Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 3 mars 2015 à 18h15
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je vous remercie de votre invitation, étant à votre disposition pour répondre à vos questions après mes quelques propos liminaires, où je vais essayer de faire le point sur l'état de la négociation.

Le conseil des ministres français m'a officiellement demandé de préparer la COP21 à Paris, conférence que je suis par ailleurs chargé de présider en vertu d'une décision internationale. Il s'agit d'un sujet essentiel pour le monde et important pour la France.

Nous sommes à neuf mois de l'ouverture de la COP21. Les négociations se déroulent dans un climat constructif, mais l'essentiel reste à faire. Qui voit l'ampleur du chemin à parcourir et la gravité de la situation, le fait que les conférences précédentes n'ont pas été un grand succès et la circonstance qu'un accord ne peut être adopté que par consensus entre 196 parties prenantes, soit plus que les États membres des Nations unies –car l'Union européenne en sera une aussi– mesure la difficulté de la tâche. Les points de vue sont différents et il faudra rassembler.

La présidence devra être ambitieuse, mais à aussi à l'écoute, consciente de ce qu'aucun succès n'est possible sans esprit de compromis. Dans le cadre du groupe de travail de la plateforme de Durban pour une action renforcée (Ad hoc working group on the Durban Platform, ADP), une première négociation a eu lieu à Genève, où je me suis rendu. Tous les pays y seront représentés. Deux co-présidents en préparent et en animent les travaux, un Algérien et un Américain. Ils doivent livrer en octobre un texte qui serve de base de travail à la COP21 à partir de la fin novembre.

La première session de négociation a abouti à un résultat contrasté. Un consensus s'est dégagé sur un texte qui, publié plus de six mois avant la COP21, pourra valablement servir de base à un accord à la conférence. Mais, s'il fait l'objet d'un accord général, c'est que, pour paraphraser Corneille, parti de 37 pages, le texte a gonflé jusqu'à en compter désormais 86. Si le compromis est essentiel, six ou sept points d'achoppement demeurent. Plusieurs solutions sont avancées pour les dépasser, généralement au nombre de trois. Mais les questions ne sont pas tranchées. Aussi faut-il tout mettre en oeuvre pour que la prochaine session officielle de négociation, en juin, soit un succès.

J'oeuvre déjà avec le président de la COP20, mon ami péruvien, pour aplanir les difficultés avant la session de juin, comme nous en sommes convenus tous les deux. En vertu de la convention, la France ne prend en effet la présidence de la conférence qu'à partir du début du mois de décembre. Mais la réalité politique et la réalité juridique ne se recoupent pas totalement. Ainsi, un pays considéré comme un pays du Nord, la France, et un pays du Sud, le Pérou, préparent ensemble la conférence de Paris. Mon collègue péruvien m'accompagnera durant la COP21, de même que j'aurai à prendre en compte la perspective de la COP22, qui se tiendra au Maroc.

D'ici le mois de juin, nous avons prévu, le président péruvien et moi-même, d'organiser, pour obtenir des compromis, plusieurs sessions de consultations informelles avec des groupes représentatifs tels que l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), le groupe des 77, le groupe LMDC (like-minded developed countries)… Il est important que chacun soit représenté dans ces discussions, sans que le cercle soit cependant trop ouvert.

Un important travail bilatéral reste aussi à faire. Le président de la République s'est ainsi rendu aux Philippines, pays particulièrement touché par le dérèglement climatique, puisqu'il essuie vingt typhons par an. Le plus grave, le typhon Haiyan, a causé en 2013 des milliers de morts. À l'ONU, au mois de septembre, le président philippin n'a au demeurant pas renvoyé dos à dos Sud et Nord, reconnaissant que les Philippines, quoique pays en voie de développement, devaient aussi faire leur part du chemin. Cette reconnaissance est au coeur de la déclaration de Manille.

Au deuxième semestre de cette année viendront les réunions techniques et ministérielles. À partir des mois de juin et juillet, les ministres seront davantage mobilisés. Le cas échéant, les chefs d'État et de gouvernement seront sollicités pour que se dégage, si possible dès octobre, un accord de compromis sur les grandes questions.

Car l'échec de Copenhague est dû au fait que trop de choses ont été laissées à la décision de la conférence. Arrivés à la dernière minute, les chefs d'État et de gouvernement n'ont pu s'entendre sur un accord. Mais, à l'heure actuelle, il y a une volonté politique incontestable pour qu'il y ait un accord à Paris. En vue d'en assurer le succès, nous avons proposé qu'il repose sur quatre piliers, à savoir qu'il soit juridiquement contraignant, universel, différencié et ambitieux. Il doit également viser quatre objectifs, dont la valeur normative varie néanmoins.

