Intervention de Michel Winock

Réunion du 13 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Michel Winock, président :

La puissance du pouvoir exécutif en France, établie en 1958, résulte d'un retour de balancier. La faiblesse de ce pouvoir avait été insigne sous la IVe République, qui fut d'une instabilité permanente et d'une impuissance dramatique face à la guerre d'Algérie. Le général de Gaulle s'était éloigné du pouvoir en janvier 1946, dans l'impossibilité de faire admettre par les constituants une primauté de l'exécutif qui, dans son esprit, devait s'incarner dans le Président de la République.

La même année, le discours de Bayeux fixait déjà les grandes lignes de ce que devait être la Constitution de 1958. « Il est nécessaire, déclarait le général de Gaulle, que nos institutions démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. »

Il précisait à Épinal, en septembre 1946 : « Il nous paraît nécessaire que le chef de l'État en soit un, c'est-à-dire qu'il soit élu et choisi pour représenter réellement la France […], qu'il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si menacé, d'assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des contingences politiques, les intérêts permanents de la nation. Pour que le Président de la République puisse remplir de tels devoirs, il faut qu'il ait l'attribution d'investir les gouvernements successifs, d'en présider les Conseils et d'en signer les décrets, qu'il ait la possibilité de dissoudre l'Assemblée élue au suffrage direct au cas où nulle majorité cohérente ne permettrait à celle-ci de jouer normalement son rôle législatif ou de soutenir aucun Gouvernement, enfin qu'il ait la charge d'être, quoi qu'il arrive, le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et des traités signés par la France. »

Cet exécutif aura donc deux têtes, un chef de l'État et un chef de Gouvernement. Mais toute dyarchie – qui suppose une égalité entre les fonctions – était repoussée par de Gaulle : « Le Président, déclarait-il le 31 janvier 1964, est évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État ». Il y a une hiérarchie du pouvoir exécutif : la présidence prime.

L'organisation de la puissance, voire de la superpuissance présidentielle, est fondée à la fois sur le texte constitutionnel et sur une pratique qui en est éloignée.

Selon l'article 11 de la Constitution, le Président préside le Conseil des ministres et peut à certaines conditions soumettre une loi au référendum. Selon l'article 12, il dispose d'un droit de dissolution quasi discrétionnaire. Selon l'article 13, il signe les ordonnances, il est le chef des armées et il dispose du droit de grâce à titre individuel. Aux termes de l'article 16, il peut concentrer des pouvoirs exceptionnels.

Cette surpuissance présidentielle est due aussi à une pratique fort peu constitutionnelle. Le Président peut se débarrasser du Premier ministre à sa guise, sauf en cas de cohabitation. Il impose généralement le choix des ministres à son Premier ministre. Il est le véritable chef du Gouvernement, malgré l'article 20 selon lequel « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » et l'article 21 selon lequel le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire et dirige l'action du Gouvernement.

Dans ses entretiens avec Alain Peyrefitte, de Gaulle déclare : « Le chef du Gouvernement, c'est moi. Le Premier ministre est le premier des ministres, primus inter pares, il coordonne leur action, mais il le fait sous la responsabilité du Président de la République, qui dirige l'exécutif sans partage. » Or ce chef de Gouvernement « sans partage » n'est pas responsable. Le Parlement n'exerce son contrôle que sur le Premier ministre. Toutefois, le général de Gaulle posait à intervalle irrégulier la question de confiance par l'intermédiaire des référendums – pratique à laquelle on a renoncé après lui.

Cet accaparement du pouvoir par le Président s'est trouvé renforcé par l'instauration du quinquennat. Le chef de l'État, dont le mandat dure autant que celui de l'Assemblée, voit son rôle de plus en plus confondu avec celui du Premier ministre. La ligne de démarcation entre les deux fonctions n'est pas nette, ce qui suscite la proposition d'un véritable régime présidentiel, par la suppression du poste de Premier ministre.

Cette solution se heurte, à mon avis, à plusieurs objections.

D'abord, elle contredit la tradition française de séparation entre le chef de l'État et le chef du Gouvernement. Cette distinction remonte à la monarchie constitutionnelle. Chateaubriand, l'un de ses théoriciens, écrit dans La Monarchie selon la Charte : « La doctrine sur la prérogative royale constitutionnelle est que rien ne procède directement du roi dans les actes du Gouvernement ; que tout est l'oeuvre du ministère, même la chose qui se fait au nom du roi avec sa signature, projets de loi, ordonnances, choix des hommes.

