Intervention de Patrick Kron

Réunion du 11 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Kron, président-directeur général du groupe Alstom :

Je regrette de ne pouvoir prêter serment, mais cela ne change rien à la sincérité et à la transparence de mes réponses.

Je considère que le projet d'union entre Alstom et General Electric est bon pour Alstom, bon pour l'emploi et bon la France. Vous pouvez ne pas être d'accord mais il doit être clair que l'ensemble des éléments qui m'ont conduit à en faire la promotion sont sur la table, et aucun fait caché, qui concernerait notamment le rôle de la justice américaine, n'a pesé dans ma décision.

Monsieur Fasquelle, cette opération n'a nullement été réalisée de manière précipitée, hors de toute procédure de mise en concurrence. C'est exactement l'inverse. Je m'inquiète depuis longtemps du fait qu'Alstom puisse se retrouver dans la situation où se trouvent aujourd'hui d'autres entreprises du monde énergétique en France. Mon métier étant d'anticiper, lorsque j'ai constaté que nous rencontrions, dans certains de nos métiers un problème de taille critique, j'ai, dans un premier temps, tenté de nous donner la plus grande marge de manoeuvre opérationnelle possible, en réduisant les coûts et en améliorant les rentrées de cash. Nous évoluons depuis quatre ou cinq ans sur un marché beaucoup plus difficile, marqué par le durcissement de la concurrence. Depuis notre annonce, le mouvement de concentrations s'est d'ailleurs accéléré puisque Siemens a racheté l'activité de turbines à gaz de Rolls-Royce, Mitsubishi celle de Pratt & Whitney et qu'Ansaldo a vu les Chinois entrer à son capital. Face à des clients de moins en moins solvables, nous avons par ailleurs besoin de trésorerie et d'un bilan solide, et ce d'autant plus que les marchés de l'énergie se déplacent vers les pays émergents : sur les neuf premiers mois de l'exercice en cours, nous n'avons réalisé en Europe que 20 % de nos ventes d'énergie, contre 65 % pour le secteur des transports.

Au-delà de ces réponses conjoncturelles, je cherche depuis des années des solutions structurelles permettant à Alstom d'échapper à ses difficultés. Pensez-vous que je n'ai pas d'abord envisagé des solutions françaises, nous permettant de nous maintenir sur le siège du conducteur ? Je n'en ai pas trouvé et c'est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative d'entrer en contact avec des groupes comme General Electric ou Siemens. Il s'agit d'une démarche réfléchie et, s'il elle n'a pas été rendue publique dès le premier jour, c'est que, dans nos métiers, le moindre soupçon de difficultés financières peut déstabiliser nos clients. Quoi qu'il en soit, la solution offerte par General Electric s'avérait complémentaire et assez peu redondante, sinon dans des domaines où Alstom n'a pas la taille critique et n'occupe pas de position pérenne, comme le gaz ou l'éolien terrestre.

Pour ce qui est de la mise en concurrence, le processus de négociations a toujours été ouvert, et l'accord signé avec General Electric donnait à n'importe quelle entreprise la possibilité de nous faire une offre, ainsi que l'a fait Siemens. Je précise par ailleurs que, si une clause de cette accord prévoyait le versement d'une indemnité de rupture à General Electric dans le cas où notre conseil d'administration aurait rejeté son offre, une autre clause stipulait qu'en cas de rejet du projet par les partenaires sociaux, Alstom pouvait se retirer de la vente sans verser cette indemnité. Je tenais en effet à ce que les partenaires sociaux n'aient pas à se prononcer sous la pression de cette contrainte financière.

Quant aux théories plus ou moins conspirationnistes sur l'influence qu'aurait eu sur cette vente le Department of Justice américain, si une enquête pour faits de corruption a bien été diligentée contre Alstom par la justice américaine, elle est antérieure à nos conversations avec General Electric, et les autorités américaines n'ont été informées du projet de fusion qu'au même moment que vous, c'est-à-dire le 23 avril, lorsque Bloomberg a fait fuiter l'information. Il est donc insultant de penser qu'il ait pu y avoir une quelconque collusion, et c'est contraire aux faits. J'ajoute pour vous rassurer que les accords passés avec la justice américaine n'interdisent en rien l'inculpation de tel ou tel cadre d'Alstom qui serait impliqué dans des opérations délictueuses.

