Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 22 novembre 2012 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

S'agissant de la méthodologie, je souhaite créer les conditions du débat et de la transparence. D'abord, en venant ici présenter ce rapport – je crois que c'est la première fois que le ministre de la défense le fait. Puis en vous l'adressant dorénavant plus longtemps à l'avance et ce, dès le premier semestre suivant l'année étudiée.

Nous avons aussi des progrès à faire sur les catégories de matériels, les matériels autorisés et ceux qui ont été livrés.

Madame Guigou, les livraisons à la Grèce sont de 80 millions d'euros en 2011, soit un montant très inférieur à celui des autorisations d'exportation que vous avez évoqué. Elles concernent essentiellement des pièces détachées pour le perfectionnement et le maintien de ses matériels militaires.

S'agissant des partenariats stratégiques, je rappelle que nous devons avoir avec certains pays une relation de longue durée, ne se limitant pas à l'achat de tel matériel militaire à un moment déterminé : c'est ainsi que nous réussirons.

J'ai été frappé à cet égard de constater, à mon retour des Émirats arabes unis ou du Brésil, que les médias étaient seulement intéressés par le fait de savoir combien nous avions vendu de Rafale. Or si nous confondons l'acte commercial – qui appartient à l'industriel et dans lequel il doit avoir toute latitude de négociation – et l'intervention de l'État – qui doit apporter des garanties et favoriser l'environnement politico-stratégique d'un partenariat de long terme fondé sur la confiance –, cela ne marchera pas.

Ainsi, quand j'ai rencontré Cheikh Mohammed aux Émirats arabes unis – avec lesquels nous avons une relation forte et ancienne ainsi qu'une identité de vues sur les grands dossiers internationaux –, nous n'avons pas parlé, cette fois, de Rafale : j'ai visité nos forces présentes sur place et nous avons débattu de l'ensemble de la situation internationale ainsi que de notre relation bilatérale – à la fois en termes stratégiques dans la zone et au regard de l'engagement d'une série de discussions pour l'avenir, concernant les satellites, les avions de combat ou le matériel naval. Je sais qu'après, nous en viendrons aux perspectives de vente d'armements, dans la mesure où nous avons mis en place un partenariat de haut niveau permettant la poursuite des discussions sur les sujets sensibles en concertation avec les industriels.

Il en est de même avec le Brésil, avec lequel nous avons un partenariat récent fort, qui s'est traduit par des engagements sur des matériels militaires navals, notamment les sous-marins, en plus de l'acquisition d'un porte-avions. Sachant que ce pays souhaite investir dans un groupe aéronaval, j'ai fait remarquer à mes interlocuteurs qu'il fallait aussi des avions pour ce faire. Nous avons par ailleurs passé un contrat très important, qui comporte notamment la mise en place d'une base navale, avec un transfert de technologie, des formations et l'acquisition de matériels. C'est sur le fondement de ces relations de confiance que d'autres perspectives pourront s'ouvrir.

C'est ainsi que je perçois mon rôle et j'ai cru comprendre que les industriels le concevaient également de cette façon.

Quant au matériel naval, sa part dans les exportations françaises est importante. Nous nous interrogeons sur les possibilités d'alliances, mais nous attendons d'avoir des partenaires prêts à s'engager, l'Allemagne notamment. Nous avons de grands atouts dans ce domaine, ne serait-ce que les bâtiments de projection et de commandement (BPC) – les deux premiers étant en cours de réalisation pour la Russie, en attendant éventuellement deux autres – ou les sous-marins Scorpène – qui ont été exportés non seulement au Brésil, mais aussi en Inde, en Malaisie et au Chili.

Monsieur Poniatowski, le montant global des exportations n'est en effet pas très important – il risque même d'être moindre en 2012 –, mais il est supérieur à 2010 : on ne peut avoir tous les ans des résultats exceptionnels, ceux-ci dépendant largement de quelques gros contrats.

Madame Récalde, les printemps arabes et la crise libyenne ont montré que l'utilisation de certains appareils liés à la surveillance électronique et aux réseaux d'Internet n'était pas jusqu'à présent prise en compte dans les restrictions à l'exportation : nous sommes d'accord pour que ce soit désormais le cas. La position allemande nous convient à cet égard pour éviter les dérives constatées en Libye.

Cela nous ramène à la question des technologies duales que j'ai évoquées, pour lesquelles il est nécessaire de trouver, dans les dispositifs de contrôle, un moyen de s'assurer que des technologies exportées dont la partie militaire n'est a priori pas évidente ne puissent se retourner contre nous ou nos alliés à l'avenir.

