Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 4 mars 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Repussard, directeur de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN :

Je suis très honoré de participer à cette audition.

J'aborderai quatre points : les missions de l'IRSN et l'évolution de ses moyens ; les avancées au Parlement du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) ; le troisième contrat d'objectifs et de performance pour 2014-2018 ; et les principaux dossiers stratégiques de l'IRSN pour 2015.

En ce qui concerne les missions de l'IRSN et l'évolution de ses moyens, l'institut est « l'expert public des risques nucléaires et radiologiques ». Nous sommes un établissement public de l'État, à statut industriel et commercial (EPIC), placé sous la tutelle des cinq ministres directement concernés par les questions de sûreté nucléaire et de radioprotection : si cette multiple tutelle a été récemment critiquée dans un rapport de la Cour des comptes, elle me paraît au contraire légitime et nécessaire. Nous avons reçu par décret – fragilité qui est en train d'être corrigée par le projet de loi dont la discussion est en cours – quatre grandes missions : la recherche sur les risques, dédiée à l'analyse et à l'évolution anticipée des risques radiologiques et nucléaires ; l'appui d'expertise aux autorités publiques chargées de l'application des réglementations régissant la sûreté et la sécurité nucléaires ainsi que la radioprotection – notamment pour l'ASN – ; l'intervention en situation de crise – 400 de nos experts étant formés à cette fin – ; et des prestations diverses, qui représentent 15 % du budget.

Nos moyens ont subi une forte baisse, de 10 %, de la subvention l'an dernier, qui a été absorbée pour l'essentiel par les programmes de recherche, ce qui pourrait constituer un problème. Heureusement, le Premier ministre a indiqué l'année dernière, dans sa lettre plafond aux ministères concernés, qu'il fallait stabiliser les crédits de l'institut, promesse qui a été tenue – ce dont je remercie le Gouvernement –, puisque, même à l'occasion des « coups de rabot » supplémentaires décidés à la suite des discussions avec la Commission européenne sur le budget du pays, qui ont réduit la subvention, celle-ci a été compensée entièrement par une augmentation de la contribution payée par les exploitants nucléaires.

Après l'annonce, dans le cadre du plan triennal précédant, d'une perte de 100 emplois, celle-ci a été arrêtée et une importante campagne de recrutement d'une centaine de collaborateurs nouveaux a été lancée. Cela étant, nous avons des besoins limités, mais bien réels, d'effectifs complémentaires pour les années à venir de 65 emplois équivalents temps plein (ETP), soit 7 à 8 millions d'euros ou 3 % des effectifs. L'IRSN dispose donc de moyens significatifs, qu'il ne faut pas réduire.

Son système de financement est, à cet égard, peu lisible, ses crédits étant constitués par une subvention du programme 190 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une contribution payée directement par les exploitants nucléaires – qui est un bon système mais qui atteint le plafond fixé par le Parlement en 2010 – et les crédits de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui sont eux aussi dispersés. Le sénateur Berson a d'ailleurs remis au Gouvernement un rapport à ce sujet, préconisant la construction d'un « jaune budgétaire ». Cela devrait nourrir une réflexion et un débat sur ce système de financement, sachant que nous en sommes satisfaits, sous réserve de ce problème de plafonnement.

De même, nous sommes satisfaits des avancées du projet de loi TECV, lors de son examen en première lecture au Parlement, concernant la sûreté et l'IRSN. L'amendement présenté par M. Baupin, tendant à faire en sorte que la loi consolide les missions de l'institut, qui est le pilier d'expertise de la sûreté nucléaire, va dans le bon sens : le contenu de l'article 54 bis me convient tout à fait et je note que le Sénat n'y a rien trouvé à redire. Je me réjouis également de l'amendement du Sénat permettant à l'ASN de faire faire des expertises à la charge des exploitants nucléaires sur des sujets complémentaires de celles de l'IRSN – j'avais d'ailleurs formulé le souhait que les résultats de ces expertises soient transmis à l'IRSN pour parfaire notre fonds documentaire et maîtriser l'ensemble des données scientifiques concourant à la sûreté nucléaire. Le Sénat a aussi introduit, à juste titre, un amendement qui permet d'attribuer à l'ASN le contrôle de la sécurité des sources radioactives. Je rappelle que nous avons la mission de tenir à jour une base de tous les détenteurs et autorisations de détention de sources radioactives, qui ne couvre que la protection des travailleurs et de l'environnement, et non la sécurité, qui concerne moins de 10 % des sources.

