Nous accueillons aujourd'hui M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations institutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux.
Monsieur Timmermans, je suis très heureuse de vous recevoir à l'Assemblée nationale, pour la première fois depuis la mise en place des nouvelles institutions européennes, conjointement avec la Commission des affaires européennes du Sénat. C'est pour nous un moment important puisque vous êtes le principal correspondant au sein de la Commission.
Comme j'avais eu l'occasion de vous le dire lors de notre entretien en marge de la COSAC en décembre dernier, il est pour nous primordial de rencontrer les commissaires européens et vous êtes à cet égard notre interlocuteur privilégié. Vous avez conseillé à vos collègues d'être très disponibles s'agissant des parlements nationaux.
L'approche générale de notre commission est de constituer, sur le plan français comme sur le plan européen, une force positive d'influence et de proposition, afin de redonner une perspective politique à l'Union européenne, dont nous avons collectivement cruellement besoin.
Or, les réponses apportées par la Commission européenne dans le cadre du « dialogue politique » nous ont le plus souvent semblé très formelles. Parallèlement, le contrôle de subsidiarité demeure trop exclusivement « négatif ». Il constitue par essence le pouvoir de dire « non », de dénoncer l'intrusion européenne dans des compétences nationales.
Dès lors, comment faire pour que ces différents instruments deviennent de véritables outils, plus positifs, des parlements nationaux ?
Pensez-vous qu'il serait utile de modifier la procédure du « carton jaune », en étendant par exemple le délai de réaction accordé aux parlements nationaux ? Ou d'étendre le contrôle de la subsidiarité des textes à la question de la proportionnalité, plus pertinente ?
Que pensez-vous d'un mécanisme de « carton vert », qui viserait à permettre à un nombre significatif de parlements de proposer des amendements ou une idée de législation européenne ?
Pour rapprocher l'Union européenne des citoyens, le traité de Lisbonne a permis la mise en oeuvre d'un mécanisme qui me tient particulièrement à coeur : l'initiative citoyenne européenne.
Or, la Commission européenne a choisi une interprétation restrictive des conditions de recevabilité de ce type d'initiatives, rejetant par exemple l'initiative « Stop TTIP ». En ce qui concerne le peu d'initiatives ayant passé ce filtre – trois en tout -, les réponses de la Commission ont été décevantes : je pense par exemple à l'initiative « Right 2 water », qui l'a conduite à proposer une consultation publique et une meilleure information des citoyens européens sur l'accès à l'eau, alors que les signataires plaidaient pour l'exclusion de la gestion de l'approvisionnement en eau des règles du marché intérieur.
La nouvelle Commission européenne aura-t-elle une attitude plus favorable à ces initiatives populaires ? Il me semble que la défiance des citoyens en Europe augmente chaque jour et que si un de leurs outils est mis en cause, cela ne les rassure pas sur la volonté politique de la Commission.
Vous êtes également en charge des droits fondamentaux. Deux mois après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) déclarant non conforme au droit communautaire la proposition d'accord d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, pourriez-vous nous indiquer ce qu'il va advenir de ce processus d'adhésion, et, si possible, selon quel calendrier ?
Parallèlement, comment améliorer le contrôle des droits fondamentaux dans les États membres par l'Union européenne ? Lors de notre entretien en décembre, nous avions longuement évoqué le problème de la Hongrie et il pourrait être intéressant que vous nous présentiez votre point de vue sur cette question.
En outre, dans le contexte des événements dramatiques que nous venons de vivre en France et au Danemark, il est apparu que les droits fondamentaux sont peu connus, en particulier chez les plus jeunes. Peut-on améliorer leur connaissance dans toute l'Union européenne, de façon à ce qu'ils soient davantage partagés ? Pourriez-vous faire des propositions en ce sens, qui pourraient être relayées par les États ?
Par ailleurs, comme vous le savez, notre commission a adopté le 28 janvier dernier une proposition de résolution relative au programme de travail de la Commission européenne pour 2015, dont vous avez eu la charge.
Dans cette proposition, nous avons plaidé en faveur de propositions ambitieuses, permettant de répondre notamment aux deux défis majeurs auxquels l'Union européenne doit faire face : l'urgence sociale et l'urgence environnementale.
Nous demandions notamment le maintien du paquet législatif relatif à l'économie circulaire, mis en cause par la logique de la simplification. Pouvez-vous nous assurer que la nouvelle directive censée le remplacer sera présentée dès 2015 et sera au moins aussi ambitieuse que la précédente ?
Cette proposition de résolution invitait également la Commission européenne à être très vigilante dans la conduite des négociations du traité de libre-échange avec les États-Unis et rappelait le refus par notre Assemblée du mécanisme d'arbitrage des différends entre les États membres et les investisseurs. Quelles garanties pouvez-vous nous donner sur ces sujets ?
Enfin, je voudrais conclure sur la nécessité de ne pas perdre le fil, l'élan, de la démarche stratégique qui a été initiée depuis le printemps dernier, après les élections européennes, par le Conseil européen d'abord, mais aussi par le président Jean-Claude Juncker, dans son discours très politique, très européen, du 15 juillet dernier devant le Parlement européen, où il indiquait : « nous devons répondre aux attentes des citoyens européens, à leurs attentes, à leurs angoisses, à leurs espoirs, à leurs rêves. ». L'Europe a en effet crucialement manqué d'une perspective politique au cours des dernières années.
Le président Juncker a fixé des objectifs ambitieux pour constituer cette feuille de route, en matière notamment de lutte contre le changement climatique et de développement des énergies renouvelables, de politique industrielle, énergétique en particulier, et de politique extérieure – soulignant que « Nous avons besoin d'urgence d'une politique extérieure et de sécurité commune ». Il a évoqué aussi fortement la défense des services publics en Europe, la mise en place de salaires sociaux minimaux et de revenus minimaux d'insertion garantis.
Beaucoup de ces objectifs résonnent avec les propositions de notre commission et, plus largement, de cette assemblée.
Comment la Commission européenne entend-elle, collectivement, faire vivre et concrétiser cette démarche stratégique, dans la durée de son mandat, dans un contexte difficile de risque de repliement national, voire nationaliste ?
N'a-t-elle pas un rôle de facilitateur plus fort que ce qu'on a encore vu aujourd'hui entre l'Eurogroupe et la Grèce ? Ne doit-elle pas prendre son bâton de pèlerin pour sauver la face de tous, ce qui permettrait à l'Europe de repartir d'un bon pas ?
S'agissant de l'Ukraine, la Commission fonde-t-elle de l'espoir sur le fragile cessez-le-feu qui vient d'être signé ? On nous a dit souvent ces derniers temps que la Commission était celle de la dernière chance : j'aimerais bien qu'on ne nous dise pas qu'il en est de même de ce cessez-le-feu. Nous avons construit ensemble une Europe de la paix : il faut qu'elle démontre son efficacité. Vous avez, par vos fonctions, un rôle particulier à jouer à cet égard, de même que sur le projet de « mieux légiférer », dont j'espère que vous nous direz également quelques mots.