Monsieur Le Bris, nous n'avons pas en France l'équivalent des foreign military sales. Il serait compliqué de mettre en place un tel dispositif, notamment au regard de la réglementation européenne. En revanche, dans certains cas, comme pour l'Inde, nous instaurons des dispositifs interétatiques permettant d'apporter des garanties.

Monsieur Fromion, la Commission interministérielle d'appui aux contrats internationaux (CIACI) devait en effet être activée : elle se réunira d'ailleurs prochainement. Quant au fait de confier au ministre de la défense la responsabilité de l'ensemble de la politique d'exportation d'armement, il s'agit d'une bonne mesure.

Monsieur Chauveau, plusieurs coopérations entre pays et industriels européens permettent l'exportation de matériels à l'étranger, pour laquelle nous menons, avec d'autres pays, une action d'accompagnement. C'est le cas notamment pour les hélicoptères NH90, Tigre, ou bien l'avion A400M.

En outre, il est très positif que les pays du groupe de "Weimar +" aient pu se réunir la semaine dernière à Paris. Ce n'était pas gagné d'avance : il s'agit en soi d'un acte politique.

Nous souhaitons que l'Europe de la défense se construise de façon pragmatique : c'est une nécessité, d'abord en raison des contraintes budgétaires de chacun – je rappelle que les États-Unis entendent économiser, sur les dix prochaines années, 490 milliards de dollars sur leur budget de la défense, ce qui aura notamment pour conséquence d'aviver l'appétit de concurrence de leurs entreprises sur les marchés émergents et européens. De plus, les menaces, qui sont fortes, tendent à s'accroître, et la stratégie américaine est de se déplacer progressivement vers l'Asie et le Pacifique.

La construction européenne doit se traduire à la fois au niveau opérationnel – au travers, par exemple, de l'opération Atalante ou de celle prévue pour le Mali, voire éventuellement pour le Kosovo – et dans le domaine capacitaire – ce qui suppose de définir ensemble en amont nos besoins, et non que ceux-ci soient dictés par l'offre industrielle. Il en est ainsi pour les drones MALE, qui font l'objet d'un début de coopération intéressant : j'espère qu'elle se poursuivra dans le cadre de "Weimar +", voire, si possible, dans un cadre européen plus large.

Concernant nos relations avec les Britanniques, nous poursuivons le processus lancé à Lancaster House, en particulier dans le domaine nucléaire. D'autres actions en commun doivent être mises en oeuvre dans ce cadre – même si c'est plus difficile – et donner lieu à un élargissement à d'autres partenaires, notamment sur les drones.

Monsieur Bridey, je ferai connaître dans les prochains jours les propositions de mon plan en faveur des PME de défense, de manière à ce que celles-ci prennent toute leur place dans le processus d'exportation – certaines d'entre elles ayant été jusqu'ici étouffées par de grands groupes alors qu'elles sont en large partie à l'origine de l'innovation. C'est aussi la raison pour laquelle je maintiendrai le budget relatif aux études amont dans les années à venir. Il s'agit d'une priorité.

Sur les recompositions industrielles en France, le champ est ouvert, notamment depuis l'échec de la fusion entre BAE et EADS. Si des initiatives pouvaient aboutir, je vous en ferais part, sachant que l'État n'est pas seul maître du jeu dans ce domaine.

Monsieur André, il faut faire en sorte que les matériels que nous exportons ne se retournent pas contre nous. S'agissant des réexportations, le mécanisme de contrôle prévoit des pénalisations, mais il n'est pas toujours possible de les mettre en oeuvre lorsque les transferts sont illicites. Il nous faut donc avoir la vigilance nécessaire pour éviter de tels retournements en cas de réexportation ou de changement de régime, ou tenir compte de ces risques dans les performances. Monsieur Bui, les attachés de défense jouent en effet en permanence un rôle de vigilance, d'incitation et d'alerte. Certains ingénieurs de l'armement font partie des équipes dont nous disposons dans ce domaine, lesquelles sont en général très performantes. Leur rôle est déterminant, notamment dans les pays avec lesquels nous voulons nouer des partenariats stratégiques de long terme.

En ce qui concerne les directives européennes, je n'ai pas l'intention de recommencer leur transposition, celle-ci ayant été menée, me semble-t-il, avec soin. La question est de savoir si certains pays voisins ne retiennent pas une interprétation plus souple ou plus restrictive que nous.

Je suis donc dans l'ensemble attaché à ce que nous ayons une politique d'exportation d'armement à la fois rigoureuse dans les principes et audacieuse dans les résultats.

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