Je sais gré à Bastien François, défenseur de la VIe République, de s'être livré à un exercice d'ingénierie constitutionnelle concrète et d'avoir présenté différentes options. Il a raison de souligner le changement de configuration qui s'est opéré depuis 1958, et de se demander ce qu'on peut faire de cet animal encombrant qu'est devenu le Président de la République.
On l'a souvent souligné, la Ve République est un régime à géométrie variable, tour à tour régi par le fait majoritaire, qui s'apparente à la normalité, ou par la cohabitation, qui serait une forme de pathologie. La situation actuelle ne relève ni de l'une ni de l'autre, même si elle s'apparente à une cohabitation. Les deux premiers gouvernements de la présidence Hollande n'étaient pas suffisamment homogènes pour qu'on puisse parler d'une véritable coalition majoritaire.
Mon sentiment est que nous vivons une crise du fait majoritaire, de l'autorité présidentielle et de la solidarité gouvernementale. À l'époque du général de Gaulle ou de Georges Pompidou, si un ministre avait parlé à la télévision des autres membres du Gouvernement dans les termes dont certains ministres usent depuis sept ou huit ans, il aurait immédiatement été recadré. Sans doute serait-il parti. Je comprends que les politiques tiennent à dire ce qu'ils pensent, mais la solidarité gouvernementale est indispensable au régime parlementaire.
Cette triple crise relève plus généralement d'une crise de confiance, dont on ne sait comment sortir, puisque le fait majoritaire n'a pas l'air de revenir – on l'a mesuré lors de l'examen de la « loi Macron » – et que nul ne souhaite une cohabitation.
Dès la seconde moitié du mandat de M. Sarkozy, la pratique l'hyperprésidence s'est renversée en une pratique de la présidence faible. À la suite du passage au quinquennat, les candidats à l'élection présidentielle se sont mués en premiers ministres du type scandinave, qui tiennent les manettes. À cause de l'extrême difficulté de gouverner les démocraties modernes – la France n'est pas une exception dans ce domaine –, le président s'est fragilisé. L'hyperprésidence et la présidence actuelle, qui a perdu de sa majesté, sont deux facettes d'un même phénomène.
Selon un de mes maîtres, le problème de la présidence française est qu'il n'y a qu'un seul job. Tout le monde a envie d'être Président de la République. Même ceux qui veulent supprimer la fonction ne résistent pas à la tentation de se présenter à la primaire.
Interdire la révocation du Premier ministre peut sembler séduisant. Mais un Président de la République pourra toujours demander à sa majorité de faire tomber ce Premier ministre, même si la Constitution le lui interdit. Le Président arbitre que vous avez décrit ressemble au François Mitterrand de 1986, qui, s'en tenant à la lettre de la Constitution, se concevait comme le défenseur des grands équilibres, des droits de l'homme et des droits sociaux. Depuis Mac Mahon, le Président de la République s'est toujours considéré comme le représentant supérieur de la nation.
Le 19/12/2016 à 11:05, Laïc1 a dit :
"Tout le monde a envie d'être Président de la République. Même ceux qui veulent supprimer la fonction ne résistent pas à la tentation de se présenter à la primaire."
Cette mentalité est en fin de compte normale : déjà à l'école les petits Français sont éduqués dans l'idée que, pour exister, il faut être le meilleur, il faut être délégué de classe, élu, et non pas être évalué pour ce qu'ils peuvent faire de bien pour leur société en fonction des seuls paramètres du bien et du mal. Être le premier, le meilleur, et mieux encore être élu pour cela, voilà l'idéal démocratique que l'on sert à nos enfants à l'école... Alors qu'historiquement parlant, ce n'est pas un secret de savoir que les Grecs anciens ne votaient pas pour des délégués, mais tiraient au sort parmi le peuple les représentants à l'Assemblée, (la boulé), non pas pour créer les lois, mais pour les rédiger suite à proposition des citoyens.
Être élu devient une fin en soi, c'est la reconnaissance d'une certaine forme de supériorité, l'aboutissement d'une ambition personnelle qui n'a rien à envier à l'ambition financière des pires capitalistes du privé, et qui n'a rien à voir avec le véritable idéal démocratique d'abnégation et de solidarité qui est la base des sociétés réellement démocratiques.
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