Intervention de Christian Anastasy

Réunion du 17 février 2015 à 9h30
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Christian Anastasy, directeur général de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux :

Nous l'avons dit, deux temps se confrontent : le temps du progrès médical, qui est très rapide, ce qui fait que les gens restent quelques heures à l'hôpital pour une intervention dans 50 % des cas, et le temps de la construction, avec des cycles d'amortissement très longs. Certains établissements sont, encore aujourd'hui, amortis sur une durée de cinquante ans.

Comment adapter ces deux temps l'un à l'autre ? On dépense plus pour les pathologies chroniques qui ne sont pas prises en charge à l'hôpital. Il y a aujourd'hui, dans notre pays, 15 millions de personnes porteuses de pathologies chroniques qui sont prises en charge, pour l'essentiel, en dehors de l'hôpital. Nous dépensons 80 milliards d'euros pour cette prise en charge et 76 milliards pour les établissements de santé en général. Où sont les enjeux ? Faut-il construire davantage d'hôpitaux ? Dans les années quatre-vingt-dix, il y avait 40 millions de mètres carrés construits et les durées de séjour étaient de dix jours, contre, aujourd'hui, 60 millions de mètres carrés construits et des durées de quatre jours. Faut-il en tirer la conclusion que nous avons trop construit ? La réponse vous appartient.

Le comportement d'un gestionnaire public et celui d'un gestionnaire privé ne sont pas tout à fait les mêmes, le premier n'ayant pas les mêmes contraintes d'exploitation immédiate. Si l'établissement privé entretient des murs inutiles qui lui coûtent très cher, il ferme. D'ailleurs, nombre d'entre eux ont fermé. Aujourd'hui, les gestionnaires privés sont très attentifs à la façon dont ils gèrent leurs mètres carrés inutiles. Je ne veux pas dire que le secteur public ne l'est pas, mais les temps ne sont pas les mêmes, les cycles d'autorisation et les contraintes non plus, et la réactivité induite est sans doute différente.

Ainsi qu'il a été dit, il y a beaucoup de mètres carrés construits, qui coûtent très cher à entretenir ; le temps de construction et celui du cycle d'exploitation des murs sont très longs et ne tiennent pas forcément compte de celui des progrès médicaux. Or, les progrès ont été tels que les gens peuvent se faire soigner aujourd'hui en moins de douze heures. La ministre promeut, à juste titre, le virage de l'ambulatoire, parce que c'est un facteur de progrès pour les établissements. Si de moins en moins de personnes entrent à l'hôpital, il y a nécessairement de moins en moins besoin de murs. Par conséquent, avant de se demander s'il faut rénover la totalité du parc immobilier, soit les 60 millions de mètres carrés construits, il faut se demander s'il ne vaudrait pas mieux réformer une partie de ce patrimoine afin de répondre avant tout aux besoins sanitaires de la population.

Les personnes restent moins de douze heures dans un établissement et repartent sur leurs jambes, ce qui est mieux pour elles parce qu'elles ne contractent pas d'infections nosocomiales et qu'elles récupèrent plus vite après un acte chirurgical. Les hôpitaux publics ont gagné des parts de marché, car ils ont fait des efforts considérables en matière de chirurgie ambulatoire. Il est probable que, demain, 65 % des actes seront faits en ambulatoire, tant dans le public que dans le privé. Les gens entreront de moins en moins longtemps à l'hôpital. En revanche, ils seront pris en charge de plus en plus longtemps à leur domicile. Les 15 millions de personnes porteuses de maladies chroniques auront nécessairement besoin d'un accompagnement personnalisé.

Alors, faut-il maintenir en permanence un patrimoine immobilier qui sera de moins en moins fréquenté ou faut-il aider les gens à rester chez eux, avec des conditions de vie qui les satisferont davantage ? La problématique est tellement complexe que je n'aurai pas l'outrecuidance d'y apporter une réponse définitive. Cela étant, lorsqu'on met en perspective ces éléments de raisonnement, on se dit que notre pays doit peut-être cesser d'investir toujours plus dans des surfaces nouvelles, pour investir davantage dans la prise en charge des pathologies chroniques. C'est un discours de raison, mais peut-être politiquement incorrect, car on sait que nous sommes tous, dans notre culture, attachés aux murs. Nous n'avons pas envie de voir disparaître les hôtels-Dieu, qui sont dans notre paysage depuis le Moyen Âge. Mais il faut comprendre que les contraintes du cycle de l'investissement et de la nécessité d'entretenir les équipements sont parfois difficilement compatibles avec la tendance consistant à assurer des prises en charge dans des délais très resserrés.

L'ANAP n'a pas à elle seule la prétention de répondre à ces questions. Nous mettons simplement en perspective deux phénomènes : un cycle de l'investissement immobilier très long et un cycle du progrès médical très rapide. Les gens iront de moins en moins à l'hôpital pour des séjours longs. Tout se passera comme si nous revenions au début du siècle précédent, époque à laquelle la fréquentation de l'hôpital était très rare, puisqu'on opérait les gens chez eux. Bien entendu, ce n'est pas ce que je souhaite ! La fréquentation de l'hôpital a peut-être été à son apogée dans les années 1990-2000. Demain, il y aura sans doute de plus en plus de prises en charge télé-réparties, parce que les moyens technologiques permettront l'éducation thérapeutique chez soi. L'enjeu n'est donc pas forcément de construire des murs. Aujourd'hui, 40 % des prescriptions médicamenteuses ne sont pas suivies par les patients, ce qui nécessite de l'éducation thérapeutique à distance. À ce jour, le développement de la télémédecine en est encore à ses débuts. Peut-être faut-il cesser d'investir dans les murs pour investir dans les technologies de l'information parce que c'est ce qui permettra de maintenir les gens chez eux, où ils se sentiront mieux qu'à l'hôpital ou dans une maison de retraite. Il faut donc plutôt miser sur cet investissement immatériel.

C'est en tant que citoyen que je vous livre, en toute franchise, cette réflexion. Je pense que l'évolution doit aller dans ce sens plutôt que de vouloir maintenir à tout prix des murs parfois sous-exploités.

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