Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Réunion du 4 mars 2015 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST :

– Je vais maintenant vous présenter un rapport qui a été réalisé rapidement, car il a fallu se conformer à un calendrier étroit, coincé entre, d'un côté, une procédure de saisine fixée par le code de la santé publique, et de l'autre, une échéance rapprochée fixée par le Président de la République. Il s'agit d'un rapport d'évaluation sur le débat public relatif à la fin de vie, que l'Office a été tenu de réaliser, en application de l'article L.1412-1-1 du code de la santé publique, et qu'il importait d'achever avant le début de la discussion en séance plénière sur ce sujet à l'Assemblée nationale, la semaine prochaine. En effet, si nous l'avions publié plus tard, nous n'aurions eu aucune incidence sur le débat en séance plénière, alors que la loi nous charge justement de préparer ce débat.

Ce rapport est d'une nature un peu exceptionnelle parmi les travaux de l'OPECST car, tout en respectant l'objectif de contribuer, en amont de la loi, à une meilleure compréhension de certains aspects d'une question touchant à la science et la technologie, conformément à la mission qui est dévolue à l'Office par la loi du 8 juillet 1983, il aborde ici un sujet, en l'occurrence l'accompagnement de la fin de vie, non pas pour apporter un éclairage sur des enjeux de fond, qui relèvent des compétences des commissions des affaires sociales et des lois des deux assemblées, mais pour établir l'état des lieux des moyens d'apaisement de la douleur et pour évaluer les conditions de l'organisation du débat public national ayant préparé la réforme envisagée, puisque c'est dans ce cadre qu'il nous était demandé d'intervenir.

Je vais revenir rapidement sur les conditions de la saisine et son objet, dans l'esprit de la loi du 7 juillet 2011, avant d'expliquer les pistes retenues par notre évaluation, et, enfin, les deux amendements auxquels nos analyses conduisent que nous proposerions, si vous en êtes d'accord, au nom de l'Office.

L'article L.1412-1-1 du code de la santé publique, introduit par l'article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, prévoit une saisine dans le cas où le Gouvernement lance, je cite: un « projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Pour qu'il y ait saisine de l'Office, il faut encore deux conditions supplémentaires : premièrement, que le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) soit chargé d'organiser un débat public, et, deuxièmement, qu'il présente devant l'Office un rapport de synthèse sur ce débat public. En l'occurrence, le projet de réforme concernant l'accompagnement de la fin de vie, et a été lancé en juillet 2012 par le Président de la République, lorsqu'il a mis en place la commission dite Sicard.

Ensuite, le CCNE a été conduit à organiser un débat public sur le sujet, après que le Président de la République l'eut saisi, en décembre 2012. Il lui a remis son avis n°121 en juin 2013. Ce débat public a pris la forme, d'une part, d'une conférence de citoyens à Paris – le CCNE m'avait d'ailleurs demandé de venir expliquer comment nous avions organisé, en 1998, la première conférence de citoyens en France, relative aux organismes génétiquement modifiés et il s'est inspiré de notre mode d'organisation– , et, d'autre part, d'une mobilisation de ce qu'on appelle les « espaces régionaux de réflexion éthique », en Bourgogne-Franche-Comté, en Picardie, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Rhône-Alpes, en Poitou-Charentes, en Basse-Normandie, en Ile-de-France, et en Bretagne. Enfin, le CCNE a réalisé un rapport de synthèse sur ce débat public, qu'il a présenté, dans cette même salle, devant notre Office, le 9 décembre 2014. Dès lors, l'Office était, conformément à la loi, saisi d'une évaluation de ce rapport.

Le législateur, en instituant cette procédure en 2011, souhaitait clairement que l'OPECST intervienne pour porter un regard méthodologique sur les conditions du débat public, en vue de vérifier que ce débat mettait bien à la disposition du Parlement, en amont de la loi, un ensemble d'informations suffisant pour tout ce qui concerne les aspects scientifiques et médicaux du projet de réforme envisagé. Tel était, en tous cas, le sens des amendements à l'origine de l'implication de l'OPECST dans cette procédure, qui étaient soutenus par le président de l'Office de l'époque, Claude Birraux, avec l'appui de notre collègue Jean-Sébastien Vialatte. Si ces dispositions se trouvent dans la loi, c'est en effet qu'un certain nombre de nos collègues les avaient souhaitées. Ils n'avaient toutefois pas pensé au problème un peu particulier de la fin de vie qui, contrairement à d'autres aspects de bioéthique, relève tout à la fois de questions générales d'éthique et de questions philosophiques au caractère beaucoup plus personnel.

En l'occurrence, le débat public sur l'accompagnement de la fin de vie nous a conduits à considérer que l'OPECST pouvait fournir une information complémentaire sur deux aspects du sujet auxquels se limite le champ de notre rapport qui ne prétend pas à l'exhaustivité.

Il s'agit, d'une part, de la difficulté pratique qu'avait rencontrée le CCNE pour organiser un débat public à l'échelle nationale. C'est pourquoi nous avons auditionné, le 3 février 2015, le président de la Commission nationale du débat public (CNDP), M. Christian Leyrit, qui nous a éclairés sur les conditions dans lesquelles la CNDP pourrait apporter son concours à la CCNE pour des débats publics occasionnés par de prochains projets de réforme touchant à la bioéthique.

