Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 4 mars 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Repussard, directeur de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, IRSN :

Merci pour cet ensemble de questions, toutes pertinentes.

La recherche nucléaire est un tout. Nous sommes les pilotes de celle dédiée à la sûreté, mais y contribuent le CEA, EDF et nos partenaires internationaux. Pour coordonner cela, il y a, à l'échelle mondiale, le comité sur la recherche en sûreté de l'agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE, que j'ai présidé pendant trois ans et où on débat des grands investissements, du maintien des grandes infrastructures expérimentales, de programmes communs. C'est un instrument très important, qui permet aussi de faire du benchmark.

Au niveau français, nous avons un accord quadripartite IRSN, EDF, Areva, CEA, qui permet de discuter d'un certain nombre d'investissements et de choix programmatiques. Mais nous gardons notre indépendance et avons notre propre politique en termes de code de calcul et de doctrine de sûreté. Ce système permet d'économiser les deniers publics en évitant des doublons et d'échanger des informations.

Le décret de l'IRSN dit que la politique scientifique est pilotée par un conseil scientifique nommé par les ministres. Mais l'expérience a montré qu'il n'est pas suffisant : nous avons un comité avec l'industrie nucléaire, non représentée dans notre conseil scientifique, et un comité d'orientation des recherches – créé à la demande de Jean-Louis Borloo, lorsqu'il était ministre, et composé d'une cinquantaine de personnes représentant la société civile –, que nous saisissons sur nos choix et orientations. Nous sommes également soumis aux audits de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), qui évalue tous les organismes scientifiques en France, au travers d'un comité de visite, qui n'est prévu par aucun texte. La Cour des comptes, qui a estimé que l'IRSN fait bien son travail, a donc souhaité que nous mettions de l'ordre dans ce qu'elle estime être des zones de flou, ce que nous ferons dans le cadre d'un projet de décret qui donnera une existence réglementaire au comité d'orientation des recherches et permettra au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire de donner un avis.

L'IRSN est un des leaders mondiaux en matière de modèles. Hier, j'ai signé un accord avec l'Autorité de sûreté japonaise, qui prévoit notamment la cession de licences d'exploitation. Je rappelle qu'il y a deux grands codes de sûreté : l'américain et le français. L'OCDE organise d'ailleurs des benchmarks en aveugle, permettant à différentes équipes de travailler à divers scénarios. Je rappelle également qu'après l'accident de Fukushima, nous avons été précurseurs puisque, quelques jours après, nous avons publié les résultats de nos propres estimations sur la quantité de matière nucléaire rejetée – qui n'ont pas été démentis depuis.

En matière de vigilance, l'IRSN n'a pas les moyens – ni le souhait – de faire des campagnes à la télévision. Nous avons cependant des programmes dans ce domaine. Nous avons ainsi, avec l'ASN, une exposition grand public en trois exemplaires, peu onéreuse, que nous mettons à la disposition des élus locaux ou des hôpitaux. Pensant qu'il y a un déficit d'éducation des jeunes sur ces questions – et le ministère de l'éducation nationale ayant rejeté l'idée d'un enseignement dans le secondaire à cet égard –, nous avons passé des accords avec une quinzaine de lycées volontaires, ce qui a eu des effets très positifs : un lycée est par exemple jumelé avec un lycée de Fukushima et d'autres, avec des lycées de la région de Tchernobyl ; des prix sont, en outre, donnés chaque année aux élèves ayant réalisé les meilleurs projets. S'il est difficile de faire passer des messages au niveau national, il n'y a donc pas de résistance à la science localement.

Concernant CIGéo et la gestion des déchets, il faut distinguer ceux qui sont très faiblement radioactifs, qu'il faut mettre dans des centres ad hoc et qui s'éteindront par l'effet de la radioactivité, et ceux les plus dangereux, issus du retraitement des combustibles, pour lesquels l'IRSN estime que seul l'enfouissement géologique est une solution adaptée, les centres d'entreposage devant être reconstruits tous les deux siècles environ pendant au moins 50 000 ans. Par ailleurs, s'agissant de la transmutation, nous pensons que les problèmes de radioprotection dans les usines seraient tels qu'elle ne serait pas finançable.

