Intervention de Thierry Tuot

Réunion du 10 mars 2015 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Thierry Tuot, conseiller d'état :

Merci de toutes ces questions ; elles confirment ma conviction que seul le débat public permettra de reprendre un chemin minier soutenable. Comme l'ont montré nos échanges avec les industriels, les associations, les collectivités territoriales, les administrations et les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat, notre pays doit se doter d'une stratégie nationale minière. Cela nécessite de mettre les choses à plat, en considérant objectivement les réels enjeux à l'aune d'une connaissance approfondie.

Pour commencer le débat, vous avez besoin d'une expertise collective. La loi de transition énergétique décline une stratégie nationale de recherche, et j'ai rappelé au cabinet des deux ministres mon souhait que le pays se dote, aussi, d'une stratégie nationale sur la mine, car une connaissance actualisée de notre sous-sol est indispensable. À l'heure actuelle, nous ne savons pas si notre sous-sol recèle des terres rares, car nous ne les avons jamais cherchées ! Le dernier plan général de prospection n'incluait pas les terres rares, car nous n'en connaissions pas encore l'usage, notamment en informatique, en téléphonie et en radiologie. Toutes ces discussions sur les gaz de schiste, alors qu'il n'y en a pas ou très peu, montrent que les choses tournent à l'envers dans le pays de Descartes ! Nous recommençons à exploiter l'argile médicale, la bauxite médicale, la fluorine, y compris pour échapper aux manipulations de cours des pays qui dominent le marché. Nous devons donc savoir de quoi nous parlons ! En la matière, il appartient aux établissements publics d'État et aux universités au niveau européen – les expertises européennes sont davantage prises en compte que les expertises nationales – d'élaborer un savoir partagé en matière de techniques de recherche, de techniques et de lieux d'exploitation. J'y vois le préalable aux choix majeurs que vous devrez faire en termes d'équilibrage entre reprise d'un développement économique minier soutenable et préservation d'un environnement durablement protégé.

Monsieur le président, j'ignore quels livres doivent relever de l'ordonnance, à l'exception du livre Ier. Au regard de la réaffirmation du modèle minier français, des intérêts des travailleurs, du rôle des collectivités territoriales, de la participation, de la convergence avec le code de l'environnement, de la garantie de la solidarité nationale pour l'après-mine, ce livre – qui est politique – sera la garantie que le juge pourra se référer à des principes. Il est essentiel de procéder à ces réaffirmations de principe.

Je crois ensuite nécessaire, et il me semble que c'est la logique sur laquelle travaillent les services, d'identifier pour chaque livre les inflexions majeures qui méritent que le Parlement se prononce, en matière d'information, de participation, de nomenclature, de sanctions pénales, de solidarité, sachant que l'ordonnance adaptera les procédures existantes. Je pense que c'est la seule façon de procéder. Cela suppose tout de même un projet de loi de quarante à soixante articles, avec l'affirmation nouvelle de principes majeurs, mais aussi d'évolutions radicales.

Les principes de l'après-mine sont simples. Il faut d'abord que la Nation reconnaisse le rôle qu'ont joué les mineurs et les communes minières. Il faut affirmer la reconnaissance de cette contribution à la croissance, la reconnaissance des drames humains – économiques et personnels – et la solidarité. Si on ne le fait pas par exigence morale, on doit le faire de façon cynique parce que, sans cela, la reprise de l'exploitation minière ne pourra se faire – l'opinion n'acceptera pas que l'on ne nettoie pas le passé. Il ne coûte pas très cher – quelques millions d'euros – de mettre fin définitivement aux cas les plus choquants, et cela coûtera de moins en moins cher au fur et à mesure du temps (Murmures divers). La garantie absolue de l'État que, quoi qu'il arrive, si les choses tournent mal, la solidarité nationale s'exprimera, est la condition préalable à l'exploitation. En disant cela, je crois avoir le soutien des industriels comme des associations.

