Notre-Dame-des-Landes offre un bon exemple d'intervention longue ; c'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Toutefois, l'objet de notre commission d'enquête ne se limite évidemment ni à ces événements ni à ceux de Sivens, tant s'en faut.
Lieutenant-colonel Stéphane Fauvelet. J'ai commencé ma carrière dans la gendarmerie mobile, au sein d'un escadron où j'ai occupé presque tous les postes, avant de devenir officier à la faveur d'un concours. Après avoir été commandant d'escadron, j'ai désormais l'honneur de commander un groupement.
L'évolution des modes de contestation me semble recouvrir deux aspects. Le premier réside dans l'expression même de cette contestation : dès la fin des années quatre-vingt-dix, lors de G20 et de G8, à Évian et à Nice par exemple, nous avions été confrontés à des formes de violence extrêmes ; la nouveauté est qu'elles nous semblaient viser les représentants de l'ordre pour ce qu'ils sont, et non plus se revendiquer de quelque aspiration à la liberté.
Le second aspect, nouveau, tient à l'occupation du terrain dans la durée – jusqu'à présent, les oppositions, ponctuelles et sporadiques, étaient liées à des événements précis, tels que la tenue d'un G20. Cela n'est toutefois pas de nature à nous déstabiliser, car notre expérience militaire nous permet d'anticiper : vous le constaterez sans doute en découvrant nos conditions d'entraînement à Saint-Astier. Nous ne sommes pas surpris par la violence de l'adversaire, quand bien même le phénomène est devenu plus fréquent. Avec le temps, les opposants se sont également structurés, acquérant une dimension internationale : à Notre-Dame-des-Landes, nous avons fait face à des éléments radicaux venus d'Espagne, de Grande-Bretagne, de Belgique et d'Allemagne.
Les opposants, le lieutenant-colonel Gerber l'a rappelé, sont cependant multiples : j'ai eu à traiter non seulement avec des agriculteurs, mais aussi, dans les landes de Rohanne, avec des familles – au sein desquelles on voyait des enfants dans des poussettes –, des élus et des riverains. Juste derrière ces manifestants étaient positionnés des groupes radicaux, reconnaissables à leurs équipements, leurs cagoules et leurs casques. La première action, dans un cas de figure comme celui-ci, est la négociation. Les forces de gendarmerie mobile commencent par informer les opposants de ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire et, surtout, de la mission qu'elles ont reçue. Cet échange ne revêt évidemment aucun caractère légal ; il correspond, dans notre déontologie, au devoir moral d'informer les manifestants sur la nature de notre action. À Fos-sur-Mer, des agriculteurs camarguais, dans un contexte d'opposition extrême, occupaient le quartier de la Fossette, résolus de s'y installer dans la durée. Nos instructions étaient d'assurer la viabilité des axes routiers pour midi ; ce fut chose faite dès neuf heures, après une heure seulement de discussion : aucun gendarme mobile n'eut à mettre son casque, aucune grenade ne fut tirée.
Ce type de démarche est une sorte de filtre : ne demeurent, lors d'éventuels affrontements, que les opposants radicaux désireux d'en découdre ; les autres, même s'ils continuent de manifester, ne s'opposent pas aux manoeuvres des forces de l'ordre et répondent à leurs sommations. Ce scénario correspond exactement à ce qui s'est passé à Nantes, où nous avions à assurer l'exécution de décisions de justice : il est évident que, si les occupants du squat avaient obtempéré aux injonctions des huissiers de justice, les forces de l'ordre n'auraient pas eu à intervenir. Notre action dépend toujours de l'attitude de l'opposant, conformément à trois principes : la légalité, la sécurité et l'efficacité.
Les équipements sont de deux types, individuels et collectifs ; ils assurent d'abord la protection, y compris, dans le second cas, par l'intermédiaire des vecteurs de projection, par exemple des véhicules qui, disposés en barrage, permettent aussi de dissimuler nos forces, toujours dans l'optique d'éviter la confrontation. Un juste équilibre doit cependant être trouvé entre la protection et la mobilité. Si, il y a vingt ans, les équipements individuels se résumaient à une simple veste, ils sont désormais largement à la hauteur des besoins.
Quant aux équipements collectifs – vecteurs de tir tels que les grenades –, ils s'inscrivent dans le cadre légal de l'emploi des armes et des forces. Les moyens dont nous sommes dotés ne servent qu'à appuyer nos manoeuvres et jamais, pour ainsi dire, à occuper le terrain. Tout mouvement doit être opéré dans les meilleures conditions de sécurité et en conformité avec le droit.