Le démantèlement des grandes installations est un sujet majeur qu'il faut aborder en prenant le temps, y compris au plan politique, sachant que les déchets inertes présentent des traces de radioactivité du même ordre de grandeur que l'environnement. S'agissant de la centrale de Brennilis, l'obstacle a été juridique : les décrets autorisant le démantèlement ont été annulés à plusieurs reprises. Les riverains reprochent la multitude de camions emmenant des déchets non radioactifs mais dont on pense qu'ils le sont. Le démantèlement des installations, qui pose le problème du réemploi des sites et des pertes d'emploi subséquentes, doit être considéré comme un grand projet économique territorial, dont la question de la radioactivité n'est qu'un des aspects.

Dans les réacteurs à démanteler, il y aura surtout ceux à eau sous pression. Un petit réacteur a d'ailleurs été démantelé sans aucune difficulté. Nous pensons que le démantèlement doit être fait et qu'il faut réfléchir au traitement des déchets inertes, sachant que le zéro becquerel serait ingérable, n'existant même pas dans l'environnement.

L'IRSN est informé de tous les incidents du monde nucléaire – un de nos services est consacré à leur analyse – mais il n'en va pas de même dans le monde médical : s'il y a un système de vigilance vis-à-vis des incidents médicaux, nous ne sommes pas informés de ceux-ci de manière systématique, ce qui pourrait donner lieu à amélioration.

Quant à l'écosystème nucléaire français, il fonctionne bien, il a bien séparé les variables et les responsabilités entre les exploitants, les chercheurs technologiques – le CEA -, les chercheurs experts sûreté – l'IRSN –, l'ANDRA et l'autorité administrative. Je pense que c'est un des meilleurs au monde, mais il ne faut pas le laisser seul dans son coin, faute de quoi il pourrait dériver. Le Parlement et les acteurs locaux doivent donc s'en préoccuper et l'exigence de transparence prévaloir.

Je me réjouis que l'IRSN soit soutenu politiquement. Le facteur humain y est tout à fait apprécié : nous avons un baromètre interne à cet égard et plus de 90 % des salariés de l'institut se sentent soutenus par les institutions de la République et sont fiers de leur mission, ce qui est une force considérable, qui permet à l'IRSN de progresser.

Plus largement, si par exemple les équipes d'EDF se sentaient dénigrées, cela aurait un coût potentiel significatif en termes de sûreté. L'Allemagne va d'ailleurs probablement accélérer la sortie du nucléaire, non pour des raisons politiques, mais parce que les exploitants nucléaires ont de plus en plus de mal à recruter le personnel nécessaire. Si le nucléaire doit continuer d'exister, il faut donc faire attention à ne pas démobiliser le système français.

La centrale de Fessenheim n'est pas plus dangereuse que les autres sites nucléaires français et des mesures de correction et des investissements raisonnables y ont été réalisés après l'accident de Fukushima.

Par ailleurs, nous avons une directive européenne, largement influencée par la doctrine française, qui est en avance au plan mondial. Au point que quand, lors d'une dernière réunion à Vienne de la convention internationale sur la sûreté nucléaire, des Suisses ont proposé de retenir dans un traité international les mêmes objectifs que ce texte – à savoir qu'aucun réacteur nouveau ne doit être construit s'il peut permettre un accident grave provoquant des rejets massifs dans l'environnement –, les pays tiers à l'Europe, notamment les États-Unis et la Russie, y ont fait obstacle. Reste qu'il nous faudra appliquer cette règle et ma préoccupation est de faire en sorte qu'on se dote avec les autres organismes européens équivalents au nôtre, qui sont plus petits, des outils scientifiques pour vérifier de façon indépendante que ce qui est dit dans la loi correspond à la réalité.

Enfin, sur les autres questions auxquelles je n'aurais pas répondu dans le temps qui m'était imparti, je vous transmettrai des réponses écrites.

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