Nous avons bien compris l'importance des garanties apportées par l'autorité civile. De quelle latitude disposez-vous dans vos discussions avec elle ? Les préfets sont de hauts fonctionnaires pour ainsi dire irréprochables, mais, comme chez les parlementaires, il existe des exceptions… Qu'advient-il si un ordre contraire à l'intérêt de la paix civile est donné ? Avez-vous des moyens de résister à cet ordre, sachant que les préfets n'ont pas suivi les mêmes formations que vous ? Des arbitrages ministériels peuvent-ils intervenir pour des manifestations comme celles de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens, que les plus hautes autorités de l'État suivent de près ?
Lieutenant-colonel Emmanuel Gerber. Les missions auxquelles nous participons – « César 44 » à Notre-Dame-des-Landes ou opération écotaxe à Pont-de-Buis – nous sont confiées par l'autorité civile, en l'occurrence le préfet. En général, le dialogue s'engage en amont de la mission : si elle ne nous paraît pas légale – mais ce n'est jamais le cas –, c'est à ce moment que nous pouvons le signaler. En collaboration avec le responsable territorial – le commandant de groupement de gendarmerie départementale –, nous déroulons une méthode de raisonnement tactique qui nous amène à concevoir la manoeuvre la plus susceptible d'obtenir l'effet recherché, et nous recevons alors l'aval de l'autorité civile. J'ajoute que celle-ci s'engage à nos côtés sur le terrain lorsque les opérations se durcissent : en tout cas, le lien est au minimum maintenu par téléphone.
Une manoeuvre des opposants peut cependant nous conduire, en cours d'action, à donner des ordres afin de modifier une partie de la procédure prévue. Cela n'a pas manqué de se produire à Notre-Dame-des-Landes où les manifestants étaient parfaitement organisés, commandés, disposaient d'un réseau de téléphones et avaient même piraté certaines fréquences radio : cela nous a d'ailleurs permis d'écouter leurs échanges, de contrecarrer leurs manoeuvres de harcèlement et – n'ayons pas peur des mots – de guérilla. En effet, quand les opérations se prolongent, les opposants s'organisent, durcissent leurs positions et optent pour des modes d'action très proches de la guérilla, le stade ultime étant celui de la victimisation : à Notre-Dame-des-Landes, certains, parmi les opposants les plus radicaux, n'avaient qu'un leitmotiv, obtenir une victime.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur la médiatisation. Si nous disposons de nos propres moyens de captation d'image, les médias sont aussi systématiquement engagés sur ce type d'opération. Lorsqu'une équipe de l'Agence France presse, lorsque des médias nationaux ou internationaux sont présents sur le terrain, il nous faut mettre à leur disposition une équipe de protection, ce qui mobilise aussi des effectifs. Il y a quelques années, un escadron pouvait engager soixante-quinze hommes sur le terrain, contre soixante-huit aujourd'hui. Nos gendarmes doivent en outre alimenter une cellule image ordre public pour pouvoir matérialiser les infractions commises lors des manifestations, et conduire les engins. Le nombre de véhicules est plus important qu'auparavant, la structure étant désormais quaternaire et non plus ternaire. Les conducteurs sont chargés à la fois de la conduite des véhicules et de leur protection, ce qui n'était pas simple à Notre-Dame-des-Landes, où le terrain n'était pas propice aux manoeuvres, où les manifestants nous contournaient et nous harcelaient de toute part.
Lieutenant-colonel Stéphane Fauvelet. Un gendarme mobile n'est jamais aussi bon que dans les grands espaces : c'est un militaire, il s'approprie le terrain sans aucun problème. Le maintien de l'ordre en milieu rural est dans ses gènes. C'est par la manoeuvre que nous parvenons à compenser les problèmes liés aux effectifs, et c'est par la manoeuvre et la surprise que nous parvenons à déborder l'opposant. À Saint-Astier, chaque opération fait l'objet d'un retour d'expérience : elle est analysée et disséquée avant de devenir un cas concret pour aguerrir ceux qui n'ont pas eu l'occasion d'être confrontés à cette situation, même si, à Nantes, plus d'un quart des effectifs ont pu être éprouvés dans cette mission. Les camarades qui dirigent un escadron partageront sans doute mes propos, puisqu'ils ont été confrontés, en tant que commandants d'une unité élémentaire, à des situations surprenantes, car nouvelles pour eux. Toutefois, ils connaissaient à l'avance le terrain et l'opposant.