Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du 29 janvier 2015 à 11h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement Bpifrance :

Bpifrance exerce ses activités depuis maintenant près de trente mois, dans des conditions qui ont évolué depuis que j'ai été nommé, le 17 octobre 2012, préfigurateur puis, le 7 février 2013, directeur général de ce qui était encore une coquille vide. Cette coquille a été remplie le 12 juillet 2013, mais, dès décembre 2012, j'avais fait comme si la Banque existait déjà, de manière que, dès sa création effective, Bpifrance soit à même de répondre le plus rapidement possible aux besoins des entrepreneurs. La mission de préfiguration a donc été pilotée avec le double impératif de bon sens et de vitesse.

Au Portugal – et je puis vous annoncer que le contentieux de marque qui nous opposait à la banque privée portugaise BPI est heureusement réglé – le projet de banque publique d'investissement en est, depuis trente mois, toujours au stade de la préfiguration.

L'année 2013 a donc été celle du lancement de Bpifrance à marche forcée ; 2014 a été celle de la croissance et, aussi, de la finalisation de l'harmonisation des statuts et de la fusion des entités. En 2015, la croissance se poursuivra selon la trajectoire engagée en 2014. Il en résultera que, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, les en-cours de la Bpi, dans la partie bancaire de ses activités – les crédits de court, de moyen ou de long terme – auront augmenté de moitié. La croissance des activités « fonds propres » a été d'environ 30 % entre 2014 et 2013 ; celle de l'activité « prêts à l'innovation », domaine dans lequel nous recevons de l'État les capitaux que nous redistribuons aux entrepreneurs, de 35 %, et elle sera à nouveau significative en 2015.

Bpifrance est maintenant une entreprise intégrée, très homogène. Elle compte environ 2 200 salariés qui ont le feu sacré. Nous avons significativement recruté en 2014 et la croissance de nos activités justifie que nous continuions de le faire en 2015.

La Banque a six métiers. Le premier, la garantie, est de tous celui dont la croissance est la plus faible. Nous garantissons les crédits des banques privées. Le groupe BPCE, avec 22 % de parts de marché, est notre premier partenaire, puis vient le Crédit agricole mais tous les réseaux sont représentés. Le volume de crédit annuel aux PME qui est garanti s'établit entre 8 et 9 milliards d'euros. Sa croissance, qui reflète celle du marché bancaire français, est faible, mais elle existe, ce qui signifie qu'il n'y a pas réellement d'asséchement du crédit en France : les en-cours augmentent et le nombre de crédits à long et moyen terme également.

Ce métier dépend entièrement de la discussion budgétaire que nous avons chaque année avec l'État sur l'alimentation du fonds de garantie. Nous avons besoin de 100 millions d'euros par an environ pour remplir cette mission, et certaines années sont meilleures que d'autres. Nous avons convaincu la direction du budget de la pertinence d'un mécanisme tel que, au moins pour les trois ans à venir, le dividende de Bpifrance qui revient à l'État soit réinjecté pour partie vers les fonds de garantie. Cela nous donne un horizon clair ce qui n'était pas le cas initialement. Je me rappelle avoir été amené, le 15 octobre 2012, à dire au président de la République que Bpifrance allait certes être créée mais que l'activité « garantie » avait été débudgétisée pour les années 2013 à 2015. Nous avons résolu la difficulté de la manière que je vous ai dite et nous pouvons exercer notre mission.

Les prêts garantis sont des prêts à la création, des prêts de développement, des prêts à la transmission d'entreprise ; nous garantissons quelques 35 000 crédits bancaires privés chaque année, qui concernent à 60 % les TPE. Pour tous les crédits inférieurs à 200 000 euros, notre garantie est automatique : lorsque le crédit accordé est supérieur à ce plafond, nous ré-instruisons le dossier.

Un autre de nos métiers est celui du crédit, à court terme d'une part, à moyen et long terme d'autre part. Le crédit à court terme s'est développé de manière fulgurante grâce au préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), produit emblématique de Bpifrance. Cela représentait plus de 2 milliards d'euros d'en-cours en 2014 ; 22 000 entreprises, dont 15 000 TPE, en ont bénéficié, pour des montants s'étageant entre 1 000 euros et 10 millions d'euros. Cette activité se développe à marche forcée. Elle nous a demandé de gros investissements – le recrutement d'intérimaires – car c'est le seul de nos métiers où nous sommes en contact direct avec les TPE, sans intermédiation des banques.

Le crédit à moyen et à long terme prend diverses formes : crédit-bail, crédit classique avec prise de sûretés et prêts de développement sans garantie.

