Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 27 novembre 2012 à 17h00
Commission des affaires économiques

Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation :

Nous connaissons bien le problème qu'a soulevé Mme Marcel à propos des IGP. Un certain nombre de produits dont notre imaginaire associe la fabrication à un territoire sont en réalité fabriqués ailleurs. Le cas de Laguiole est évidemment emblématique, mais de nombreux autres noms de territoires sont devenus des noms génériques associés à des produits – je pense, par exemple, à l'eau de Cologne ou à la crème Chantilly. Deux questions se posent donc. En quoi l'indication géographique respecte-t-elle le droit des marques ? Le droit des marques permet-il de garantir que l'association d'un territoire à un produit est un gage de qualité ? La réponse que nous apporterons à ces questions ne peut résider que dans le cahier des charges, qui doit être élaboré avec les professionnels, de façon à ce que le consommateur qui achète un produit qu'il pense lié à un territoire puisse être sûr que le process de fabrication, la qualité, le métal utilisé pour le couteau – pour reprendre l'exemple de Laguiole – répondent bien à ses attentes. De ce point de vue, la proposition de loi du groupe UMP visant à mieux protéger les indications géographiques et les noms des collectivités territoriales reste lacunaire. L'association des professionnels à la définition du cahier des charges et le choix de la structure qui instruira le dossier sont donc très importants ; ce sont des points sur lesquels nous travaillons.

Plusieurs questions ont trait à la fiscalité. Le projet de loi sur l'économie sociale et solidaire ne comportera aucune disposition sur ce point, qui ressort de la seule loi fiscale. Vous savez néanmoins que la loi de finances rectificative adoptée en juillet dernier exclut les SCOP de l'augmentation du forfait social sur la participation et l'intéressement. Nous posons aujourd'hui la question de la taxe sur les salaires, puisqu'un certain nombre d'acteurs de l'ESS sont en concurrence avec des acteurs privés classiques qui vont bénéficier du crédit d'impôt compétitivité emploi, dont les acteurs de l'ESS se verront pour leur part privés, puisqu'ils ne payent pas d'impôt sur les sociétés. Certains observeront qu'il leur suffirait de changer de statut pour pouvoir bénéficier de ce crédit d'impôt. Mais dans la mesure où nous souhaitons consolider un modèle d'entreprise et un modèle économique non lucratifs, je préfère défendre la solution consistant à ouvrir selon les mêmes modalités le bénéfice de ce dispositif fiscal aux structures assujetties à la taxe sur les salaires. Cet alignement me semble important.

M. Potier a évoqué l'obsolescence programmée des produits. C'est un sujet sur lequel nous travaillons, mais que le projet de loi ne traitera pas – il est trop tôt pour cela. Je distinguerai pour ma part trois types d'obsolescence programmée. Le premier ressort du stratagème : vous achetez sans le savoir une machine qui a été programmée pour mourir au bout d'un an ; il y a donc tromperie. Le second type d'obsolescence programmée correspond à une obsolescence dite subjective : les techniques marketing vous poussent à renouveler des biens d'équipement qui pourraient encore fonctionner quelques années. Le dernier type d'obsolescence est lié non à l'obsolescence du bien en question, mais à son environnement technologique : par exemple, votre tablette tactile fonctionne, mais vous ne pouvez pas y télécharger toutes les applications apparues après que vous l'ayez achetée.

Je souhaite que nous réfléchissions avec les professionnels et les entreprises volontaires sur la durée de vie des biens d'équipement et sur les cycles d'innovation. Veillons cependant à ne pas freiner l'activité : les cycles d'innovation doivent aussi être encouragés pour favoriser l'activité et la création d'emplois. Il y a donc un équilibre à trouver. En revanche, nous devons lutter de manière plus efficace contre l'obsolescence programmée qui relève de la tromperie du consommateur, et promouvoir une véritable éducation à la consommation.

Comment vérifier qu'une entreprise agréée répond toujours aux principes de l'ESS – gestion désintéressée, gouvernance démocratique, non-lucrativité ? Il existe déjà dans le monde coopératif une « révision coopérative » : tous les cinq ans, une autre coopérative vient vérifier que l'entreprise respecte toujours les grands principes coopératifs. Ce système de révision périodique par d'autres acteurs du secteur pourrait certes être envisagé pour le contrôle du label de PME sociale et solidaire. Mais dans la mesure où ce label ou cet agrément ouvre droit à des financements publics, j'estime que l'État a son mot à dire dans ce contrôle. Or dans le modèle de la révision coopérative, la régulation est opérée par le secteur lui-même.