En premier lieu, les précédentes conférences ont fixé à la COP21 le mandat d'arriver à un accord juridique contraignant, mais sans qu'il y ait encore de consensus sur la nature juridique exacte, ni sur le champ, de cet éventuel accord. Aux États-Unis, le Sénat et le président ne sont ainsi pas du même avis sur l'opportunité d'adopter un protocole ou un accord d'un autre type. En outre, tout le monde ne s'accorde pas sur la question de savoir si le texte doit prévoir, au-delà des grands objectifs et des engagements procéduraux, également des engagements chiffrés.

En deuxième lieu, l'accord devra avoir une portée universelle. C'est une nouveauté. Même le protocole de Kyoto est mis en application par des pays ne représentant que 15 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour que l'accord soit efficace, tous devront être inclus cette fois, avant tout les principaux émetteurs, y compris les pays émergents quand ils sont de grands émetteurs.

En troisième lieu, l'accord devra être différencié, suivant la formule consacrée qui évoque une responsabilité commune, mais différenciée. Le principe a amené à développer une séparation étanche entre les pays du Nord, répertoriés à l'annexe I, et les autres pays de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Cette summa divisio permet d'imposer aux uns de prendre des engagements, tandis que les autres se voient seulement reconnaître la faculté d'agir dans le domaine climatique. À Varsovie, en 2013, tous les pays ont cependant voulu livrer une contribution à la lutte contre le changement climatique, en amont de la COP21. Un changement de paradigme serait ainsi en cours, qui conduirait vers une auto-différenciation, telle que l'appellent certains spécialistes.

Cette évolution est toujours en cours, comme l'a prouvé l'accord de novembre entre les États-Unis et la Chine, pays non répertorié à l'annexe I. Cela n'a pas de sens que seuls les pays riches se fixent des objectifs. À Lima, où la conférence s'est prolongée quelque peu pour arriver à dégager un accord, le texte a repris la formule de l'accord sino-américain, aux termes duquel les efforts à fournir seraient également évalués « à la lumière des circonstances nationales ». Ces termes demandent à être précisés sur un plan opérationnel dans les trois domaines où la différenciation peut s'appliquer : les contributions nationales, la soumission à un mécanisme commun de vérification et l'apport financier.

En quatrième lieu, l'accord devra être ambitieux. Soit la conférence permettra de contenir le réchauffement global en deçà de 2° C, soit elle ne le permettra pas. Tel est le critère à l'aune duquel se mesurera son succès.

L'accord fera fond sur des contributions nationales. D'ici la COP21, chaque pays est invité en effet à soumettre des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre constituant son projet de contribution au niveau national (intended nationally determined contributions –iNDC). Il faut s'attendre à ce que, une fois ces contributions additionnées, la barre des 2° C soit déjà franchie. Cela n'est pourtant pas choquant, car, par ailleurs, l'Agenda des solutions et un mécanisme encore à trouver à Paris devraient cependant permettre de ne pas dépasser ce seuil.

C'est pourquoi certains proposent d'inclure dans l'accord un objectif de long terme qui soit plus opérationnel que l'objectif des 2° C, d'autres souhaitent une clause de révision à la hausse, régulière, des objectifs nationaux. C'est une discussion à mener.

Notre réseau diplomatique a fait le point sur l'état des contributions. La Suisse s'est singularisée positivement en publiant la sienne la première. Une centaine de contributions sont attendues, pas seulement des pays développés ou émergents ; elles devraient couvrir 80 % des émissions. Normalement, tous les États devraient livrer leur contribution avant la COP21 –l'accord de Lima le prévoit expressément–, mais certains se heurtent à des difficultés techniques.

Une trentaine de pays n'ont pas la capacité de le faire rapidement ; ils pourraient demander de l'aide. C'est pourquoi j'ai établi un fonds français financé par l'Agence française de développement (AFD). Il met à la disposition d'Expertise France, regroupant désormais l'expertise des différents ministères, 3,5 millions d'euros pour apporter une assistance technique à au moins quinze pays, notamment subsahariens, dépourvus de moyens ou d'expertise pour livrer une contribution nationale. Les membres de l'Alliance des petits États insulaires (Alliance of Small Island States, AOSIS) peuvent également en bénéficier. L'AFD apporte ainsi un appui financier et Expertise française l'appui technique. La solution proposée est concrète, simple et pratique.

Comme je vous le disais, les contributions attendues entre mars et juillet aboutiront à un résultat dont l'addition peut être insuffisante. Aussi certains plaident-ils pour une clause de révision régulière des objectifs, tandis que certains, parfois les mêmes, parfois d'autres, souhaitent qu'un objectif de long terme complète de manière plus opérationnelle celui des 2° C, par exemple la neutralité carbone à l'horizon à partir de 2050. En tout état de cause, tout ne sera pas résolu à la conférence de Paris, qui constituera aussi bien un point d'aboutissement qu'un point de départ pour un nouveau cycle.

