Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 10 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Mme Martinel, M. Kert, M. Salles, Mme Genevard, Mme Dessus et M. Reiss ont évoqué le problème de la conciliation entre les missions de France Télévisions et les objectifs financiers qui lui sont assignés. L'une de mes préoccupations est de simplifier les relations entre l'entreprise publique et sa tutelle, relations qui n'ont évidemment rien à gagner, s'agissant de leur clarté, dans la production d'une multitude de documents d'orientation énumérant chacun des dizaines d'indicateurs et d'objectifs parfois contradictoires entre eux. Dans l'optique de renforcer la responsabilité de l'entreprise, le Gouvernement veillera à limiter ses injonctions dans le COM et le cahier des charges, et surtout à éviter qu'elles ne soient contradictoires. Les objectifs, fixés en concertation avec le futur président du groupe, seront bien sûr définis en lien avec le calibrage financier que le Gouvernement, je m'y engage, respectera scrupuleusement. Cette démarche de simplification requerra bien entendu l'implication du Parlement, dans la mesure où les missions de France Télévisions sont définies par la loi. Il est donc de notre responsabilité collective de redonner à l'entreprise un cadre clair, qui lui permette de remplir au mieux ses missions.

Plusieurs d'entre vous, en particulier Sophie Dessus, ont insisté sur l'importance d'une télévision de proximité, sur le fond comme sur la forme. Les Français y sont en effet très attachés. Aussi une attention toute particulière doit y être apportée, notamment dans le cadre du débat citoyen et à travers l'information locale sur France 3 : c'est là un objectif essentiel si nous voulons que la télévision publique s'adresse à tous.

Martine Martinel m'a interrogée sur la bonne utilisation des deniers publics : cette réflexion, essentielle dans le contexte actuel, devra être posée dans le cadre du COM, et elle requiert la définition d'indicateurs pertinents. La qualité et l'audace d'un programme sont difficiles à mesurer, c'est vrai ; mais l'on peut encourager France Télévisions, par exemple, à développer des coproductions internationales, à l'instar de ce que fait Arte avec la télévision suédoise – c'est là une piste pour favoriser la diversité dans la fiction – ou instaurer des indicateurs de satisfaction. Reste que l'on ne doit pas demander à France Télévisions de publier chaque jour ses scores d'audience, a fortiori pour des programmes non accompagnés d'écrans publicitaires. Un programme peut être universel, même si la chose n'est pas simple, mais sans doute faudra-t-il réfléchir à la définition de programmes différenciés quant à leur audience, de façon que la télévision s'adresse à tous, l'objectif étant de faire revenir certains téléspectateurs ou auditeurs qui se sont détournés de l'audiovisuel public.

Il convient aussi de s'interroger sur le recours aux moyens techniques de production interne qui, en tout état de cause, doit se faire au meilleur coût. La France possède un bel écosystème de producteurs, notamment indépendants, avec lesquels France Télévisions devra conclure un nouveau type de partenariat compte tenu de son rôle, majeur, dans la production audiovisuelle. Comme je l'ai indiqué à l'occasion du Festival international de programmes audiovisuels, le FIPA, qui se tenait à Biarritz, ce partenariat devra se faire dans une plus grande transparence et selon une prise de risques mieux équilibrée entre les diffuseurs et les producteurs : une réflexion est en cours sur le sujet.

M. Kert et M. Hetzel jugent laborieuse la procédure de désignation du futur président par le CSA ; mais l'on ne peut souhaiter que l'État définisse un nouveau projet pour France Télévisions et lui reprocher de le faire ! Vous vous félicitez que le rapport Schwartz définisse des orientations qui vous paraissent souhaitables tout en dénonçant une prétendue ingérence dans les travaux du collège du CSA – puisque c'est bien son collège qui décide et non son président seul, je ne reviendrai plus sur ce lapsus. N'y a-t-il pas là une contradiction de votre part ? L'État est dans son rôle lorsque, en association avec le Parlement, il définit les orientations de l'audiovisuel public, qui chaque année reçoit beaucoup d'argent public. Notre discussion d'aujourd'hui montre d'ailleurs que ce travail était nécessaire, et qu'il aurait même dû avoir lieu avant : cela aurait simplifié la tâche de l'actuelle direction comme des précédentes.

