Intervention de Thierry Tuot

Réunion du 10 mars 2015 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Thierry Tuot, conseiller d'état :

À la suite de la remise, au ministre à l'automne 2013, des conclusions du groupe de travail que j'ai animé, les administrations compétentes ont commencé à travailler sur nos propositions, ainsi que sur les deux questions que nous avions soulevées, à savoir l'adaptation des dispositions à l'outre-mer et la fiscalité.

Le ministre de l'économie a indiqué envisager le dépôt d'un projet de loi. Je ne suis pas chargé de vous préciser un calendrier, mais je puis vous détailler les orientations sur lesquelles les administrations ont travaillé et la façon dont les services envisagent de proposer au Gouvernement l'utilisation de nos travaux.

Mon groupe de travail avait soutenu l'idée qu'un débat public sur les quelque centaines d'articles du code minier n'était pas une façon optimale d'utiliser le temps parlementaire, sachant qu'une large partie des dispositions législatives en vigueur doit être maintenue. Nous pensons intéressant que le Parlement se concentre sur les grands principes et les grandes innovations. Quant aux autres aspects de la réforme, nous proposons qu'une ordonnance prévoie, d'une part, la reprise des dispositions existantes sous forme de recodification à droit constant, 80 % du code minier ne demandant pas d'évolution particulière, et, d'autre part, des adaptations en fonction des innovations.

La plupart des innovations sur lesquelles notre groupe a travaillé me paraissent pouvoir être reprises par le Gouvernement.

D'abord, de nombreuses mesures de clarification et de simplification de la procédure administrative visent à faciliter un traitement plus rapide et plus transparent de l'ensemble des autorisations administratives. Il s'agit de resserrer les délais dans lesquels les administrations doivent statuer. En effet, à l'heure actuelle, les délais sont parfois ouverts, ce qui pose problème du fait de l'absence de décision implicite.

Il convient ensuite de faire en sorte que les décisions fassent l'objet d'une information plus systématique, notamment auprès des élus locaux. Actuellement, l'instruction de certains titres est possible sans que les élus locaux ni même les préfets ne soient informés des procédures en cours.

Est également suggérée la possibilité de décisions implicites ou explicites dans des délais beaucoup plus brefs.

Nous proposons en outre une convergence des procédures avec celles du code de l'environnement. Cela suppose un système d'enregistrement, plutôt que d'autorisation expresse, pour les décisions d'importance moindre ; des niveaux de décision différents à partir d'une nomenclature des types de travaux, sur le modèle de la nomenclature environnementale ; et une police minière réaffirmée, mais alignée sur les sanctions pénales du code l'environnement.

Cette simplification administrative, cette transparence accrue, cette convergence des procédures administratives sont la marque d'une clarification respectueuse de l'équilibre, atteint dans le groupe de travail, entre les exigences des industriels – rapidité, transparence, clarté, simplicité, unicité des autorisations – et les exigences des élus locaux et du tissu associatif – transparence, qualité de l'information, participation du public.

Au titre de la participation, est confirmée la possibilité de recourir à des procédures alternatives, qui seront peut-être expérimentales : le groupement momentané d'enquête, le groupe de travail à l'échelon local apte à conduire lui-même l'ensemble des procédures de concertation sans autre contrainte procédurale que la transparence et la bonne information du public. Ce processus sera financé par les industriels. Pour suivre les travaux miniers, qui se déroulent sur vingt-cinq ou cinquante ans, il sera également possible de créer des commissions de suivi participatives spéciales, sur le modèle des comités locaux d'information et de surveillance (CLIS), qui bénéficieront d'un droit à l'information et seraient consultées sur la gestion du site.

L'ensemble des propositions que nous avions formulées sur la gestion de l'après-mine sont également reprises. Il s'agit d'abord de la création d'un fonds national, dont le statut reste à déterminer. Il s'agit ensuite de la reconnaissance de la responsabilité générale des exploitants, avec le suivi de leur responsabilité et la garantie financière dans le cadre du code de l'environnement, et de l'affirmation du rôle prééminent de l'État. Cela signifie l'implication de l'État et de l'ancien exploitant dans la surveillance des sites, avec des obligations réciproques et financées.

Le modèle minier français est, pour l'essentiel, réaffirmé dans ses spécificités, mais il est simplifié et clarifié.

Au titre des institutions nationales, il est envisagé de créer un haut conseil du secteur minier, afin de pérenniser l'équilibre de la concertation conduite ces deux dernières années. Il permettra aux pouvoirs publics de bénéficier, sur le modèle du Conseil supérieur de l'énergie, d'un lieu de concertation, notamment sur les intérêts des travailleurs du secteur minier. Le groupe de travail avait en effet proposé la réaffirmation des spécificités du droit du travail minier et, à ma connaissance, cette orientation serait entièrement reprise par le projet que les services vont proposer au ministre. Ce haut conseil des mines serait chargé de l'élaboration d'un schéma national. Nous avions eu un débat pour savoir si ce schéma national devait être un nouveau plan normatif ou un schéma indiquant les meilleures pratiques ; je crois savoir que cette seconde solution aurait les faveurs des services et serait proposée au Gouvernement.

