Intervention de Serge Bardy

Réunion du 11 mars 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Bardy, rapporteur pour avis :

Notre temps est compté, car la commission des lois se réunit ce matin pour examiner au fond cette proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Je souhaite vivement pouvoir aller porter les amendements que notre commission adoptera devant elle.

Une première version, élaborée en étroite collaboration avec la société civile et déposée par les quatre groupes SRC, Écolo, RRDP et GDR, a été examinée par notre assemblée le jeudi 29 janvier dernier, dans le cadre de la niche réservée du groupe Écolo. Ces propositions de loi manifestaient la mobilisation de la société civile et du Parlement afin d'améliorer la prévention et la gestion des risques liés aux activités des grandes entreprises internationales. Des drames tels que celui du Rana Plaza au Bengladesh ne doivent plus se reproduire.

Les débats de janvier, en commission des lois puis dans l'hémicycle, ont fait apparaître les fragilités techniques et juridiques de ce premier texte. Le Gouvernement s'était alors engagé à travailler avec nos collègues Danielle Auroi, Dominique Potier et Philippe Noguès, pour résoudre ces difficultés. Je tiens à le remercier d'avoir tenu son engagement et d'avoir évité que ce texte « ne tombe dans les limbes et n'en sorte pas », comme Philippe Noguès en avait exprimé la crainte dans le journal Le Monde. L'objectif commun est bien d'aboutir à un texte qui favorise le renforcement de la vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre tout en dégageant des modalités opérationnelles efficaces pour les entreprises entrant dans le périmètre. Aujourd'hui, cette proposition de loi ira jusqu'au bout et sera débattue par l'Assemblée pour inscrire dans la loi cet objectif.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la droite ligne des travaux que notre commission mène depuis le début de la législature en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), et en concertation avec l'ensemble des groupes et sensibilités politiques. J'en veux pour preuve l'excellent rapport de notre collègue Philippe Noguès sur la proposition de résolution européenne relative à la publication d'informations non financières par les entreprises, déposée voilà un peu plus d'un an, à la suite de la proposition de Danielle Auroi.

Quel est l'apport de cette proposition de loi ? L'obligation nouvelle faite aux grandes entreprises multinationales de dresser un plan de vigilance.

L'article 1er définit à la fois le périmètre de cette nouvelle obligation, le contenu du plan de vigilance et le dispositif de contrôle.

Le périmètre comprend les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés, seuil retenu en droit pour distinguer une entreprise de taille intermédiaire d'une grande entreprise. Pour la filiale établie en France d'un groupe étranger, la loi prévoit un seuil complémentaire alternatif de 10 000 salariés employés dans les filiales, que celles-ci soient directes ou indirectes, françaises ou étrangères. Ce seuil peut donc élargir le nombre d'entreprises concernées.

Enfin, il restreint la portée du dispositif aux entreprises qui ont les moyens de mettre en oeuvre cette obligation sans que leur compétitivité en soit affectée. Les PME françaises ne sont donc pas visées, j'insiste sur ce point. Ce devoir de vigilance s'appliquera aux sociétés multinationales, qui ont une part significative dans le commerce international.

D'aucuns observeront sans doute que les dispositions relatives au seuil présentent des imperfections et que des améliorations sont envisageables. J'en conviens, mais gardons en mémoire que l'esprit de ce texte est surtout de permettre un pas en avant plutôt qu'un blocage de part et d'autre. Faisons ce premier pas et ne doutons pas que nos débats permettront de faire émerger des perspectives intéressantes, à l'instar du dispositif en sifflet posé en matière de RSE.

Par contre, il est indispensable de préciser la relation entre la société donneuse d'ordre et les fournisseurs ou sous-traitants. La notion « d'influence déterminante » ne permet pas de couvrir le cas de groupes internationaux dont chacun, pris séparément, représente 5 ou 10 % du chiffre d'affaires d'un sous-traitant ou d'un fournisseur.

Le plan de vigilance doit contenir des « mesures de diligence raisonnables », propres à identifier et prévenir les sinistres au sein du groupe ainsi que ceux liés aux activités des sous-traitants ou fournisseurs, en matière d'atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels et environnementaux graves, et de risques sanitaires.

Ce plan doit également viser à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société mère et des sociétés qu'elle contrôle.

Le caractère étendu de ce contenu est tempéré, d'une part, par la notion de mesures de « vigilance raisonnable », de nature à rassurer les entreprises, d'autre part, par l'expérience accumulée en matière de RSE, dont le corpus de soft law mentionné par l'exposé des motifs de la proposition de loi est aujourd'hui à la fois connu et pratiqué par les entreprises concernées. Je me réfère ici aux grands principes directeurs des Nations unies et de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), par exemple.