S'agissant de notre contrat d'objectifs, il comporte trois grands axes stratégiques.

D'abord, une politique de recherche et d'excellence scientifique de niveau mondial, pour que notre sûreté nucléaire soit la meilleure : « l'expérience du futur » qu'apporte la recherche sur les risques est indispensable à l'efficacité de leur prévention.

Deuxièmement, une expertise efficiente, sachant que nous sommes saisis par les administrations compétentes 1 200 à 1 300 fois par an. Le dialogue entre l'IRSN et ses donneurs d'ordre ainsi qu'avec les exploitants nucléaires sur la place de l'expertise et les progrès en sûreté gagnerait en effet à être approfondi.

Troisièmement, la poursuite de la politique d'ouverture et de transparence au service d'une société vigilante. Cela va bien au-delà de l'information du public : il s'agit de faciliter une juste perception du risque nucléaire et radiologique par les citoyens, qui ne devraient ni ignorer ce risque, ni le surestimer, mais contribuer à cette vigilance. Plus de personnes posent des questions, plus le système aura de chances d'être fiable. D'ailleurs, quand on regarde la manière dont les risques nucléaires étaient traités au Japon, ce qui s'est passé à l'occasion de l'accident de Fukushima n'est pas très surprenant.

Le contrat d'objectifs tend aussi à favoriser une gestion efficiente au service de la performance de l'institut, suite notamment aux recommandations de la Cour des Comptes. Le décret sur l'IRSN devra être modifié après l'adoption de la loi.

Enfin, ce contrat est un exemple de simplification : malgré la présence de cinq autorités de tutelle, nous avons réussi à avoir deux fois moins d'indicateurs et un tiers de pages en moins. Nous arrivons donc à faire mieux avec moins de bureaucratie.

Concernant les principaux dossiers stratégiques de l'IRSN, le premier porte sur l'objectif de conforter la sûreté nucléaire, sachant qu'elle est déjà d'un très bon niveau. Cela concerne notamment les 58 réacteurs en service et les 150 installations nucléaires, qui vieillissent. Notre préoccupation principale porte sur la prévention des accidents majeurs dont l'évolution conduirait à des rejets radioactifs importants. Cela se fait au travers deux outils principaux, définis par l'ASN à la demande du Gouvernement : des actions post-Fukushima – conforter certains investissements pour prendre en compte le fait que nos installations n'ont pas été conçues pour résister sans conséquence grave pour l'environnement à des agressions naturelles supérieures à celles prévues à l'origine – et la clarification de la réponse à apporter en cas de dégradation accidentelle du fonctionnement d'un réacteur conduisant au début de la fusion de son coeur. Nous avons d'ailleurs des partenariats avec les Américains et les Japonais pour avancer sur ces questions, de manière à définir ensuite avec les exploitants des procédures de gestion accidentelle plus précises et assises sur des données scientifiques mieux fondées.

S'agissant de l'EPR de Flamanville, il y a moins de dix ans d'attente de recherche, le concept du réacteur ayant été approuvé et représentant des avancées considérables en matière de sûreté. Mais restent encore quelques sujets d'expertise, notamment sur les scénarios de gestion accidentelle. Il s'agit d'un réacteur nouveau, dont la puissance excède de façon significative ce que l'on faisait avant et qui appelle des solutions de sûreté différentes.

Il y aura, par ailleurs, dans les mois qui viennent l'instruction formelle de l'autorisation de mise en service de l'EPR, qui nous amènera à produire pour l'ASN des rapports finaux à cet effet.

