Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 3 mars 2015 à 18h15
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

En tout cas, ils sont puissants. En outre, comme président de la COP, je ne saurais imposer une solution. Un accord éventuel ne pourra être issu que d'un travail collectif.

Monsieur Plisson, vous m'avez interrogé sur le rôle de l'Union européenne. Le 25 février, la Commission européenne a adopté un document qui sera discuté le 6 mars par le Conseil « Environnement », sans qu'on puisse dire à ce stade s'il recueillera l'assentiment général. Madame Ségolène Royal y représentera la France, car il est convenu qu'elle défende la position spécifique de notre pays, tandis que j'assume la présidence de la COP21. Outre que le cumul des deux fonctions serait de toute façon délicat, je sortirais sinon de mes attributions ministérielles.

L'Union européenne joue son rôle dans la préparation de la COP21, grâce à l'accord auquel nous sommes parvenus en octobre, qui fixe un niveau d'exigence suffisant. Mais l'expérience de 2009 à Copenhague nous a enseigné qu'il ne suffit pas d'être exemplaire. Encore faut-il que cette exemplarité soit contagieuse. Si l'Union européenne doit être à l'avant-garde, il faut encore éviter que, lorsqu'elle se retourne, elle ne constate qu'elle a perdu ceux doivent l'accompagner. Car une exemplarité unilatérale serait une contradiction dans les termes. Un travail de conviction et d'entraînement reste donc à faire.

Il faut veiller à ce que les décisions politiques d'octobre soient concrètement mises en oeuvre dans une législation effective, de même qu'il faut mettre en oeuvre les engagements internationaux auxquels nous avons souscrit : l'amendement Doha au protocole de Kyoto doit être ratifié par tous les États membres ; les financements promis en faveur du climat doivent être honorés. L'Union européenne doit également jouer un rôle particulier vis-à-vis des pays en voie de développement et des pays intermédiaires tels que l'Égypte, la Malaisie ou la Colombie, qui craignent d'être les oubliés de la négociation. Nos différents réseaux diplomatiques doivent se coordonner en ce sens, mais j'engage aussi mes collègues, quand ils reçoivent des homologues et les interrogent sur les enjeux climatiques, à articuler clairement ce que souhaite l'Union européenne.

Monsieur Favennec, monsieur Gollnisch, vous m'avez interrogé sur la portée exacte du mécanisme juridique contraignant auquel doit arriver la COP21. Je ne sais vous répondre à ce stade, cette question ne faisant pas l'objet d'une décision unilatérale de ma part. Il s'agit de l'un des aspects les plus complexes de la négociation. La question ne se pose simplement pour les États-Unis. Oui, monsieur Gollnisch, la ratification sera soumise en France à l'autorisation parlementaire.

Je recevais il y a peu M. Tod Stern, négociateur américain, qui me rappelait que la conférence de Durban a prévu trois sortes possibles d'accord, allant du protocole à une « solution concertée ayant une force légale dans le cadre de la convention », en passant par un « autre instrument légal ». Le protocole constitue l'option la plus contraignante. C'est celle qui est défendue par l'Union européenne et par les pays les plus vulnérables, tels ceux de l'AOSIS. Les États-Unis, qui ont une pratique et une législation particulières, sont prêts à adopter un protocole contraignant s'il s'inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre de la convention cadre des Nations unies sur le climat ; il échapperait ainsi à l'obligation d'être ratifié.

Cela suppose cependant que l'accord n'inclue pas d'engagement chiffré en termes de réduction des émissions par pays, même s'il pourrait comprendre des éléments contraignants tels qu'un mécanisme de suivi ou l'obligation de présenter des objectifs nationaux. Il faut sortir de cette difficulté pour que tous les pays, grands ou petits, puissent être amenés à s'engager et que leurs engagements soient vérifiés. Car un engagement sans mécanisme de vérification est un engagement qui n'existe pas.

Madame Guittet, vous avez évoqué l'annonce régulièrement faite par le groupe des BRICS qu'ils vont instituer une banque d'investissement qui inclurait un fonds vert dédié. Mais les Chinois veulent quant à eux fonder une banque dédiée au financement des infrastructures. Dans quelle mesure les deux banques pourraient-elles subsister de manière concurrente ? Vantée bien haut il y a quelques années, l'homogénéité du groupe des BRICS semble se défaire.

Madame Lignières-Cassou, votre question sur la taxation des transactions financières n'est guère facile. Partis cinq cents, nous ne sommes plus tout à fait le même nombre à l'approche de l'arrivée, pour paraphraser de nouveau Corneille… Quand l'idée fut évoquée, elle a recueilli l'approbation nécessaire pour que soit lancée une coopération renforcée. L'exercice concret est en cours, mais chacun défend ses intérêts, cherchant à isoler telle ou telle catégorie de véhicule financier pour protéger ses banques. Mon collègue Michel Sapin m'assure cependant que des progrès réguliers ont lieu.

Dans le dernier état des discussions, la taxe serait assise sur une base large, mais fixée à un taux bas. Même sous cette forme, elle suscite cependant des réticences, car certains craignent qu'une fois introduite la taxe, les taux bas ne soient qu'un début, car il serait aisé de les relever.

Monsieur Noguès, le Premier ministre rendra bientôt un arbitrage sur l'arrêt du financement par la COFACE de centrales à charbon. Il s'agit de mettre en oeuvre l'engagement pris publiquement par le président de la République au cours d'une réunion à laquelle j'ai assisté. Je suis également favorable à la publication par les établissements bancaires de leur empreinte carbone.

Monsieur Baumel, l'AFD a déjà reçu onze demandes de pays voulant bénéficier de l'appui technique qu'elle propose dans le cadre de la préparation de la COP21, à savoir le Niger, le Burkina, la République centrafricaine, le Gabon, le Mali, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Togo, les îles Fidji et Djibouti. Cela prouve l'utilité de ce mécanisme.

Monsieur Chevrollier, les retombées économiques positives de la lutte contre le réchauffement climatique méritent certes d'être soulignées. Il est assurément possible de montrer que la croissance verte constitue l'un des piliers de la croissance de l'avenir et qu'une convergence, non une opposition, existe entre développement et écologie.

Monsieur Daniel, le sénateur Dantec fait déjà partie du COPIL. À la réunion de Lyon, début juin, il aura l'occasion d'inviter les collectivités territoriales du monde entier à suivre la démarche défendue dans le rapport qu'il a remis.

Madame Coutelle, vous soulignez avec raison que les femmes sont à la fois actrices du développement et victimes du dérèglement climatique. Quant au déroulement de la conférence, la présidence n'en décide pas à elle seule, les Nations unies y étant très impliquées. À l'approche du 8 mars, il faudrait cependant prendre une décision. Je partage totalement votre point de vue : une action particulière serait souhaitable.

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