« Le roi, dans la monarchie représentative, est une divinité que rien ne peut atteindre : inviolable et sacrée, elle est encore infaillible ; car, s'il y a erreur, cette erreur est du ministre et non du roi. Ainsi, on peut examiner sans blesser la majesté royale, car tout découle d'un ministère responsable. »

Autrement dit, selon la formule que l'on attribue à Thiers : « Le roi règne et ne gouverne pas. »

Le modèle américain est peu assimilable, me semble-t-il, d'abord, en raison du fédéralisme des États-Unis, inconnu en France. Une grande partie de la législation est l'oeuvre des États et peut varier de l'un à l'autre. La vie du pays n'est pas complètement bloquée par une panne de l'État fédéral due à un conflit entre le Président et la majorité. Pareil conflit, dans le cas français, paraît insurmontable : quelle serait l'instance d'arbitrage ?

À supposer qu'on laisse un droit de dissolution au Président – ce qui n'est pas le cas dans le système américain –, les élections qui suivent la dissolution peuvent reproduire le conflit entre l'exécutif et le législatif. De plus, si l'on répond au voeu largement répandu de remplacer le scrutin uninominal par un scrutin proportionnel, ou même en partie proportionnel, nous risquons de retrouver face à face un Président et une assemblée divisée ou hostile. L'existence d'un Premier ministre en France représente une soupape de sécurité ou, si l'on change de métaphore, un fusible, que l'on peut remplacer. Comme l'écrivait Chateaubriand : « Le ministre agit, fait une faute, tombe ; et le roi change son ministre. »

Par rapport aux États-Unis, il faut rappeler que nous ne sommes pas une nation de consensus. En Amérique, les conflits existants sont moins idéologiques qu'en France, où le système politique a été souvent comparé à une guerre civile larvée. Un Président irresponsable face à une opposition majoritaire à l'Assemblée est un schéma à prévoir, et il faut se demander comment on pourrait en sortir.

Je crois qu'en abordant cette question de l'exécutif, nous entrons dans le vif de notre travail. Personnellement, eu égard à ce que je viens d'énoncer, je suis favorable au maintien des deux fonctions, à condition de les préciser.

Le Président de la République incarne la nation, la représente, assure la continuité des institutions et, en cas de conflit, exerce son arbitrage entre le Gouvernement et le Parlement, soit par le changement de Gouvernement, soit par la dissolution. Le texte constitutionnel pourrait lui attribuer un domaine réservé – ce qui n'est pas explicite aujourd'hui –, mais limité.

Le Premier ministre, lui, dépendrait de la majorité parlementaire, gouvernerait selon l'article 20. Sa durée ne dépendrait que de l'Assemblée et de lui-même. Le renversement du Gouvernement par une motion de censure ne doit pas atteindre le Président, auquel incombe la tâche de lui trouver un remplaçant.

Vous l'avez compris : je crains la rigidité d'un régime présidentiel ; je crois beaucoup plus souple et praticable un exécutif à deux têtes, à condition d'en finir avec la surpuissance présidentielle. Le débat est ouvert.

1 commentaire :

Le 19/12/2016 à 09:46, Laïc1 a dit :

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"Il précisait à Épinal, en septembre 1946 : « Il nous paraît nécessaire que le chef de l'État en soit un, c'est-à-dire qu'il soit élu et choisi pour représenter réellement la France […], qu'il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si menacé, d'assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des contingences politiques, les intérêts permanents de la nation. "

Tant qu'à faire, il exagère le côté "pays divisé, pays affaibli, pays menacé", pour mieux se poser en homme providentiel seul capable de réunir les énergies dispersées...

Mais de nos jours, ce qui va fédérer le peuple, le réunir, lui donner sa force novatrice et créatrice, c'est bien sur le référendum. D'ailleurs, le vote lors du référendum local ne consisterait pas nécessairement à répondre par "oui" ou par "non", on peut imaginer des référendums d'un nouveau type, après tout on est au 21ème siècle, on n'est pas tenu de reproduire en permanence les schémas du passé. Par exemple, dans le cas des éoliennes et des distances limites de leur installation par rapport aux habitations, il pourrait y avoir un choix multiples : "Voulez-vous que les éoliennes soient installées à 500 mètres, 750 métres, 1000 mètres, ou 1500 mètres des habitations ?" La case ayant eu le plus de voix serait alors la solution adoptée.

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