Il faut, en outre, réfléchir aux réacteurs futurs, qui sont nécessaires, notamment de génération III, alors que l'EPR se révèle très coûteux. Au-delà, nous avons une politique nucléaire historique, qui permet potentiellement de s'affranchir du marché de l'uranium naturel, dont les ressources sont limitées – on sait que quand les Chinois auront construit 250 réacteurs fonctionnant à l'uranium naturel, il y aura des tensions considérables sur l'approvisionnement mondial –, grâce aux réacteurs de quatrième génération, dits à neutrons rapides. Mais des progrès considérables doivent être faits dans la conception si nous voulons respecter les standards de sûreté d'aujourd'hui. C'est l'enjeu notamment du réacteur Astrid, pour lequel un des projets du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) consiste à ne plus mettre l'eau et le sodium en contact, ce qui suppose un troisième fluide de refroidissement, qui pourrait être le gaz carbonique. Nous adaptons nos propres modèles de prévision sur la gestion des risques à ce nouveau type de réacteurs ainsi qu'au réacteur ITER, en cours de construction à Cadarache et qui présente aussi des risques d'accident – j'ai d'ailleurs indiqué à son directeur général, qui en était d'accord, qu'il fallait conforter la coopération entre l'IRSN et ITER sur les questions de sûreté.

Deuxième dossier stratégique : faire avancer la radioprotection.

Sur l'impact des faibles doses, il faut faire avancer les connaissances scientifiques. Si le principe de précaution est un bon principe de gestion administrative, il a l'inconvénient de faire croire aux gens que n'importe quel becquerel a des conséquences sur la santé, ce qui n'est pas le cas. C'est l'objet de grands programmes de recherche menés à l'échelle européenne et internationale, pour lesquels l'Europe est en avance – le Congrès américain vient de demander au Gouvernement fédéral de remettre un rapport d'ici un an sur la nécessité de relancer les recherches aux États-Unis sur ce sujet en prenant pour modèle ce qui se fait en Europe.

Nous aurons aussi à gérer les déchets issus du démantèlement des installations. Nous avons en France une doctrine originale, que nous sommes pratiquement les seuls à avoir appliquée et qui a coupé court aux débats sur les déchets ordinaires : selon elle, tout déchet produit dans un périmètre défini par l'ASN est réputé radioactif et doit être traité sur des sites de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Mais cela a deux inconvénients : un coût élevé et le fait d'induire que tout déchet radioactif est dangereux. Or déplacer des millions de mètres cubes de déchets sans discrimination dans le cadre du démantèlement n'a pas de sens technique ni de valeur ajoutée en termes de radioprotection, pas plus que ce ne sera économiquement faisable. Cette question doit donner lieu à un vaste débat, qui est aussi politique. Je signale, par exemple, qu'à l'usine Eurodif, qui est en cours de démantèlement, on est plutôt en train d'appliquer l'ancienne doctrine.

Troisième dossier stratégique : les questions de doctrine post-accidentelle. Si l'accident grave est très peu probable, on ne peut faire l'impasse dessus. Le Gouvernement a déjà adopté un plan de sauvegarde nucléaire, qui est bien fait mais doit encore être décliné au niveau des préfectures. Reste que ce plan ne traite pas de ce qui se passera sur le long terme. Le Japon est confronté à ce problème aujourd'hui : son modèle montre qu'il faut faire jouer à la population et aux élus locaux un rôle majeur. On ne peut se limiter à des décisions de l'État en la matière.

Enfin, il y a le dossier de la sécurité nucléaire, pour laquelle l'IRSN est l'appui technique du haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère chargé de l'énergie. Mais personne ne sait que cela existe. Or la réglementation a entièrement été modernisée depuis quatre ou cinq ans et les menaces définies par l'État, auxquelles doivent répondre les installations nucléaires, ont été réévaluées : elles comportent un élément sur la troisième dimension, c'est-à-dire les attaques aériennes, qui couvrent les survols de drones.

Tous ces dossiers stratégiques justifient les moyens que la République nous a confiés.

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