Il faut, ensuite, moderniser les instruments. L'une des mesures importantes que nous avions proposées et que le Gouvernement est prêt à reprendre, appelée « clause Metaleurop », est la possibilité de traverser les écrans que nous opposent les personnes morales. Elle prévoit, si l'exploitant ne peut être retrouvé, de retenir la responsabilité de celui ou de ceux qui ont dirigé l'exploitation ou qui en ont bénéficié. Cette pratique existe en matière fiscale ; en matière minière, elle sera la condition essentielle de la confiance, dans le respect des autorisations.

Autre élément essentiel : le droit de suivi, notamment grâce aux commissions de suivi participatives spéciales. On ne peut pas imposer à l'État, au moment où il délivre un permis d'exploration, de prendre en considération vingt-cinq années d'exploitation ; et il serait absurde de demander à l'exploitant de dire quelle substance, quelle technique, quelle étendue il envisage, puisque personne n'en sait rien. Mais il ne faut pas se servir de cette ignorance de départ pour empêcher, ensuite, la collectivité de mener des contrôles à chaque étape et en toute transparence. Il faut trouver un juste équilibre, et c'est pourquoi je plaide pour les commissions dans lesquelles figurent toutes les parties prenantes, notamment le groupement momentané d'enquête, que le Gouvernement est prêt à reprendre. Par « juste équilibre », j'entends la rencontre des intérêts économiques, des intérêts sociaux – associations environnementales et syndicats de salariés –, des collectivités territoriales – l'intercommunalité étant le bon niveau, mais les départements et les régions doivent jouer un rôle au regard de l'impact sur les infrastructures –, de tous les experts et, enfin, des intérêts professionnels – commerciaux, touristiques, agricoles.

Seule l'association de toutes les parties prenantes dans la concertation pour élaborer un consensus permettra de desserrer la contrainte procédurale. En tant que juge, ce que je sais faire avec une déclaration d'utilité publique (DUP), c'est l'annuler, car il suffit d'un délai non respecté ou d'un défaut de publication pour qu'elle devienne illégale ! Il a fallu douze ans pour le renouvellement des stockages gaziers ! Ce luxe procédural frustre tout le monde et il faut inventer autre chose. Transparence, participation, prise en main de la responsabilité par les intérêts qui élaborent eux-mêmes un consensus local, expertise technique indépendante au niveau national, tout cela constitue des possibilités, qu'il faudrait peut-être expérimenter, mais qui, je crois, vont être reprises.

Pour finir sur l'après-mine, les faits exonératoires dans le cadre de la responsabilité environnementale pourront concerner l'exploitant de bonne foi. Des évolutions géologiques ou techniques imprévisibles, qui n'entraient pas dans l'équilibre de l'autorisation, ne doivent sans doute pas pouvoir être opposées, car on sortirait alors du droit de la responsabilité traditionnelle. Pour autant, cela ne doit pas exonérer l'État de son devoir d'intervenir, ce qui est la condition de la restauration de la confiance de nos concitoyens envers l'exploitation minière.

J'en viens à l'outre-mer. J'ignore quel est le bon équilibre entre l'État et les collectivités territoriales d'outre-mer, mais je crois que l'élan vers l'autonomie des collectivités d'outre-mer ne peut être stoppé. Cependant, si demain une tête de puits au large de la Guyane casse, ce n'est pas la marine guyanaise qui ira sécuriser le site. Par conséquent, nous ne devons pas transférer une responsabilité sans apporter les moyens de l'exercer et les garanties de la solidarité nationale. Si les moyens et la garantie de la solidarité sont assurés, un équilibre doit alors être trouvé entre un développement autocentré, avec des décisions locales, et le rôle de l'État en termes d'avis, de conseil, de veto, de solidarité. Ce débat doit être mené pour chacune des collectivités, en écoutant d'abord les intérêts locaux, mais aussi en prenant en considération les exemples voisins, les bons comme les mauvais – nous l'avons fait en étudiant les pratiques des grands pays miniers comme le Maroc, l'Australie, le Canada.