Le volet du financement fait l'objet d'attentes très fortes de la part des pays en développement, comme l'a souligné la présidente Auroi. Soulignant qu'ils sont faiblement émetteurs de gaz à effet de serre, ces pays nous demandent comment financer leur action. À Paris, les pays développés devront faire la preuve qu'ils respectent leurs engagements.

À ce sujet, il convient de ne pas confondre le Fonds vert pour le climat, les financements pour le climat et le financement des Objectifs du développement durable (ODD). Le premier sera abondé, entre 2015 et 2018, à hauteur de dix milliards de dollars. Son administration se met en place. Le mécanisme devra financer les projets verts des pays en voie de développement, en particulier dans le domaine climatique. À partir de 2020, les financements pour le climat dans les pays en développement devraient recueillir 100 milliards de dollars par an. Ce n'est donc pas du tout le même ordre de grandeur que le Fonds vert pour le climat. Les ODD englobent un champ plus large. Ils seront évoqués à la conférence d'Addis Abeba en juillet, puis au sommet de septembre des Nations unies.

Notons que ces sommes ne sont pas exclusives les unes des autres, la sauvegarde du climat faisant partie des objectifs du développement. Mais ces sommes ne sont pas non plus réductibles les unes aux autres. Il faut donc un fléchage, compréhensible par tous, de telle sorte que les États, notamment ceux des pays développés, ne se sentent pas floués. Les dollars des ODD sont à la fois publics et privés ; il ne s'agit donc pas exclusivement d'argent public, encore moins de financement exclusivement budgétaire. Aussi de fortes incertitudes demeurent-elles chez les observateurs et chez les acteurs.

À la fin de ce mois, une réunion, en partie organisée avec l'AFD, aura lieu avec les banques multilatérales pour clarifier la méthodologie. Comme l'a souligné la présidente Auroi, il conviendra d'accorder une attention particulière aux projets d'adaptation qui concernent les pays les plus vulnérables, notamment ceux de l'AOSIS. Ils reconnaissent en effet qu'une action générale vise bien à endiguer le réchauffement planétaire, mais ils mettent en avant que des typhons leur arrivent, tandis que les océans montent dangereusement pour eux. Aussi doivent-ils d'ores et déjà s'adapter.

Ces questions devront être tranchées au cours des prochaines réunions, où il faudra se mettre d'accord sur la comptabilisation des engagements en faveur du climat. Chez certains de nos partenaires, une méfiance se développe vis-à-vis d'une comptabilisation abusive qui tendrait à détourner le financement du développement vers l'action climatique, au détriment de l'éducation ou de la santé.

Il faut pousser les banques multilatérales et les bailleurs à se fixer des objectifs chiffrés pour le climat, comme nous l'avons pour l'AFD. Il faut également convaincre les pays en voie de développement de verdir leurs projets. Nous poursuivons notre plaidoyer en faveur des financements innovants pour le climat. À Lima, où se trouvait la directrice générale du Fonds vert, je l'ai incitée à oeuvrer pour que l'offre du Fonds vert se traduise déjà de manière concrète dans le cadre de la COP21.

Comme État assurant la présidence de la COP, la France a pour objectif d'amener les acteurs financiers à réorienter leurs ressources vers des activités sobres en carbone, en prenant en compte la contrainte liée au changement climatique. Je voudrais vous donner trois exemples montrant l'intérêt qu'il y a à verdir ses investissements.

Premièrement, à Lima, des fonds de pays, notamment de l'Europe du Nord, engagés depuis longtemps dans des investissements verts, ont souligné que leur rendement est loin d'être négligeable. Voilà un nouvel état d'esprit à répandre.

Deuxièmement, les gouverneurs de banque centrale et les agences de notation doivent donner des signaux publics de leur prise en compte du risque climatique. Venu du Canada, le gouverneur de la banque d'Angleterre est un défenseur éloquent des financements verts. Il montre que cette orientation est bienvenue y compris du point de vue strictement financier, démonstration d'autant plus convaincante qu'elle émane d'un homme du sérail et non d'une personnalité appartenant au monde politique.

Les agences de notation, qui évaluent des risques, doivent montrer qu'elles prennent également en compte le risque climatique, de même que doivent le faire les compagnies d'assurance et de réassurance. Pour elles, la dimension des catastrophes climatiques est centrale. Elles ont un intérêt direct à agir contre le dérèglement climatique.