J'en viens à l'accès aux marchés publics. Nombre d'associations ont vu conditionner l'essentiel de leur financement à la réponse à des appels à projets, ce qui a fortement tari l'initiative associative. Si la collectivité publique ne subventionne les associations qu'en fonction de ses idées et de ses projets, elle freine l'innovation sociale et l'initiative associative, puisque les associations ne se financent qu'en répondant à un cahier des charges défini par les collectivités territoriales. Rien n'interdit à celles-ci de subventionner une association, car il n'existe pas d'obligation systématique de mise en concurrence. Mais, dès lors que celle-ci s'impose, nous voulons qu'un nombre beaucoup plus élevé de marchés publics intègre des clauses sociales. Cela suppose que le soumissionnaire, à défaut de pouvoir assurer lui-même des heures en insertion par l'activité économique (IAE), puisse travailler avec des entreprises qui lui en fournissent ; cela suppose aussi une bonne formation du donneur d'ordre public. Bref, il y a à travailler sur l'accompagnement et l'environnement de la prise de décision, tant du côté des donneurs d'ordre que de celui des soumissionnaires. C'est la raison pour laquelle je préfère soutenir politiquement les clauses sociales et les clauses d'insertion plutôt que modifier le code des marchés publics. Il ne conviendrait d'envisager cette modification qu'en cas d'échec de la démarche que je viens de décrire.

En ce qui concerne l'e-commerce, la transposition de la directive « droits des consommateurs » apportera un certain nombre de changements : allongement du délai de rétractation, qui passe de 7 à 14 jours, instauration d'un délai maximal de livraison de 30 jours… le professionnel supportera également le risque d'endommagement des biens pendant le transport jusqu'à ce que le consommateur en prenne possession. Cette directive protégera donc beaucoup mieux les consommateurs, y compris en ce qui concerne le démarchage abusif, madame Massat. Le dispositif Pacitel ne fonctionne pas bien, car les démarcheurs n'ont pas l'obligation de consulter la liste des personnes inscrites. Il faut donc rendre obligatoire l'extraction de ces personnes des listings d'appel. Je souhaite que cette disposition figure dans la loi.

Vous avez évoqué le problème des frais bancaires. Je présiderai la commission sur le surendettement dans le cadre de la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté avec François Soulage, président du Secours catholique, qui vient d'ailleurs de se prononcer, à titre personnel, en faveur d'un registre national du crédit. Un peu plus de 200 000 dossiers de surendettement ont été ouverts cette année, contre 230 000 en 2011. Cela reste considérable, d'autant qu'en France, l'endettement moyen est de 40 000 euros par dossier, ce qui est bien supérieur à ce que l'on constate dans le reste de l'Europe.

La Banque de France réorganise aujourd'hui son réseau. S'agissant de l'accueil des familles surendettées, un principe a toutefois été retenu, monsieur Pellois : le maintien de tout bureau d'accueil accueillant plus de 1 000 familles par an. Si les centres de gestion seront à l'avenir moins nombreux, il n'est toutefois pas question de réduire la voilure pour ce qui concerne l'accueil des personnes surendettées.

L'actualité en matière de SCOP est particulièrement riche dans votre département, monsieur Jibrayel. J'ai reçu il y a quelques jours à Marseille les salariés de l'usine Fralib qui ont déposé un projet de SCOP. Je puis par ailleurs vous indiquer que la Garde des Sceaux prépare un projet de réforme de la justice commerciale, que je crois nécessaire sans m'avancer davantage sur ce sujet. En tant que ministre de l'économie sociale et solidaire, j'ai pu constater que la justice commerciale aurait besoin d'acculturer la réalité du monde coopératif – je vous laisse la libre interprétation de la formule. Pour faire court, j'ai le sentiment que certaines décisions s'expliquent davantage par des préjugés à l'égard du modèle coopératif que par la réalité du dossier économique proposé.

J'en viens à une question de M. Chassaigne sur la différence entre le droit de préférence et le droit de préemption pour les salariés qui souhaitent s'installer en SCOP. Le droit de préférence dit bien ce qu'il veut dire : à offres égales, le juge doit pencher pour celle qui permet aux salariés de reprendre leur affaire ou leur entreprise. Tel est le droit de préférence que nous entendons créer. Pour qu'il soit effectif, il faut disposer de suffisamment de temps pour formuler une offre à partir du moment où les instances représentatives du personnel (IRP) sont informées par le chef d'entreprise du projet de cession de son activité.

On note aujourd'hui une forte montée en puissance des acteurs de l'ESS dans la création des emplois d'avenir. J'ai signé la semaine dernière avec la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire (CRESS) d'Île-de-France une convention pour la création de 3 000 emplois d'avenir. La mobilisation ne fait que croître. Mais je tiens à le redire, les acteurs de l'ESS ne se mobiliseront en faveur des emplois d'avenir qu'à condition que les collectivités locales concourent à leur création, non seulement comme employeurs directs, mais aussi comme co-financeurs. Je pense par exemple aux départements dans le secteur sanitaire et social ou médico-social. Je me réjouis que les conseils généraux recrutent des emplois d'avenir, mais ils ont aussi vocation à cofinancer leur création dans le secteur non lucratif.

La BPI jouera bien sûr un rôle dans la création des SCOP. Dès lors que l'on crée un nouveau modèle de SCOP où les salariés seraient minoritaires dans le capital au départ, l'intervention d'un tiers sera nécessaire pour atteindre le seuil fixé. Ce tiers pourra être la BPI, ou un organisme délégataire avec lequel elle travaille.

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