Intervention de Valérie Sipahimalani

Réunion du 18 février 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements du second degré-FSU, SNES-FSU :

Pour une fois, mon syndicat n'a pas grand-chose à redire aux propos de ma collègue du SNPDEN-UNSA. Je voudrais pour ma part insister sur la manière dont le plan de mobilisation de l'école a été accueilli par nos collègues, dans la mesure où ce plan ne pourra se traduire en faits dans les établissements scolaires si les personnels qui font vivre ces établissements au quotidien ne se sentent pas enrôlés dans cette grande aventure.

L'école s'inscrit dans le temps long. Ce plan et son contexte sont évidemment très particuliers, et nous avons tous, élèves comme personnels, été bouleversés par les événements de janvier. Mais, au risque de provoquer une nouvelle fois votre ire, je déplore que, depuis sa présentation, de nouvelles annonces aient été faites par le ministère sur le développement durable, le numérique, le harcèlement ou les chorales scolaires, preuve que l'éducation nationale a parfois du mal à établir des priorités claires et durables.

Quand les annonces se succèdent à un tel rythme, elles n'ont plus guère d'effet sur le quotidien des classes, et quand une décision est prise dans l'urgence, elle engendre souvent sur le terrain de grosses difficultés d'application. Cela a été le cas pour la minute de silence du jeudi matin 8 janvier, décidée la veille au soir et dont la mise en oeuvre n'a pas toujours été simple, notamment dans les lycées professionnels, nos collègues ayant parfois dû faire preuve d'un certain courage face à des élèves, en grande difficulté sociale, qui ont pu dans certains cas particuliers se montrer agressifs. Pour beaucoup d'entre nous, la question de la laïcité et de la neutralité républicaine dans la classe ne va pas de soi, et ce sont des sujets sur lesquels nous avons besoin d'être formés. Par ailleurs, les enseignants ont également mal vécu le fait que, dans certains exemples concrets, la hiérarchie, l'institution, elle-même en difficulté, n'ait pas su les protéger et les accompagner lorsque la situation s'envenimait.

L'école n'est pas un sanctuaire, elle est le reflet de la société. Dans l'état actuel de son fonctionnement, nous considérons qu'elle ne peut pas être la source ni l'unique remède à tous les maux d'une société de plus en plus inégalitaire.

Comme le soulignait Mme Lysiane Gervais, nombre de familles hésitent face à la mixité sociale et choisissent de « fuir » vers le privé ou vers des établissements auxquels elles peuvent accéder par dérogation depuis la réforme de la carte scolaire. Cela a pour conséquence d'encourager une « ghettoïsation » de certains établissements. Tout comme la discrimination à l'embauche de jeunes diplômés ayant pourtant eu un parcours scolaire irréprochable mais domiciliés dans des quartiers réputés difficiles, il s'agit là de réalités sur lesquelles l'école a peu de prise et qui semblent démentir les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qu'on peut certes prôner mais qu'il devient difficile, dans ces conditions, de faire exister dans les classes et dans les établissements.

C'est donc sans naïveté mais avec réalisme que les personnels tâchent de faire vivre les valeurs de la République au quotidien et qu'ils haussent les épaules lorsqu'on leur demande, une fois de plus, de se mobiliser. Depuis toujours, ils sont mobilisés ; si ce n'était pas le cas, les difficultés au sein de l'école seraient bien plus grandes et les violences bien plus fréquentes.

Vous avez évoqué, Monsieur le président, l'acte II de la refondation de l'école. Nous sommes pour notre part demandeurs d'un bilan de l'acte I, sur deux points de la loi en particulier. Je pense d'abord à la « poly-sectorisation », c'est-à-dire la possibilité pour plusieurs collèges de partager, en se regroupant, un secteur de recrutement englobant plusieurs écoles élémentaires, introduite par la loi de refondation de l'école de 2013. Si j'y insiste ici, mesdames et messieurs les députés, c'est qu'un tel dispositif, destiné à améliorer la mixité sociale, dépend à la fois de l'éducation nationale et des départements, et que les élus ont donc un rôle décisif à jouer.

