Je remercie Bastien François de nous aider à poser les termes d'un débat, qui n'est certes pas nouveau – il n'y a qu'à relire pour s'en convaincre les écrits politiques de Léon Blum – mais dont il importe que la société tout entière s'empare, notamment à l'occasion de la prochaine élection présidentielle, pour rétablir le lien démocratique entre nos concitoyens et leurs institutions.
Je n'accorde aucune vertu sacrée au numéro de notre Constitution, qui a connu vingt-quatre révisions depuis son établissement par le général de Gaulle et Michel Debré. Le contexte d'origine, marqué par la guerre d'Algérie et la division du monde entre l'Est et l'Ouest a beaucoup évolué, et les constituants n'avaient sans doute guère envisagé la disparition du franc, la décentralisation ou le non-cumul des mandats lorsqu'ils ont imaginé nos institutions. Je suis sensible en revanche, dans les propositions que j'ai à faire, à l'originalité française qui m'incite à ne pas multiplier les comparaisons avec nos voisins italiens ou allemands. Je ne crois pas, pour une France dotée de l'arme nucléaire mais minée par le populisme et le manque d'ambition collective, à un président arbitre, ne serait-ce que parce que le Président de la République est confronté à une concurrence des pouvoirs – pouvoir médiatique, pouvoir judiciaire – bien plus exacerbée qu'en 1958, et le réduire au rôle d'autorité morale aboutirait à la faire disparaître.
Ce qui mine aujourd'hui notre démocratie, c'est l'absence de certitudes mais aussi l'absence totale de compromis, empêchée, au sein de la majorité comme au sein de l'Assemblée nationale, par le recours à l'alinéa 3 de l'article 49 qui, dans le cas précis de la « loi Macron », a fait fi non seulement du travail parlementaire qui avait eu lieu en amont, mais également de l'attitude des députés qui, de part et d'autre, étaient prêts à faire évoluer leur position et leur vote sur le texte.
Certes, en adoptant le quinquennat, nous avons fait redescendre le Président de la République parmi les hommes. Pour autant et bien que partisan d'un renforcement du pouvoir du Parlement, je me vois mal priver les Français du choix du premier d'entre nous. Peut-on en effet demander à nos compatriotes d'élire un pouvoir législatif sans qu'ils puissent anticiper la personnalité du Premier ministre ?
Mon principal sujet de préoccupation – et nous aurons l'occasion d'y revenir – est que notre pratique des institutions, dans son refus du compromis, nourrit la montée du populisme en favorisant un manichéisme parfaitement stérile dès lors qu'aucune force politique ne peut réunir à elle seule 50 % des suffrages. J'entends bien les remarques de Michel Winock sur les risques de blocage. Ces risques doivent certes être pris en compte, mais en se rappelant que nos institutions autorisent le Gouvernement à promulguer le budget par ordonnance, lorsque celui-ci n'est pas voté par le Parlement.
Quant à la question des relations entre le Président de la République et l'Assemblée, elle évolue, en témoignent les propos du professeur Chevalier où la conversion récente de Jean-Pierre Chevènement, et je suis convaincu que nous pouvons inventer un système « à la française ». De notre capacité à inventer de nouvelles formes de compromis dépendent ensuite d'autres questions, dont celle du spoil system, évoqué par Arnaud Richard. Il faut bien admettre en effet que certains hauts fonctionnaires qui occupent au sein de l'État des fonctions stratégiques ont tendance à considérer que les députés sont de passage au pouvoir et qu'ils ne se privent pas d'opposer à notre action une forme de résistance silencieuse. Il s'écoule dans le meilleur des cas près de vingt mois entre le moment où la loi est votée et celui où sont pris les décrets d'application, et j'ai vu à maintes reprises des gouvernements ressortir, en les repeignant à leurs couleurs, des propositions pensées par la haute administration sous la majorité précédente.
Je me méfie enfin d'un « Président du temps long », fonction qui incomberait davantage au Sénat ou au Conseil économique, social et environnemental, si nous pouvons repenser et réorganiser ces institutions. On ne peut en effet installer dans le temps long, en neutralisant son action à court terme, un Président de la République détenteur de la force de frappe nucléaire.
Ce sont donc toutes ces questions qui doivent nous occuper et permettre à notre groupe de travail non pas de fournir au Président de la République des solutions de réforme clef en main mais de proposer aux Français des pistes de réflexion qu'ils puissent s'approprier.
Le 19/12/2016 à 14:13, Laïc1 a dit :
"Je ne crois pas, pour une France dotée de l'arme nucléaire mais minée par le populisme et le manque d'ambition collective, à un président arbitre, ne serait-ce que parce que le Président de la République est confronté à une concurrence des pouvoirs – pouvoir médiatique, pouvoir judiciaire – bien plus exacerbée qu'en 1958, et le réduire au rôle d'autorité morale aboutirait à la faire disparaître."
On se demande ce que M. appelle "miné par le populisme et le manque d'ambition collective".
Est-ce que réclamer son dû, son droit à la parole citoyenne, peut être appelé du populisme ? Est-ce que le fait d'être dégouté du fait de ne pas participer à l’œuvre collective par l'absence de référendum et de liberté d'expression peut être requalifié en "manque d'ambition collective" ?
Sollicitez directement les Français, et vous verrez qu'ils auront de l'ambition, pour eux-même et pour leur pays. Ce n'est certainement pas en les confinant dans le silence, ou la culpabilisation s'ils osent revendiquer leur droit à la parole, que vous les pousserez à affirmer leur ambition collective, bien au contraire. Un président qui a tous les pouvoirs va déresponsabiliser le citoyen, le cantonner à sa petite vie de travailleur sans idéal, incapable de décider ce qui est bon ou mauvais pour lui, il va le contraindre à ne pas développer son énergie positive, il fera du citoyen un être inerte et sans force, asthénique, en attendant de devenir neurasthénique, et la faute en reviendra au pouvoir politique présidentiel, et à tout le système politique calqué sur ce schéma (les maires sont les présidents des communes...) qui lui aura ravi ses forces vitales pour en être le seul bénéficiaire. Car un Président de la République fort implique un peuple faible, servile et obéissant, sans esprit d'initiative et replié frileusement sur lui-même.
Que le président redevienne "autorité morale", on a toujours besoin d'un repère moral, ça peut servir, mais pas davantage.
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