Si la proposition de loi, qui sera complétée par le décret d'application, révèle toute l'ambition qui s'attache à ce plan de vigilance, il va de soi que la détermination des mesures est laissée à l'appréciation, et donc à la liberté, des entreprises concernées, les plus à même de les définir. S'il est souhaitable qu'elles le fassent en coopération avec les parties prenantes, il est évident, à mes yeux, qu'elles sont responsables et adhèrent pleinement à cette démarche d'une recherche de profit « dans le respect des attentes et préoccupations de la société ». Le texte apporte simplement un degré de formalisation supplémentaire de la soft law, de la même manière qu'en matière de comptabilité, alors même qu'il est de l'intérêt bien compris de l'entreprise d'avoir des écritures en ordre pour conserver la confiance de ses clients et de ses créanciers, il a été jugé utile, voilà quelques siècles, de formaliser des exigences dans ce domaine au bénéfice des clients et des créanciers.

Enfin, pour garantir que cette obligation nouvelle sera mise en oeuvre, le plan doit être communiqué au public et publié dans le rapport sur les informations extra-financières. En cas de carence, le juge compétent peut être saisi pour enjoindre la société d'établir ce plan, d'en assurer la communication et de justifier de sa mise en oeuvre effective, autrement dit que ce plan ne soit pas totalement vide.

Une amende civile « symbole » est prévue pour les contrevenants aux dispositions de l'article 1er ; son montant, quant à lui, est loin d'être symbolique. Je proposerai sur cet alinéa un amendement de précision.

Dans un deuxième temps, la proposition de loi lève l'obstacle du principe d'autonomie de la personnalité juridique par l'effet du mécanisme de l'engagement de la responsabilité de la société pour manquement à l'obligation d'établir et de mettre en oeuvre de manière effective un plan de vigilance. L'article 2 prévoit que cette responsabilité civile est engagée en cas de non-respect des obligations liées au plan de vigilance – défaut d'établissement, non-publication, mise en oeuvre imparfaite. S'agissant d'une responsabilité de droit commun, elle exige que trois éléments soient constatés : une faute, un préjudice et un lien de cause à effet.

Je vous propose aujourd'hui d'acter un premier pas historique et décisif en vue de l'inscription de l'ensemble de ces préoccupations au sein de notre législation. À ceux qui n'y verraient qu'un « petit pas pour l'homme », je répondrai qu'il s'agira plutôt d'un « grand pas pour l'humanité » accompli, pas après pas, jusqu'à l'adoption du texte en séance plénière. (Sourires)

Cette proposition de loi constitue une avancée qui peut être entendue par nos entreprises. Celles-ci, notamment nos PME, ont tout à y gagner, elles qui sont confrontées quotidiennement au dumping social et environnemental pratiqué par les fournisseurs ou sous-traitants installés dans des pays peu exigeants en la matière. Pour nos grandes entreprises, la clé de la compétitivité n'est pas dans la recherche sans fin du moindre coût : elles seront inéluctablement perdantes face à leurs concurrents des pays émergents. Beaucoup d'entre elles l'ont compris, elles doivent préférer la recherche de l'innovation, donc de la qualité sociale et environnementale. Qui plus est, la société assujettie qui adoptera un plan de vigilance comprenant des mesures raisonnables et le mettra effectivement en oeuvre, aura satisfait à son obligation de moyens et dégagera sa responsabilité.

Grâce à ce texte, nous portons une véritable innovation juridique. Si des exemples étrangers existent, aucun n'a cette ambition de vigilance sur un spectre aussi large. Nous devons nous en réjouir.

Ce choix d'une démarche progressive, nos prédécesseurs l'avaient fait s'agissant des informations extra-financières. C'était un bon choix. Chacun conviendra aussi que, sur le dossier des travailleurs détachés, après nos tâtonnements initiaux, nous sommes aujourd'hui arrivés à un résultat satisfaisant. Grâce à la démarche pas à pas que nous retenons aujourd'hui, nous « crantons » dans notre droit positif la mise en jeu de la responsabilité civile de droit commun en cas de manquement aux obligations du plan de vigilance. Je prends le pari que nous n'y reviendrons plus. Le temps accomplira son oeuvre pourvu que les parties prenantes et la jurisprudence se saisissent de ce nouvel outil.

Je conclus mon propos en vous appelant, mes chers collègues, à adopter cette proposition modifiée par les amendements que je vous proposerai, en plein accord avec l'auteur principal de la proposition de loi, Dominique Potier, qui est également le rapporteur au fond.

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