Vous pourrez interroger le président du CSA sur la façon dont il conçoit sa mission. La procédure de nomination du président de France Télévisions qui a été définie s'étalera sur un mois, au cours duquel les candidats présenteront leurs projets à la lumière des orientations, évidemment générales, que nous avons fixées. Le CSA se prononcera donc en toute indépendance entre le 22 avril et le 22 mai, à l'issue de la procédure de sélection qu'il a fait connaître début février. Je souhaite que cette procédure, qui n'a pu être appliquée à la désignation du président de Radio France pour des raisons de calendrier, soit désormais reconduite car elle est très démocratique ; elle me semble aussi correspondre au rôle constructif que l'État peut avoir dans l'exercice de sa tutelle.

Quant à Bercy, il était bien normal qu'il soit présent puisqu'il est, à travers l'Agence des participations de l'État, l'actionnaire du groupe. Le groupe de travail réuni autour de M. Schwartz a été piloté et coordonné par le ministère de la culture, et j'ai présenté ses conclusions en présence de mes collègues concernés, avec lesquels j'ai travaillé en bonne intelligence. Le Gouvernement entend en effet promouvoir une approche collégiale sur les ambitions assignées à l'audiovisuel public, y compris sur la question des moyens.

Les Français sont attachés à l'identité de France 3, chaîne nationale à vocation en partie régionale. Le rapport souligne la nécessité d'une relance, sur le volet éditorial comme sur la gestion ; cela n'implique nullement que la chaîne renonce à son ancrage territorial, même si la réforme territoriale en cours appelle une réflexion sur l'organisation de la chaîne, de façon qu'elle réponde aux attentes du public en matière d'information et de proximité : nous attendons des propositions des candidats en ce sens.

J'ai pris connaissance, Madame Martinel, du rapport Vacquin sur la prévention et la qualité de vie au travail au sein du groupe France Télévisions ; je suivrai avec attention les suites données à ses préconisations par la direction de ce groupe qui a dû mettre en oeuvre des réformes complexes, à commencer par la mise en place de l'entreprise unique. Il faut d'ailleurs saluer, sur ce point, le travail de l'actuelle direction.

Dans un paysage audiovisuel marqué par l'influence croissante des géants de l'internet et la convergence des supports, madame Pompili, monsieur Allossery, il importe que les diverses composantes de l'audiovisuel public se rassemblent pour atteindre une taille critique. Le potentiel de synergies est fort entre France Télévisions, Radio France, Arte, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) : le comité de pilotage stratégique conduira la réflexion en ce domaine, d'abord à travers la belle notion d'arche numérique, ainsi que le Président de la République l'avait d'ailleurs appelé de ses voeux. Il incombe aussi à l'audiovisuel public de contrer, par ses propres messages, ceux qui, diffusés sur internet en dehors de toute régulation, portent atteinte aux valeurs républicaines. Encore une fois, le Gouvernement n'entend pas dicter les projets des dirigeants de l'audiovisuel public dans leur détail, mais fixer des orientations de nature à les éclairer ; en l'espèce, le numérique est un vecteur essentiel pour s'adresser à la jeunesse, qu'il s'agisse de l'offre culturelle ou de l'information.

Sur la jeunesse et la diversité, madame Pompili, madame Sommaruga, les initiatives de la BBC me semblent très intéressantes ; aussi j'invite les candidats à faire preuve d'innovation et d'audace dans leurs projets à destination des jeunes, y compris en passant par les codes auxquels ceux-ci se réfèrent. Les usages évoluent, ce n'est pas faire un constat d'échec que de le dire, et la télévision linéaire n'est plus le modèle dominant : l'audiovisuel public doit aussi être présent dans les nouveaux médias.

L'éducation aux médias, madame Sommaruga, fait déjà l'objet d'un partenariat avec l'éducation nationale à travers le service « lesite.tv » ; la chaîne Arte, de son côté, produit un journal télévisé junior. Je suis favorable à des coopérations sur tous les canaux disponibles, avec la communauté éducative bien entendu, mais aussi avec d'autres médias, comme les médias citoyens ou de proximité.

La télévision doit en effet mieux refléter, sur la base d'indicateurs à définir, la diversité de la société, y compris, madame Pompili, par la prise en compte du handicap, aspect souvent négligé – les nouvelles technologies, par exemple, offrent des solutions pour les malentendants. Le Gouvernement y veillera dans le cadre du COM.

Les chiffres que vous avez cités sur les publicités pour enfants étaient éclairants, madame Attard ; je rappelle toutefois que, pour l'heure, sur France 4 et France 5, aucune publicité n'est diffusée pendant les programmes qui, tels « Les Zouzous », s'adressent aux plus jeunes. Des initiatives existent cependant, vous avez raison, en matière de nutrition et de lutte contre l'obésité ; elles pourront être prises en compte dans la réflexion, même si, comme on l'a dit, il faut aussi limiter le nombre d'injonctions.