Troisièmement etd'une manière générale, il faut pousser enfin à l'émission d'obligations vertes.

Le financement n'est pas un sujet qui entre strictement dans le cadre de la COP21, mais évoquer la question du climat sans apporter de réponse en termes de financement reviendrait à parler en l'air. Plusieurs étapes importantes s'annoncent pour essayer d'engranger progressivement des résultats.

Les assemblées du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale se tiendront en avril puis en octobre. J'ai souhaité qu'au cours de la réunion d'octobre, qui se tiendra à Lima, le volet climatique soit abordé, ce qui constituera une innovation. Au prochain sommet du G7 en Allemagne, en juin, sera présenté un rapport sur le financement de l'action climatique, sujet dont la France et l'Allemagne veulent faire un thème central. Le contenu pourrait en être repris au sommet suivant du G20, organisé en Turquie. À la mi-mai, les acteurs du secteur financier se rencontreront à Paris.

Au-delà des chiffres, ma conviction est que l'issue de la COP21 dépendra en effet de mesures concrètes. La COP21 porte sur l'après-2020, alors que l'opinion publique mondiale a déjà des attentes pour la période 2015-2020. Toute inaction au cours de ces cinq ans rendrait l'obstacle plus difficile encore à franchir par la suite.

Nous devons donc développer un programme particulier pour cette période. Chaque État, y compris chaque État africain ou chaque État insulaire, devra trouver son compte dans l'accord de la COP21. Ainsi, un réseau mondial d'avertissement des catastrophes pourrait être créé. Rien de tel n'existe encore. Aux Philippines, la semaine dernière, j'ai constaté que des dégâts humains et matériels auraient pu être en partie évités si un tel système avait fonctionné, permettant par exemple de prévenir la population par des messages sur des téléphones mobiles. Voilà un apport possible de la COP21, qui devra déboucher sur un texte, mais aussi sur des actions concrètes.

Enfin, un Agenda des solutions est en voie d'élaboration, qui revêt le nom de plan d'action Lima-Paris. Car les gouvernements devront faire leur travail. Mais d'autres acteurs joueront un rôle au moins aussi important : les villes, les régions, les grandes entreprises, les organisations de la société civile… L'accord de Lima contient un court paragraphe prévoyant qu'à Paris, ces solutions soient répertoriées et visibles, pour que les délégués et l'opinion publique prennent conscience de ce qu'il est non seulement nécessaire, mais possible de lutter contre le réchauffement climatique, car des solutions pratiques, techniques, politiques, financières existent. La configuration et le calendrier de la COP21 seront conçus de telle manière que cet agenda soit visible et compréhensible par la population et la société civile.

Ces engagements ont vocation à s'ajouter aux objectifs des États qui auront souscrit à l'objectif des 2° C. La mairesse de Paris, qui va bientôt recevoir ses homologues d'autres capitales, a eu l'excellente idée de leur proposer de réfléchir à un verdissement de leurs marchés publics. Autre exemple, M. Jeff Brown, gouverneur de Californie, a déjà pris, à la suite de M. Arnold Schwarzenegger, des décisions en faveur de la neutralité carbone.

Plusieurs réunions se tiendront sur ce thème : mi-mai à Paris, un dialogue est prévu avec les acteurs privés ; début juillet à Lyon, avec les acteurs territoriaux ; enfin, la réunion déjà évoquée par la présidente Guigou aura lieu à Marseille en juin. Ces rencontres devraient déboucher sur des engagements précis.

Cette approche est plutôt bien accueillie. Quant à la COP21 proprement dite, la présidence ne pourra pas y imposer ses vues, mais devra au contraire être à l'écoute des uns et des autres, dans la perspective de favoriser des compromis.

Les parlementaires ont un rôle important à jouer. Ils peuvent d'abord peser sur la définition des contributions nationales présentées par leur gouvernement. Ils auront ensuite à ratifier ou à autoriser la ratification d'un éventuel accord, ou du moins à ne pas s'y opposer. De nombreuses missions parlementaires sont prévues sur ce thème, qui seront certainement utiles. Mon équipe est à votre disposition pour en favoriser la bonne coordination. En outre, des réunions interministérielles se tiennent régulièrement en amont de la conférence, regroupant les ministres concernés, des scientifiques, les services. Je serais heureux que deux députés puissent participer à ces réunions mensuelles du comité de pilotage (COPIL) interministériel, comme me l'a demandé le président de l'Assemblée nationale. À la COP21, la place réservée aux parlementaires français devrait être au demeurant plutôt large.

Permettez-moi de saluer enfin le précieux appui de l'Assemblée nationale, toutes sensibilités politiques confondues, dans la préparation de cette échéance diplomatique majeure.

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