Cependant, cette question dépasse largement le code minier ; s'agissant de l'or, par exemple, son traitement, sa transformation, son exploitation posent autant de questions relevant de choix politiques. Faut-il créer un opérateur national exclusif ? Faut-il imposer une participation systématique de la Guyane comme collectivité majoritaire dans toutes les entreprises exploitantes ? Faut-il imposer des règles de droit du travail interdisant le travail étranger ? Nous allons devoir affronter ces questions ; de mon point de vue, c'est un choix guyanais pour les Guyanais au sein de la collectivité nationale. Il ne s'agit en aucun cas de plaquer le code minier comme à l'époque du législateur colonial.

Par ailleurs, à ma connaissance, il n'existe pas de points de blocage entre les ministères. Les consultations ou les réflexions auxquelles j'ai été associé m'ont permis de constater une entente entre tous les ministères concernés à un degré que je n'avais pas trouvé auparavant. Je suis donc redevenu plutôt optimiste quant à la possibilité d'un accord et de l'adoption d'un projet de loi. Mais ce n'est pas à moi qu'il incombe de vous indiquer des délais.

S'agissant de la fracturation hydraulique, le groupe de travail que j'ai animé n'a jamais abordé les gaz de schiste. À aucun moment nous n'avons soulevé la question de leur exploitation ou de la nécessité de revenir sur la loi de 2011. De toute façon, il nous avait été demandé de ne pas le faire : nous avons donc respecté le mandat sur ce sujet qui avait, au demeurant, atteint pendant nos travaux un degré d'incandescence extrême. Il faut un projet de loi, la nécessité s'aggrave d'heure en heure. Avec le nouveau code minier, notre ambition est de rendre possible un débat pacifié et transparent sur les techniques de fracturation hydraulique applicables aussi bien à la géothermie qu'au gaz de schiste ou encore sur les ressources en hydrocarbures françaises.

Concernant les TAAF, les opérateurs ont demandé des permis dans le canal du Mozambique. Ces terres, où il n'y a pas d'électeurs, mais des enjeux de sécurité internationaux liés aux limites des zones géographiques, sont un cas d'école : les ressources naturelles pourraient y être pillées sans que l'économie française en profite et avec un risque environnemental très élevé. Voilà un bon laboratoire de réflexion sur divers sujets : fiscalité propre, procédures en milieu international, sécurité de l'exploitation, sécurité des milieux. Je sais que l'administrateur des TAAF s'y intéresse beaucoup, et c'est un des sujets importants qu'il faudra aborder.

Je termine par la question de l'opposabilité du secret industriel et commercial et sur celle des décisions implicites – deux points sur lesquels les travaux des administrations ont permis de revenir sur notre enthousiasme « révolutionnaire ». Nous voulions ouvrir le débat de façon violente, en justifiant la nécessité d'aller jusqu'au bout par l'absence de transparence. Il est clair que la transparence totale en matière de substance injectée dans le sous-sol n'est aujourd'hui pas possible : non seulement elle est impossible au moment de la demande d'autorisation, mais elle pourrait être attentatoire au secret industriel et commercial, protégé par la loi. Néanmoins, une plus grande transparence sur les procédés techniques, y compris en cours d'exploitation – c'est-à-dire ne pas considérer l'autorisation initiale comme un blanc-seing – est sans doute l'un des résultats auquel notre poussée du balancier à l'extrême permettra de revenir de façon raisonnable.

De même, avant que le Président de la République en émette l'idée, le groupe de travail avait pensé à une décision implicite automatique partout. Mais je vous rassure : nous pensions à une décision implicite après les procédures de participation, c'est-à-dire une fois le dossier complet – avec avis techniques, consultations, participation du public, enquête. L'orientation prise par le Gouvernement, qui me paraît raisonnable, est de poser d'abord le principe des délais partout ; il n'y aurait donc plus de procédures ouvertes. Au bout de trois, six mois ou neuf mois, la décision serait soit positive, soit négative – le Parlement en décidera – en cas de silence gardé, avec possibilité ou non de revenir par décret sur le sens de la décision, ce qui est l'orientation générale de la loi de 2011.

J'en ai terminé, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés.

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