Vous m'avez interrogé, madame Valter, sur la gouvernance des coentreprises. Elles sont structurées de manière paritaire, General Electric détenant 50 % plus une action, Alstom 50 % moins une action, sauf dans l'entité nucléaire où General Electric détient 80 % des actions et Alstom 20 %, mais où la gouvernance reste équilibrée puisque le conseil d'administration sera composé pour moitié d'administrateurs nommés par GE, pour moitié moins une personne d'administrateurs nommés par Alstom, le dernier membre étant un représentant désigné par l'État.

Toute une série de dispositions organisent par ailleurs la nationalité des administrateurs, qui seront en majorité français, et prévoient que les sièges des trois joint ventures seront basés en France. L'État disposera d'une golden share, ou droit de veto, son accord étant requis pour certaines décisions clefs, liées notamment à la réorganisation juridique de ces sociétés, à la pérennité et à l'intégrité de l'approvisionnement des îlots conventionnels du parc nucléaire français, à la localisation des sièges sociaux, des quartiers généraux et des centres de décision, à d'éventuels mouvements d'actifs ou de personnes, ou encore aux droits de licence.

La coentreprise nucléaire disposera de la technologie lui permettant d'assurer la maintenance des centrales nucléaires françaises et le développement de notre filière à l'exportation. General Electric s'est par ailleurs engagé à poursuivre la coopération avec EDF pour la maintenance et la rénovation du parc, ainsi qu'avec EDF et Areva pour la construction de nouvelles centrales nucléaires en France et à l'étranger. Dans l'hypothèse – théorique – où General Electric refuserait de coopérer avec EDF pour la maintenance de son parc nucléaire ou si, pour une raison ou une autre, il était conduit à se retirer d'un projet nucléaire à l'étranger, l'État a obtenu que licence soit donnée à une société constituée pour 100 % de capitaux publics français, afin que cette société de droit public délègue, le cas échéant, la technologie Arabelle à un tiers.

J'ajoute, pour être complet, que le président de cette joint venture sera désigné par Alstom en concertation avec nos partenaires, et qu'il existe pour les autres joint ventures des dispositions du même ordre.

Alstom a en effet la possibilité de céder sa participation dans ces joint ventures, mais pas avant cinq ans dans la branche nucléaire. Je précise que ces mouvements actionnariaux ne remettraient, le cas échéant, nullement en cause le statut et les droits de l'État dans la gouvernance.

En ce qui concerne les emplois, ce projet va nous donner les moyens financiers de lutter, dans le domaine de l'énergie contre des concurrents redoutables contre lesquels nous n'avions plus les moyens de nous battre et qui nous avaient poussés à envisager, avant le rapprochement avec GE, de lourdes restructurations pour compenser la perte de nos parts de marché. General Electric a, au contraire, pris des engagements concernant les emplois et les centres de décision. Il ne me revient guère néanmoins d'annoncer en lieu et place de ses représentants, que vous allez auditionner, la nature précise de ces engagements, mais j'ai le sentiment que non seulement ils seront tenus mais qu'ils seront dépassés.

Madame Dubié, vous m'avez interrogé sur Alstom Transport. Il s'agit d'un groupe international présent dans une cinquantaine de pays et qui peut appuyer son développement sur des phénomènes comme la croissance démographique, le développement économique et la concentration dans les villes. La conjugaison de ces trois facteurs nous permet d'afficher un carnet de commandes d'un montant record de 27 milliards d'euros.

Cela ne signifie pas pour autant que certains de nos sites n'aient pas des problèmes de charge. C'est hélas le cas sur le marché français, qui représente 20 % de nos ventes totales – même si 40 % de nos salariés français travaillent à nos exportations – et où nous souffrons d'un manque de visibilité.