Notre activité de crédit-bail matériel a crû l'an dernier de 26 %, sur un volume relativement limité de 500 millions d'euros ; dans le crédit-bail immobilier, domaine dans lequel Oséo était très puissant, nous maintenons une part de marché élevée, de l'ordre de 12 %, avec une croissance raisonnable de 10 %. Les prêts de développement, qui sont au coeur de l'objectif de financement de l'investissement, sont consentis sans garantie, pour sept ans, avec un différé de remboursement de deux ans ; ils sont assis sur des fonds de garantie dépendant entièrement des financements de l'État par le biais du programme d'investissements d'avenir et, marginalement, du Fonds européen d'investissement. Ces prêts ont un effet puissant puisque l'entreprise est libre de choisir comment l'utiliser au mieux pour se développer. Par ce moyen, Bpifrance finance l'immatériel, ce que les banques privées font mal, si bien que nous occupons une place centrale sur ce marché ; il n'est pas surprenant que cette activité ait augmenté de 40 % en 2014. Nous avons pour objectif de parvenir en 2015 à un volume de prêts de développement sans garantie compris entre 1,9 et 2 milliards d'euros.

Nous sommes une banque de place : notre objectif est de créer un effet multiplicateur et d'entraînement sur le marché bancaire. Aussi bien, un crédit n'est consenti que si la règle du « un pour un » est respectée, autrement dit à la condition expresse qu'une banque consente à l'entreprise considérée le même volant de crédit dans les trois à quatre mois qui suivent – le risque est toujours partagé. Nous nous en tenons strictement à cette règle fondamentale, établie pour éviter que Bpifrance ne se trouve encombrée de tous les mauvais risques de la place et pour garder de bonnes relations avec les établissements bancaires, nos partenaires.

Ce principe connaît une exception : les prêts à l'innovation – qui sont les prêts les plus risqués – alloués à des entreprises dont le résultat opérationnel est négatif et qui sont pour cette raison peu bancarisables. Le prêt à l'innovation est en effet une autre de nos activités, financée par la deuxième vague du programme d'investissements d'avenir. Bpifrance est chargée, dans ce cadre, de gérer 3 milliards d'euros. Les principes qui régissent notre intervention sont une attention portée de manière primordiale au client, la simplicité, la réduction des délais et la lutte contre toutes les dérives bureaucratiques. Avec M. Louis Gallois puis avec M. Louis Schweitzer, et avec le soutien des ministres, celui de M. Arnaud Montebourg en particulier, nous avons réussi à imposer comme discipline la rapidité d'exécution de l'allocation d'une subvention à une entreprise ou à une université. Nous voulons que les fonds soient injectés dans l'économie française le plus vite possible ; de fait, les délais, qui étaient de 15, et parfois 18 mois, ont été réduits à 3 mois.

Autre métier de Bpifrance : la contribution à la constitution de fonds propres, avec une gamme complète de possibilités. Nos investissements dans les fonds de fonds privés français ont connu une croissance phénoménale de 50 % : en 2014, nous avons injecté 800 millions d'euros dans les fonds français, car cette année-là les levées de fonds ont été nombreuses ; nous ne ferons pas cela tous les ans. Nous finançons environ 300 fonds. C'est une réalité méconnue que la France, par l'action de la Caisse des dépôts (CDC) et maintenant de Bpifrance, est, ex aequo avec le Royaume-Uni, la deuxième place mondiale du capital- risque et du capital-développement des PME. Il existe dans notre pays 100 fonds de capital-risque, et seulement 5 en Allemagne. On comprend que les Allemands puissent considérer la France comme la Californie de l'innovation, au point de nous demander de mettre des capitaux dans leurs fonds, sous condition de réinvestissement en France. KfW Bankengruppe, notre partenaire allemand, qui a décidé de lancer une politique de prêt à l'innovation en Allemagne, y consacrera 400 millions d'euros en cinq ans, soit dix fois moins que Bpifrance. Le secteur financier français d'investisseurs – nous finançons 1 700 professionnels de l'investissement - est un actif stratégique pour le pays.

Outre que nous investissons dans les fonds de fonds, nous avons aussi des fonds directs. Les premiers sont les fonds directs de capital-risque, qui concernent le BioTech, l'Internet, la transition énergétique, les MedTech, tous secteurs en effervescence : nous sommes presque débordés par le nombre de dossier à traiter, tant les élèves ingénieurs préfèrent désormais créer leur entreprise plutôt que de rejoindre un grand groupe. Nous finançons donc des incubateurs et des accélérateurs. Grâce au Fonds national d'amorçage, qui dispose de 1 milliard d'euros, nous commençons par allouer des prêts d'amorçage avant de faire des prêts de capital-risque puis d'accompagner la phase de croissance internationale par des participations en capital, grâce au fonds Large Venture, créé en 2013 et doté de 600 millions d'euros. Notre boîte à outils est donc complète : on peut partir d'une aide à l'innovation de 200 000 euros pour parvenir progressivement, de prêt d'amorçage en co-investissements avec des business angels, à une participation en capital de 10 millions d'euros. Mais les innovations sont si nombreuses que, pour être à la hauteur de cette révolution de l'économie française, nous avons dû recruter des investisseurs et investir de plus en plus dans des fonds privés de capital-risque. Le développement de l'innovation, loin d'être exclusivement parisien, est un phénomène constaté partout sur le territoire. C'est un grand facteur d'espoir pour notre pays, et cela commence à être reconnu à l'étranger.

Un autre type d'intervention en fonds propres directs se fait par le biais de l'ancien Fonds stratégique d'investissement (FSI), devenu la division « ETI et grandes entreprises » de Bpifrance. En 2014, nous avons déployé un tiers de capital de plus qu'en 2013, en quinze opérations qui ont concerné des ETI, non de grandes entreprises – même si nous avons passé beaucoup de temps sur le dossier Alstom, qui a été reporté à 2015. Nous avons en particulier investi 44 millions d'euros dans l'opérateur boursier Euronext et nous sommes entrés au capital de Technicolor pour l'aider à résister à l'activisme d'un fonds étranger qui se proposait de démanteler l'entreprise. Je citerai aussi une prise de participation de 180 millions d'euros, à Morlaix, dans Sermeta, leader européen des échangeurs thermiques pour chaudières à gaz, très belle entreprise avec laquelle nous avons signé un partenariat de dix ans.

Notre dernier métier est le capital développement des petites et moyennes entreprises, qui s'opère par l'entremise d'un réseau d'investisseurs en province. Nous avons investi dans cent entreprises pour 1 million d'euros en moyenne, dans 60 % des cas en capital pur, dans 40 % des cas en obligations convertibles. Cette activité aussi est en forte croissance.

On pourrait craindre que l'augmentation de l'activité de la Bpi dans tous ses métiers, qui se poursuivra en 2015 selon la même trajectoire, ne s'assortisse de l'accroissement corrélatif du coût du risque. Ce n'est pas le cas. Dès ma nomination, j'ai signifié que la création de Bpifrance ne modifierait pas la politique de risque. On a pu croire, un temps, que Bpifrance apporterait la solution à tous les maux du pays, si bien que nos chargés d'affaires bancaires ont été soumis à très forte pression pour accorder des crédits dans des conditions difficiles. J'ai fait savoir que la politique de sinistralité qui avait fait le succès d'Oséo ne changerait pas. Il résulte de ces consignes que notre très forte croissance en 2014 s'est faite avec un coût du risque bancaire, dérisoire, de 36 millions d'euros pour un bilan de 55 milliards d'euros.

En fonds propres, le coût du risque est plus élevé. Nous avons été conduits à prévoir des provisions substantielles pour Sequana, qui a été sauvée ; pour certaines entreprises cotées opérant dans le secteur parapétrolier – Technip, Vallourec, CGG – ; pour Eramet, en raison de la crise du nickel. Mais le total des provisions passées sur des participations en fonds propres est un multiple du coût du risque bancaire d'une activité qui permet de financer, directement et indirectement, 30 000 PME françaises par an. Toujours et en tous lieux, l'investissement en fonds propres est dix fois plus risqué que le crédit, mais nos comités d'investissements sont extrêmement exigeants.

Je conclurai par quelques mots sur la gouvernance de Bpifrance. Au conseil d'administration de la société de tête siègent notamment des représentants de la CDC, de l'État, des régions – M. Jean-Paul Huchon et Mme Marie-Guite Dufay – et des salariés, ainsi que des personnalités qualifiées indépendantes : M. Eric Lombard, président de Generali Europe, qui dirige le comité d'audit, et Mme Amélie Faure, entrepreneure, qui dirige le comité des nominations. Ce conseil d'administration élabore le plan stratégique et le budget ; il se prononce, exceptionnellement, sur les opérations qui excédent 200 millions d'euros.

La société de tête chapeaute des filiales. Au conseil d'administration de Bpifrance Investissement siègent également des administrateurs indépendants : M. Frédéric Saint-Geours dirige le comité d'investissement aux côtés de Mme Florence Parly, par ailleurs présidente du comité des nominations. Le capital de Bpifrance Financement étant détenu à 90 % par l'État et à 10 % par des banques et des compagnies d'assurance, celles-ci sont représentées au conseil d'administration : c'est le cas de la Société générale, le comité d'audit étant présidé par Mme Catherine Halberstadt, de la BPCE. Siègent également des personnalités qualifiées indépendantes telles M. Jean-Luc Petithuguenin, président-directeur-général du groupe Paprec, ou Mme Marie-Christine Levet, présidente de MCL Consulting. Cette structure est d'une gestion un peu lourde, mais les débats se passent bien.

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