Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 3 mars 2015 à 18h15
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Monsieur Bouillon, la diplomatie parlementaire peut contribuer au succès de la COP21. Sans faire aucune allusion à un événement récent, je dirais qu'elle peut s'épanouir dans le cadre des groupes d'amitié, qui peuvent mettre l'enjeu climatique à l'ordre du jour de leurs rencontres, là où des problèmes particuliers se posent, mais aussi ailleurs. Le Quai d'Orsay est à la disposition de chaque groupe d'amitié pour l'informer de l'état de l'art dans chaque pays, relativement aux négociations climatiques. Il peut également vous indiquer avec quels pays il peut être plus particulièrement utile d'aborder le sujet. Je vous signale que, dans chacun d'entre eux, les ambassadeurs suivent personnellement la préparation de la COP21.

Monsieur Arnaud Leroy, le Brésil se montre en effet toujours plus actif dans les conférences sur le climat, avançant beaucoup d'idées. Il a ainsi récemment articulé une proposition reposant sur le principe de différenciation concentrique. Ouvrant sur une graduation dans le temps entre les actions volontaires et les engagements contraignants, elle pourrait offrir le moyen de surmonter la distinction entre les pays de l'annexe I et les autres, ou du moins de jeter des ponts entre les pays en voie de développement et les pays développés. Alors qu'elle sera prochainement débattue au cours des réunions ADP, il est encore trop tôt pour dire si elle sera retenue dans le texte final.

Monsieur Deflesselles, je salue votre travail sur les questions climatiques. Vous évoquez les difficultés qui nous attendent. Peut-être ne voit-on pas les points positifs quand on a le nez sur l'obstacle, mais trois changements s'observent cependant depuis dix ou quinze ans.

D'abord, le réchauffement climatique ne fait quasiment plus l'objet d'une contestation scientifique, par exemple en France, où le réchauffement était un phénomène reconnu, mais n'était pas mis systématiquement en rapport avec l'activité humaine. Il en va différemment aux États-Unis, mais, dans la majeure partie des pays où je me rends, les États reconnaissent la cause humaine du réchauffement. Il faut rendre hommage sur ce point aux travaux du GIEC.

Ensuite, les entreprises, les collectivités territoriales et la société civile s'intéressent désormais à ces sujets.

Enfin, de grands responsables politiques ont pris des positions positives sur l'enjeu climatique, tel le président Obama. En Chine également, la remontée des problèmes sociaux et politiques liés au réchauffement a changé la donne, amenant de la part des autorités un changement de position qui me semble authentique.

Je ne suis donc ni optimiste, ni pessimiste. « Je le crois, parce que je l'espère », disait Léon Blum. Mais la formule est naturellement fort peu scientifique. Nous ferons naturellement le maximum, sans pouvoir préjuger du succès compte tenu de la difficulté du sujet et de la variété des parties prenantes. À Varsovie, lorsque la France a été désignée pour accueillir cette conférence, beaucoup d'autres délégués m'ont souhaité bonne chance avec ce que j'ai perçu comme une pointe d'ironie dans la voix.

Monsieur Roumegas, vous avez évoqué la déforestation. Ce sujet très important est traité dans l'Agenda des solutions grâce à la reprise d'une initiative contre la déforestation adoptée au sommet sur le climat en septembre à New York, où les entreprises consommatrices d'huile de palme se sont engagées à lutter contre ce fléau. En France, la feuille de route issue de la conférence environnementale prévoit d'orienter la commande publique de telle sorte qu'elle ne concoure pas à la déforestation. Dans le cadre de l'initiative internationale sur la réduction des émissions causées par la déforestation et la dégradation des sols (REDD plus), la France finance également des pays pour qu'ils entretiennent leurs forêts.

Vous soulignez avec raison, monsieur Roumegas, que la déforestation constitue un problème majeur. Je ne crains pas de dire qu'elle est à l'origine de l'expansion du virus Ebola et du virus du Sida. Ces virus existaient en effet depuis longtemps à l'état latent dans ces forêts. Avec la déforestation, les conditions écologiques ont changé, tandis que les populations ont migré. Cela a fait, pour ainsi dire, « exploser » les virus. Il y a donc une dimension épidémiologique à prendre en compte ; elle peut même faire toucher du doigt au grand public les conséquences néfastes du dérèglement climatique, tant sur la santé que sur la sécurité.

Sur ce dernier point, force est de constater qu'il peut être une cause majeure de conflit et de guerre, en induisant une lutte pour le contrôle des ressources en eau, en pétrole, en autonomie énergétique. L'argument de la sécurité peut jouer un rôle important pour convaincre nos compatriotes des méfaits directs du dérèglement climatique.

Monsieur Carvalho, je conviens bien volontiers avec vous que l'organisation de la COP21 constitue un vrai défi. Pour les financements, faisons toutefois attention. Je vous ferai passer une note sur ce sujet complexe. D'un côté, le Fonds vert sera abondé entre 2015 et 2018 à hauteur de dix milliards de dollars en fonds publics. De l'autre, les financements pour le climat devront bénéficier, à compter de 2020, de cent milliards de dollars par an provenant de fonds tant privés que publics. Ce sont deux véhicules de financement différents.

Vous avez également soulevé la question du nettoyage des abords de Paris et, en particulier, des routes qui relient la capitale à ses aéroports. Quand je me rends à l'étranger, ce qui m'arrive naturellement souvent, je constate que la voie entre l'aéroport et la capitale du pays visité est en général très propre. Ce n'est pas le cas chez nous ! Je ne saurais même pas qualifier en langage châtié l'état de ces abords.

Comme vous le savez, j'ai repris le tourisme dans mes attributions ministérielles. L'entretien des abords routiers de Paris relève de la responsabilité de l'État. Même si les finances publiques sont dégradées, il faut qu'il soit conduit efficacement, non seulement dans la perspective de la COP21, mais durablement. J'ai soumis au Premier ministre des propositions en ce sens. Je connais son arbitrage interministériel, qu'il rendra public quand il le souhaitera. En tout état de cause, il faut que ça change.

Monsieur Rochebloine, vous m'avez demandé d'indiquer quels sont les pays réticents à un accord. La question est pertinente, mais je ne saurais naturellement dresser une liste. Objectivement, certains se trouvent dans une situation plus difficile que d'autres. Très peuplés, ils utilisent beaucoup de charbon. Ou bien ils vivent essentiellement sur des énergies fossiles. D'autres encore, notamment les États insulaires, sont d'accord avec la démarche, mais se demandent où trouver les moyens financiers et technologiques. Mon collègue péruvien et moi-même devons donc travailler pour trouver des solutions concrètes à leur proposer.

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