèrent les transports spécialisés, très personnalisés et très protecteurs. Néanmoins, une société inclusive suppose de permettre aux enfants handicapés d'avoir accès, si les parents le souhaitent, aux modes de transport scolaire classique. À l'issue de la concertation, il a été décidé que les autorités organisatrices de transport continuent d'assurer le transport personnalisé des enfants en situation de handicap, mais aussi que les parents auront la possibilité de demander une mise en accessibilité du point d'arrêt correspondant à leur domicile. L'ordonnance prévoit ainsi que les parents peuvent demander, dans le cadre du projet personnalisé de scolarisation (PPS) de l'enfant, cette mise en accessibilité du point d'arrêt correspondant à leur domicile.
S'agissant des transports en général, les autorités organisatrices de transport ont l'obligation de programmer leur mise en accessibilité dans un délai de trois ans pour les transports urbains, de six ans pour l'interurbain, et de neuf ans pour le ferroviaire. Les critères de priorité d'action, identifiés grâce à la concertation menée par la sénatrice Claire-Lise Campion, sont : la fréquentation du point d'arrêt, les modalités de son exploitation, l'organisation du réseau de transport, les nécessités de desserte suffisante du territoire. Pour élaborer leur schéma d'accessibilité, les autorités organisatrices de transport ont l'obligation de définir, avec les associations locales de personnes handicapées, la liste des points à mettre prioritairement en accessibilité.
Enfin, des « ambassadeurs de l'accessibilité » seront recrutés dans le cadre du service civique pour accompagner et orienter les acteurs sur les agendas d'accessibilité programmée. Nous avons proposé aux conseils généraux d'accueillir ces jeunes en service civique – dispositif financé par l'État. Pour l'heure, une dizaine de départements seulement ont répondu être intéressés, l'un d'entre eux ayant entamé une procédure de recrutement. Nous allons donc proposer aux villes d'accueillir des jeunes en service civique, afin de permettre un bon déploiement de ce dispositif.
En conclusion, vous l'avez compris : un très grand nombre d'agendas d'accessibilité programmée devront être étudiés durant l'été et ce jusqu'au 27 septembre. Pour ce faire, 115 équivalents temps plein (ETP) seront mis à disposition par le ministère du logement. En outre, une centaine d'ETP sera recrutée, dont le financement sera réparti entre le ministère du logement et le ministère des affaires sociales.
Tels sont les éléments que je tenais à vous apporter dans un premier temps. Le sujet est certes très technique, mais cette présentation aura, je l'espère, permis de répondre à certaines de vos interrogations. Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.