Une autre mesure en cours de mise en oeuvre concerne l'éducation civique, juridique et sociale, dont je précise toutefois qu'elle ne concerne que les filières générales et non les lycées technologiques, Il me semble pourtant que travailler ces questions avec les élèves de la voie technologique, qui représentent 20 % des lycéens allant jusqu'au baccalauréat, serait une nouveauté bienvenue. En tout état de cause, ce qui est prévu pour la rentrée prochaine, c'est une mise en place sans moyens supplémentaires, donc probablement aux dépens du programme d'histoire-géographie, ce qui peut se révéler compliqué en particulier dans les classes de première scientifique, où les professeurs d'histoire-géographie préparent en même temps leurs élèves à l'épreuve anticipée du baccalauréat.

La proposition de redéfinition du socle commun de connaissance, de compétences et de culture a été mise en ligne par le Conseil supérieur des programmes la semaine dernière. Nous sommes un peu inquiets de la tournure prise par le domaine 3, qui recouvre en partie l'éducation morale et civique et qui nous semble aborder de manière assez caricaturale la transmission des valeurs de la République.

Pour en revenir au plan de mobilisation de l'école, il forme, selon nous, un catalogue de mesures disparates, dont certaines sont en effet innovantes, à l'image de l'idée d'une réserve citoyenne. Nous jugeons intéressant de proposer aux enseignants de pouvoir faire appel à des membres de la société civile pour ouvrir dans les classes le débat sur des sujets de société. Cela étant, ce type d'initiative s'inscrit généralement dans le cadre de projets portés par les enseignants et, si l'on veut que cela ait du sens, les intervenants ne doivent pas être programmés arbitrairement, hors de tout contexte d'enseignement. D'autres mesures en revanche existent déjà depuis longtemps ou sont en cours de mise en oeuvre à la suite de la loi pour la refondation de l'école.

Pour ce qui nous concerne, notre plus grande demande touche à la formation des enseignants, en particulier sur les questions qui nous préoccupent aujourd'hui et qu'il n'est pas toujours évident de traiter. En effet, on n'aborde pas en classe ces sujets comme l'on dispense cours. Elles doivent faire l'objet d'un débat ouvert, or organiser un débat avec les élèves n'est pas une problématique pédagogique simple : jusqu'où peut-on aller ? comment gérer les dérapages ? Si les professeurs d'histoire-géographie ou de philosophie ont, en la matière, un peu de pratique, les enseignants des autres disciplines sont plus démunis.

La mesure n° 2 sur l'autorité des maîtres et les rites républicains nous semble un peu excessive lorsqu'elle recommande de signaler et de sanctionner tous les incidents qui surviennent dans les classes. Nous avons affaire à des adolescents, qu'il faut aussi parfois « éduquer », ce qui ne se fait ni par des démonstrations d'autorité ni à coup de prescriptions.

La mesure n° 6 sur la maîtrise du français répond à la question des élèves allophones. Ces derniers sont actuellement pris en charge dans des Unités pédagogiques d'élèves allophones arrivants (UPEAA), menacées par le manque de moyens. Auparavant, un élève allophone avait la garantie de bénéficier d'au moins une année entière de scolarité dans ces classes d'accueil ; aujourd'hui, s'il arrive en cours d'année scolaire, il la terminera en UPEAA mais rejoindra une classe ordinaire à la rentrée suivante. C'est beaucoup trop tôt, en particulier pour les mineurs étrangers isolés, chez qui ce processus d'apprentissage demande du temps.

Enfin, des études doivent être conduites sur le sujet, mais nous ne pensons pas que la radicalisation touche prioritairement les publics les plus fragiles – ce n'était notamment pas le cas des frères Kouachi. Au contraire, il faut probablement, pour céder à la radicalisation, faire preuve d'une capacité de réflexion que n'ont malheureusement pas nécessairement les élèves les plus en difficulté.

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