Je comprends que l'intervention du CSA sur le traitement médiatique des événements de début janvier ait provoqué un certain émoi chez les journalistes, qui, ayant travaillé dans des conditions difficiles, ont pu avoir le sentiment que le régulateur restreignait paradoxalement une liberté d'expression pour la défense de laquelle le pays venait de se mobiliser. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit en l'espèce : les chaînes ont signé des chartes sur le traitement de l'information, au nom desquelles elles s'engagent notamment à ne pas mettre en danger la vie d'autrui et à ne pas entraver le travail de la police ou de la justice ; c'est seulement dans ce cadre que le CSA a émis un certain nombre de recommandations ou de mises en demeure.

La vraie difficulté est que le CSA a compétence pour réguler l'audiovisuel traditionnel et non les réseaux sociaux, où peuvent donc circuler des images prohibées dans les grands médias, soumis à des règles déontologiques en matière de production de l'information. Le Gouvernement réfléchit à des propositions, dans le cadre européen ou national, pour définir des modes de régulation adaptés à ces réseaux ou plateformes, la difficulté étant que les entreprises visées, souvent domiciliées à l'étranger, ne reconnaissent pas les juridictions françaises et coopèrent mal avec les autorités locales. Le travail que je mène sur le sujet avec Axelle Lemaire et les ministères de la justice et de l'intérieur n'entend évidemment pas porter atteinte à la liberté d'expression sur internet, mais celui-ci ne doit plus constituer une exception aux règles qui régissent notre vie en société. De tels sujets appellent d'ailleurs un dialogue avec le Parlement.

En octobre dernier, le Président de la République a indiqué qu'une réflexion devait s'engager sur le financement de l'audiovisuel public, et ce afin de tenir compte de l'évolution des pratiques de visionnage : le rapport Schwartz le montre bien, la télévision est devenue le second écran derrière la tablette ou le smartphone. Asseoir la contribution à l'audiovisuel public sur les seuls postes offrant un accès à la télévision hertzienne n'a plus guère de sens. Nous réfléchissons donc à d'autres pistes avec les services du ministère. La représentation nationale sera bien entendu associée à ce travail dont l'aboutissement relève, par définition, d'une loi de finances. L'objectif n'est au demeurant pas de trouver des ressources nouvelles mais, à rendement constant, d'élargir l'assiette pour la rendre plus juste et plus conforme aux usages.

Soutenir la langue et la création françaises est un enjeu essentiel de la diversité culturelle, de la différenciation de l'offre du service public par rapport aux géants de l'internet : voilà, madame Genevard, ce que j'ai dit. La création française, on le sait, est en concurrence avec les grandes productions anglo-saxonnes ; or, à l'échelle internationale, la diversité culturelle impose d'éviter l'hégémonie d'un modèle. La France possède des mécanismes de financement de la création que beaucoup de pays lui envient, et grâce auxquels elle a conservé un cinéma très dynamique, le troisième dans le monde avec plus de deux cents films produits chaque année, ainsi qu'un formidable réseau d'équipements culturels, de librairies et de salles de cinéma sur l'ensemble du territoire. Défendre la langue et la création françaises sont donc bel et bien des enjeux pour la diversité culturelle à l'extérieur de nos frontières – et non à l'intérieur, bien entendu –, la francophonie ayant naturellement un rôle à jouer à cet égard.

Mon propos n'est pas de me prononcer sur telle ou telle chaîne et son périmètre : ce point relève des projets présentés par les candidats. Reste que France Télévisions doit s'adresser à tous les Français, donc aussi à nos compatriotes d'outre-mer, lequel doit par conséquent avoir toute sa place dans les programmes.

Le Gouvernement, par la voix de mon ministère, soutiendra en effet la future présidence de France Télévisions, y compris dans le nécessaire effort de rationalisation de la gestion de l'entreprise. Le rapport Schwartz montre bien, d'ailleurs, l'ampleur des efforts en cours dans les autres entreprises de l'audiovisuel public. Sans aller jusqu'à l'exemple de l'Espagne, où l'audiovisuel public a subi les conséquences de sévères restrictions budgétaires, la BBC doit faire face à une réduction de ses dotations de 700 millions de livres entre 2014 et 2017. Bref, tous les audiovisuels publics, au niveau international, sont appelés à rationaliser leurs moyens de production et à s'adapter aux nouveaux usages, en particulier numériques : France Télévisions, qui s'est déjà engagée dans cette voie, devra poursuivre ses efforts. C'est en tout cas ce que le Gouvernement attend des projets des candidats à sa présidence.

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