L'essentiel est que ce haut conseil du secteur minier permette un débat national sur la politique minière, notamment sur ses priorités, et que le schéma national traduise la capacité à énoncer, au travers du consensus national, les bonnes pratiques en matière minière, ce qui aujourd'hui fait défaut sur divers sujets – stockage gazier, exploitation des carrières de granulats, reprise d'exploitation des anciens sites. En la matière, nous manquons d'éléments scientifiques objectifs pour alimenter le débat public, aussi bien local que national. Ainsi, l'élaboration de ce schéma national minier permettrait d'élaborer un savoir-faire collectif sur les pratiques, les sites, les matières, les usages, les matériels, les techniques, et il serait mis à la disposition de la collectivité nationale.

S'agissant de l'outre-mer, le groupe de travail avait rappelé au Gouvernement que l'exploitation minière n'était pas la simple déclinaison d'un code minier national assorti de variantes « tropicales ». L'enjeu est celui du développement de chacun des territoires des outre-mer, qui dépend essentiellement de leur statut. Pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, la compétence a été entièrement transférée ; la Guyane est dans une situation particulière à la fois en termes de richesses, de potentiel environnemental et de statut ; et des difficultés autres existent pour les Antilles, la Réunion, Mayotte, mais aussi pour les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour lesquelles des permis d'exploration ont été délivrés en leur nom. Pour la Guyane et les Antilles, l'enjeu est avant tout celui de l'équilibrage du développement territorial dans sa dimension d'exploitation minière.

Notre recommandation a été de ne pas donner aux collectivités des responsabilités assorties de devoirs qu'elles n'auraient pas les moyens d'assumer en termes de protection environnementale, de police, de lutte contre la pollution. Il convient donc trouver un équilibre entre la métropole et la collectivité sur la sécurité environnementale, la lutte contre les pollutions, la préservation des ressources contre le pillage, le profit à retirer d'une exploitation là où elle est possible et souhaitable, sachant que cette exploitation présente des aspects significatifs – en termes de développement des capacités portuaires, industrielles, de transformation – qui échappent au code minier et dépassent le champ du groupe de travail que j'ai animé. Aussi les services ont-ils recommandé aux ministres, qui y ont été sensibles, de traiter l'outre-mer comme une question à part entière, et non comme une sorte d'appendice du code minier.

Enfin, pour ce qui concerne la fiscalité, notre message était simple : il ne faut pas tomber dans le mythe de l'eldorado. La France est un pays minier jeune : elle a un passé minier achevé et elle recommence une aventure minière, ce qui suppose une fiscalité légère – ce sont les pays matures, dans une phase d'exploitation très avancée, qui peuvent avoir une fiscalité développée. Si nous estimons possible et souhaitable de reprendre une exploitation raisonnable et mesurée des ressources, sur le territoire et en mer, à des fins économiques et environnementales, nous devons prendre en considération le fait que l'investissement est risqué et coûteux, et que le rendement pour l'industriel et donc pour la collectivité sera lointain.

Dans l'immédiat, la fiscalité minière ne peut être massivement productrice de richesses : il serait naïf de penser qu'elle permettrait de combler le déficit budgétaire, voire de désamorcer les critiques locales qui seraient noyées sous les revenus de l'exploitation. Il est souhaitable de réfléchir à une utilisation territoriale de la fiscalité minière, au profit des intercommunalités, des départements et des régions, plutôt que des seules communes. Pour l'offshore, il faut raisonner en termes de façade, et non en termes de port ou de commune où résident les mineurs, critère actuel du code minier. Nous recommandons une fiscalité modeste, disponible pour les collectivités territoriales et pour le financement de la solidarité nationale, grâce notamment au fonds de solidarité destiné à gérer l'après-mine. Pour cela, nous proposons de prévoir des clauses qui, dans l'hypothèse où le pactole finirait par arriver, permettraient à la collectivité nationale d'en profiter dans des conditions à définir – mais cet horizon est nécessairement lointain en l'état actuel du développement minier du pays.

Voilà, en quelques mots, l'état de ma connaissance du dossier. Si les ministres valident nos idées, une concertation pourrait avoir lieu prochainement avec l'ensemble des parties prenantes qui avaient été associées au groupe de travail. Un projet de loi pourrait alors être rédigé et soumis au Conseil d'État avant la fin de l'année, voire à l'été – mais ce sont là des espoirs de fonctionnaire, pas des annonces.

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