Il s'agit, d'autre part – c'est ce dont nous avons parlé le 20 janvier dernier et, aujourd'hui, avec M. Patrick Pelloux – de « L'état des lieux de la gestion actuelle de l'apaisement de la douleur et les perspectives médicales de son amélioration ». C'est pourquoi nous avons organisé, le 20 janvier 2015, une audition publique sur ce thème. Voici les principaux éléments que l'on peut en retenir.

La potion de morphine est longtemps restée – comme vient de le rappeler M. Patrick Pelloux, c'était encore le cas voici trente ans –, le seul moyen pour soulager la douleur. Aujourd'hui, la panoplie s'est enrichie de morphiniques, pris toutes les douze heures, ou de patches renouvelés tous les trois jours afin de soulager une douleur de fond. En cas de crise douloureuse, des médicaments savent procurer un soulagement momentané en quelques dizaines de minutes. Certaines structures spécialisées peuvent dispenser à des patients en situation particulièrement difficile des produits comme la méthadone ou la kétamine, dont l'emploi nécessite une expertise.

La technique de l'analgésique contrôlé par le patient, basée sur ce qu'on appelle en jargon « les pompes de PCA » (Patient-Control Analgesia), devenue courante en médecine post-opératoire, est tout à fait utilisable pour les situations de fin de vie, même à domicile : un boîtier préprogrammé par le médecin permet d'administrer de la morphine, soit de manière continue, soit par dose contrôlée en cas de crise de douleur.

Il est même devenu possible pour le médecin de dialoguer avec ce boitier à distance, en mode de télésurveillance, voire de le reprogrammer, via un smartphone Les progrès techniques permettent également, par la maîtrise précise des produits et des doses, de s'affranchir du risque de « double effet », qui retient encore certains médecins d'utiliser la sédation, par crainte que l'effet d'apaisement ne se combine avec un effet d'abréviation de la vie. En conclusion, l'audition publique a confirmé que les solutions techniques d'apaisement de la douleur étaient disponibles, mais que leur utilisation à large échelle buttait sur un manque de formation et d'appropriation de la part des personnels soignants.

Un point mérite particulièrement notre vigilance : il concerne la mise en place du cadre juridique pour le pilotage à distance par le médecin, via télé-programmation à partir d'un smartphone, des boîtiers attachés au patient régulant l'administration des doses d'antalgique. La technologie existe ; elle est très efficace, mais sa généralisation pose des problèmes évidents de sécurité. Le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet, nous a indiqué que des expérimentations étaient en cours pour préparer la réglementation nécessaire. Nous suivrons ce dossier qui est de notre ressort. L'audition du 20 janvier 2015 a donc utilement, à nouveau, appelé l'attention sur ce sujet de domo-médecine. C'est une question importante que l'OPECST devra approfondir si elle n'avance pas assez vite.

Les deux amendements soumis à votre examen aujourd'hui sont formulés dans la perspective du prochain examen, prévu, à partir du 10 mars 2015, de la proposition de loi de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Il s'agirait d'abord, pour l'avenir, de préciser la portée de l'évaluation de l'OPECST, en indiquant qu'elle a pour objet la présentation des enjeux scientifiques sous-jacents au débat public. Par ailleurs, il s'agirait de permettre à la CNDP, à la suite d'une décision explicite du Gouvernement, d'apporter son concours et son soutien méthodologique à la CCNE qui se trouve peu à même d'organiser un débat public relatif à des projets de réforme relatifs à la bioéthique.

La décision de mobiliser le concours de la CNDP implique de lui accorder un financement approprié pour l'organisation d'un débat public d'envergure nationale. La rédaction proposée pour le premier amendement présenterait l'avantage de placer le Gouvernement devant ses responsabilités quant à l'extension qu'il souhaiterait donner au débat public, et quant à l'effort financier qu'il accepterait de consentir pour en étendre la portée.

À titre de comparaison, je voudrais évoquer l'exemple d'une consultation récemment organisée sur un tout autre sujet, en région Lorraine, concernant la construction d'une gare d'interconnexion entre le TGV et le TER. La faiblesse du taux de participation, de l'ordre de 10 %, s'explique non par un désintérêt du public, mais par l'insuffisance des moyens dévolus à la communication. Si l'on souhaite réellement démocratiser le débat sur certains sujets, il faut y mettre les moyens adaptés.

Le second amendement tel qu'il est formulé, quoique d'origine parlementaire, respecterait l'article 40 de la Constitution, puisque, dans le cadre de la procédure ainsi modifiée, le Gouvernement conserverait, in fine, sa pleine liberté pour décider, ou non, de la mobilisation de la Commission nationale du débat public, dans le plein respect à la fois du principe de la séparation des pouvoirs et du monopole du Gouvernement en matière d'initiatives en matière de dépenses publiques.

Il s'agit donc de deux amendements de forme, qui viennent compléter le débat qui a eu lieu dans le cadre de la loi de 2011, à l'occasion duquel nos collègues avaient obtenu d'inscrire dans la loi l'intervention de l'Office parlementaire.

À mon sens, d'éventuels amendements sur le fond ne relèvent pas de l'Office parlementaire et doivent donc être déposés par chacun, en son âme et conscience.

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