Des projets sont en cours, notamment le projet de métro pour lequel un premier contrat de 500 millions a été signé, qui donne une charge significative à notre usine de Valenciennes et à d'autres sites associés. Nous travaillons également sur trois contrats importants non seulement pour résoudre nos problèmes de charge, mais parce qu'ils pourraient constituer des vitrines de nos activités pour l'exportation : il s'agit du TGV du futur, que nombre de pays étrangers nous envient et qu'il faut donc continuer à développer, en améliorant son coût comme ses performances ; il s'agit encore des RER de nouvelle génération ; il s'agit enfin des trains d'équilibre du territoire (TET) sur lesquels la mission Duron doit rendre prochainement ses conclusions mais dont le développement est tributaire des fortes contraintes budgétaires que connaissent un certain nombre de régions françaises. Si Alstom Transport ne se résume pas à Alstom Transport France, cette dernière entité est une composante importante de notre dispositif industriel.

Pour ce qui concerne plus précisément nos sous-traitants, ils sont près de cinq mille en France et, pour formuler les choses en termes d'emplois, un emploi chez Alstom Transport France – qui en compte neuf mille – signifie trois emplois chez nos sous-traitants. Notre entretenons donc une relation très forte, non seulement sur le marché domestique mais à l'exportation où nous soutenons un certain nombre de PMI.

Quant aux entreprises de Midi-Pyrénées que vous avez évoquées, elles appartiennent à des grands groupes – Vinci et Eiffage –, auxquels il appartient de trouver des solutions, en répartissant leurs risques entre les différents clients. En l'occurrence, ces entreprises n'ont pas été retenues par Alstom à l'issue d'un appel d'offre, remporté par une autre entreprise locale.

Vous m'avez également interrogé sur les turbines à gaz. Comme l'a dit M. Fasquelle, la Commission européenne a procédé à une enquête approfondie sur ce sujet. Nous avons donné des éléments d'information. Le dossier que nous avons déposé à la Commission comprend environ 50 000 pages. Nous avons répondu à 350 questions et nous sommes prêts à répondre à d'autres encore. Je suis convaincu que nous démontrerons que le marché des turbines à gaz reste très largement concurrentiel après l'opération de rapprochement avec General Electric. Au cours des cinq dernières années, Alstom a vendu en Europe trois turbines à gaz. Aussi, je ne crois pas que cette opération se traduira par une perturbation du marché, le marché européen étant totalement mort puisqu'en 2014 une seule turbine à gaz a été vendue en Europe sur un marché mondial de 200 à 250 unités.

Monsieur Baupin, vous me permettrez de ne pas répondre à votre question sur Areva et les perspectives nucléaires. Compte tenu des critiques que suscite ma stratégie, il ne m'appartient pas de m'ériger en professeur de vertu, contrairement à ce que certains essaient de faire après avoir échoué dans leur vie professionnelle. En tant que dirigeant d'une activité dans le domaine des équipements énergétiques, je me dois de proposer des équipements qui répondent au mieux aux besoins en termes de compétitivité, de fiabilité et de sécurité et non de faire des conférences sur ce que doit être le mix énergétique dans un pays.

Vous dites que nous avons peu de projets. Vous avez mentionné le projet anglais Hinkley Point qui porte sur deux turbines ; j'espère qu'il y en aura encore deux autres par la suite. Je citerai aussi la Pologne, l'Arabie saoudite, la Chine, l'Inde et l'Afrique du sud. Plus généralement, nous travaillons avec l'ensemble des fournisseurs d'îlots nucléaires. Nous travaillons de manière préférentielle avec Areva et EDF lorsqu'il s'agit d'un projet clés en main, mais aussi avec l'ensemble des autres fournisseurs d'équipements d'îlots nucléaires, qu'il s'agisse des Chinois, des Russes, des Américains ou des Japonais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion