Intervention de Dominique Potier

Réunion du 11 mars 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

En défendant aujourd'hui cette proposition de loi, j'ai le sentiment de me faire le porte-parole d'une large coalition. En effet, la genèse de cette loi a mobilisé quatre groupes parlementaires de la majorité, qui y travaillent de concert depuis bientôt deux ans ; le texte s'appuie sur l'expertise et sur les propositions d'une dizaine d'organisations non gouvernementales (ONG) qui font partie des premières ONG françaises et qui mènent ce combat depuis plusieurs années ; il bénéficie du soutien des principales centrales syndicales du pays. Cette coalition a organisé un dialogue entre le monde parlementaire et la société civile, ainsi que le monde de l'entreprise.

Ainsi est né ce texte dont vous connaissez l'histoire. Une première proposition de loi a d'abord été portée par quatre groupes parlementaires et inscrite dans une niche du groupe écologiste, à l'initiative de Mme Danielle Auroi qui en fut la rapporteure. Puis, à l'occasion d'un dialogue avec le Gouvernement, la volonté s'est fait jour d'écrire une deuxième version, aujourd'hui portée par le groupe socialiste. J'espère que les autres groupes de la majorité l'enrichiront au fil du débat parlementaire, mais aussi et surtout que des groupes de l'opposition s'y joindront. Le dialogue avec certains de leurs membres m'y encourage. La portée de cette loi devrait susciter un consensus, et ses modalités faire l'objet de compromis acceptables par tous. À l'heure où la vie politique a besoin de prendre de la hauteur, ce texte de dimension internationale, qui a trait aux droits de l'homme, pourrait bien nous fournir l'occasion d'un important rendez-vous républicain.

La source de ce combat humaniste, je la trouve pour ma part à quelques kilomètres de l'endroit où je vis et travaille, là où est né Georges Guérin, fondateur, il y a près d'un siècle, de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Il avait une devise qui devrait toujours nous inspirer : « la vie d'un jeune travailleur, disait-il, vaut plus que tout l'or du monde ». Ce qui s'applique à un jeune travailleur ici comme à un jeune travailleur ou à une femme au Bangladesh, ou dans n'importe quel endroit, même à l'autre bout du monde. Ce type de repères m'a profondément marqué, m'accompagne depuis toujours, et le combat dont je me fais aujourd'hui le relais est une forme d'hommage à ceux qui ont ainsi inspiré mon engagement politique.

Alors que l'essentiel du droit français et européen, inspiré par les Lumières, vise à protéger l'individu, à travers ses libertés fondamentales, d'un État despotique puis totalitaire, le monde contemporain, sous l'effet de la mondialisation, se caractérise par l'émergence d'une nouvelle génération de droits, plus collectifs : il s'agit désormais de protéger les faibles sous des formes inédites.

Aujourd'hui, certaines entreprises transnationales toutes-puissantes du point de vue économique peuvent, à la faveur de la fragmentation des droits nationaux et des sociétés, porter atteinte, dans une certaine impunité, à ce qui nous tient le plus à coeur, par-delà nos divergences politiques, en violant les droits de l'homme et les écosystèmes, et en se livrant à des pratiques de corruption. Cet état de fait largement constaté, et auquel le drame du Rana Plaza a sensibilisé l'opinion publique, doit être combattu par l'inventivité législative.

La proposition de loi s'inscrit dans cette logique et, comme il l'a dit lui-même en commission du Développement durable, dans la filiation de l'action de notre collègue Gilles Savary contre le travail détaché et pour une harmonisation sociale et fiscale par le haut en Europe. C'est aussi la suite du combat que nous avons livré avec nos collègues écologistes et d'autres groupes lorsque nous avons organisé la transparence sur les paradis fiscaux à travers le reporting obligatoire prévu par la loi de séparation bancaire. Dans les trois cas, il y va de ces nouveaux droits qu'il incombe à notre génération de défendre. Sans remettre en cause la dynamique de l'entreprise ni celle de la mondialisation, ce qui n'aurait guère de sens au xxie siècle, il s'agit d'y inscrire un principe de loyauté et d'en inventer des régulations modernes, adaptées au monde contemporain, propres à défendre jusqu'au bout du monde ce que nous valorisons. La France s'honorerait d'être pionnière en la matière.

Tel est bien l'objet des principales discussions et oppositions que cette proposition de loi peut susciter, comme on l'a vu dans la presse et lors des auditions : ce faisant, la France serait-elle isolée ? Je me contenterai de rappeler, notamment à l'intention de nos collègues de l'opposition, que l'initiative du reporting extrafinancier, due à la dernière législature, a été prise en 2012 et qu'il a suffi de deux ans pour qu'elle fasse l'objet d'une directive européenne. C'est dans cette dynamique que nous nous situons. Ce que la France propose dans ce texte a évidemment vocation à inspirer une directive européenne et une norme internationale la plus large possible. Mais comment y parvenir, comment être crédibles en Europe, si nous ne nous appliquons pas à nous-mêmes, selon une évolution modérée telle que la prévoit le texte, les premières dispositions ?

Nos collègues européens et américains s'inspirent de dynamiques analogues. L'originalité de la proposition de loi est de proposer, tout en restant modérée, une vigilance à 360 degrés sur les atteintes aux écosystèmes et aux droits humains. Mais on trouve dans les législations américaine, canadienne, suisse, espagnole, italienne, des dispositions équivalentes visant à lutter ici contre la corruption, là contre le travail des enfants ou ailleurs contre les trafics illégaux.

J'aimerais enfin rappeler les dispositions essentielles de ce texte, qui tient en deux pages et deux principaux articles.

La première version s'appuyait sur l'inversion de la charge de la preuve, ce qui risquait de heurter certaines susceptibilités et de se révéler juridiquement fragile, en tout cas d'être difficilement exportable à l'échelle européenne. Au contraire, le présent texte instaure un principe de vigilance, d'assurance contre les risques d'atteinte aux droits de l'homme. Cette logique assurantielle prend la forme d'un plan de vigilance dont les moyens sont laissés à la liberté de l'entreprise ; l'obligation de moyens est donc assortie d'une certaine marge de manoeuvre. La seule exigence porte sur la présentation du document. Le droit international, c'est-à-dire les principes définis par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et par l'Organisation des Nations unies (ONU) en 2011, sert de socle à ce que l'on pourrait qualifier de « code du travail et des bonnes conduites environnementales » à l'échelle internationale. Une fois ce socle posé, l'élaboration du plan de vigilance admet une certaine liberté, mais le juge peut sanctionner son absence ou sa carence par une amende civile, une publication et une astreinte.

Aux termes de l'article 2, le non-respect du devoir de vigilance, qui représente une sorte d'assurance ou de comptabilité du risque au sein de l'entreprise – il s'agit là d'une forme moderne de management, plus assurantielle, plus respectueuse de ses partenaires – peut engager la responsabilité de l'entreprise lorsque des dommages doivent être réparés dans une filiale ou chez un sous-traitant au bout du monde.

En somme, cette loi crée une dynamique et un dispositif nouveaux. Elle n'a pas vocation à résoudre tous les malheurs du monde, mais elle apporte sa pierre, avec d'autres lois, à une nouvelle génération de droits, pour une mondialisation plus humaine, une civilisation économique qui incarne nos valeurs et fasse notre fierté.

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